Canada 1645 : un Noël de «
sauvages »
Aux approches de la Noël 1645, le
Père Druillettes dit à ses ouailles, de rudes Amérindiens :
— Mes très chers enfants, bientôt
l’on fera la célébration de la fête de la naissance du Doux Enfant Jésus en ce
monde, Fils du Grand Manitou, descendu sur la terre – il y a autant de lunes
qu’il y a d’arbres dans vos forêts – pour sauver les hommes du péché et les
arracher des griffes de l’Esprit Malin. Que ceux qui ont fait leur première
communion, se confessent ce jour-là pour recevoir Jésus dans leur cœur. Quant à
ceux qui ne sont que baptisés, qu’ils espèrent et désirent sa venue en eux
comme autrefois les hommes sages qu’on appelait « mages » (les Onontios des
pays au-delà des grands eaux des mers, dans l’Ancien Testament) qui soupiraient
après Lui, le Désiré des tribus.
Aussitôt, les Amérindiens
construisent une petite chapelle représentant la crèche de Jésus, la «
cabane-de-la-prière ». A l’intérieur, ils disposent des rameaux verts
odoriférants et de riches fourrures : pelleteries de visons, de renards
argentés, de castors et de martres.
Sur l’autel de bois, paré de
nappes liturgiques, un petit tabernacle orné d’un voile ouvragé ; une croix
peinte de bleu ; deux petits chandeliers d’étain avec des cierges précieusement
conservés pour cette nuit sans pareille. Au pied de l’autel, des peaux de
chevreuils et d’élans.
Dans un coin de la chapelle, la
crèche avec son Enfant Jésus posé sur de la mousse. Il a été taillé par les
hommes et les femmes L’ont habillé d’une robe d’hermine blanche, cousue et
brodée de poils de porc-épic.
Tout le jour, le Père Gabriel
Druillettes a confessé dans la chapelle les farouches chasseurs arrivés à pied
ou en pirogue. Avant de se mettre en route, ils ont été bénis par un jésuite,
une Robe-Noire :
— Bénissez, ô mon Dieu, nos
peines et nos œuvres. Soyez propice à notre chasse. A solis ortu usque ad
occasum, laudabile nomen Domini (« Que
du lever au coucher du soleil, votre nom soit loué Seigneur »).
Et ils sont là. Avec leurs
épieux, leurs tomahawks, leurs arcs, leurs couteaux. Ils n’ont pas oublié la
grande marmite pour les festins, les calumets, les pétunoirs, la viande et les
poissons séchés. A leur tête, Noël Négabamat, et un jésuite qui porte un
coffret contenant les ornements sacerdotaux, les hosties, le vin, les vases
sacrés. En route, aux camps du soir, ils n’ont jamais manqué l’heure de
l’oraison : « On ne manquait jamais, tous les soirs et tous les matins, de
faire les prières en public dans une cabane destinée à cet effet. Les pères et
les mères y amenaient leurs enfants. »
La neige est partout. Parfois, on
a suivi les traces d’un élan ou d’un cerf. Et quand on capture du gibier, on
chante en l’honneur du Vrai Dieu que la Robe-Noire leur a appris à adorer.
Quand on a le temps, on fait sécher à la fumée des quartiers de viande. D’étape
en étape, les plaines succédant aux plaines, les bois aux bois, les nuits aux
nuits, on est arrivé au but. Et ceux-là mêmes qui étaient éloignés (…) se
trouvèrent à point nommé pour chanter des cantiques en l’honneur de l’Enfant
nouveau-né et pour s’approcher de la table où Il a voulu être le mets adorable.
A l’heure où les étoiles ont,
dans la froide et transparente nuit, accompli la moitié de leur cours, les
sauvages assemblés dans la belle cabane-de-la-prière, perdue dans la vaste
solitude toute blanche de la Nouvelle France, entonnent eux aussi en leur langue,
unis à l’Eglise universelle, l’hymne triomphant des anges, annonçant au monde
le commencement des temps nouveaux.
Alain Sanders