lundi 3 novembre 2025

Les libres propos d’Alain Sanders


Notre mémoire 

Il y a 100 ans, la mort de Henry Rider Haggard (1856-1925), l'auteur des  Mines du roi Salomon 

Les Mines du roi Salomon ? Je devais avoir onze ou douze ans quand on m'offrit ce livre. J'allais alors faire connaissance avec Allan Quatermain, white hunter, aventurier, coureur de brousse. Et nous n'allions plus nous quitter.

Il se fit que, bien des années plus tard, alors que je chassais du côté Mont Huye au Rwanda, non loin de Butaré (l'ex-Astrida des Belges), je tombai sur un mystérieux ravin au fond duquel on pouvait apercevoir des ossements humains. Mon pisteur m'expliqua :

– Jadis, on jetait là ceux qui avaient fait du mal à la tribu.

J'étais en pays tutsi et hutu et je ne jugeai pas utile de demander au pisteur– un Tutsi de noble allure – à quelle tribu il se référait. Il m'expliqua encore :

– La nuit les hyènes venaient manger les condamnés.

Plus loin, et alors que nous venions de tirer quelques ikangas (des pintades sauvages en kinyar- wandais), nous arrivâmes sur des ruines de bois et de toiles peintes.

« Là, me dit mon guide, c'est le roi Salomon. »

 II me fallut quelques minutes pour comprendre qu'il s'agissait là des restes du décor du film américain adapté du roman de Henry Rider Haggard et tout simplement intitulé Les Mines du roi Solomon (dans sa version de 1950 ; réalisateur : Compton Bennet ; acteurs : Stewart Granger et Deborah Kerr. En 1937, Robert Stevenson en avait donné une première version avec pour interprètes, Robert Robeson et Anna Lee).

Plus tard, encore, je remontai vers les Monts Virunga, le Ruwenzori et les Monts de la Lune, vers le pays  des mille collines et des sept volcans où le Nil cache l'une de ses sources. La boucle était bouclée et la réalité se mêlait à une fiction elle-même « doublée » par une réalité surnaturelle où seuls Henry Rider Haggard et son héros Allan Quatermain auraient pu se retrouver sans se perdre... Mais je parle de Henry Rider Haggard comme s'il allait de soi que tout le monde le connaisse…

Né en 1856 et mort en 1925, Haggard fut – et cela n'étonnera personne – l'ami intime de Rudyard Kipling. Economiste, spécialiste des questions agricoles et juridiques, il fut un ferme soutien du British Empire et collabora de longues années au Colonial Office. Son œuvre est immense et raconte, en deux principaux cycles romanesque – le Cycle d'Allan Quatermain et le Cycle de She – de fabuleuses aventures qui se situent toutes dans une Afrique mythique où règne une très belle reine blanche qui possède le secret de la vie et de la mort.

Les Nouvelles Éditions Oswald (Néo) ont réédité naguère (et sous d'extraordinaires couvertures signées Jean-Michel Nicollet) de nombreux textes de Rider Haggard, dont Le Peuple du brouillard – où l'on voit Léonard Outram partir chercher en Afrique le trésor qui lui permettra de racheter la demeure de ses ancêtres ; Les Mines du Roi Salomon ; les tomes 1 et 2 de She qui ouvre le  Cycle de She complété par Aycha, La Fille de la sagesse, Aycha et Allan (2 tomes). A propos de She, Henry Miller a écrit : « Ayesha, le véritable nom de cette beauté sans âge, cette âme perdue qui refuse de mourir avant le retour de son bien-aimé, occupe – du moins dans son esprit – une position comparable à celle du soleil dans les galaxies des amants immortels, tous gratifiés du don maudit de l'éternel beauté... »

Il fut un temps où les polygraphes de gauche s'appliquèrent à essayer de récupérer – au prix d'impossibles reptations – l’œuvre de Haggard et les mythes qu'elle charrie. Ces petites malhonnêtetés se retournèrent contre leurs auteurs : Alan Quatermain, Léonard Outram, l'archéologue Horace Holly ou Léo Vincey sont éminemment occidentaux et participent, à ce titre, à la grande épopée du temps béni des colonies. Sans états d’âme particuliers.

On pourrait également gloser à loisir sur la beauté de She (« Elle-qui doit-être-obéie »), la Vénus Victorix régnant sur un peuple de brutes. D'autant que le thème de la « reine blanche » est également très explicite dans Le Peuple du brouillard.

Un exemple de l'OPA gaucharde en direction de Rider Haggard qui fut, répétons-le, un colonialiste sans état d'âme ? Dans une préface à She, ce brave Francis Lacassin (qui essaya aussi, naguère, de  « récupérer » Jack London et Hugues Rebell...) écrit : « S'attachant à montrer la noblesse des Noirs, leur sensibilité secrète plutôt que leur gloutonnerie anthropophagique, confinant le réalisme au décor, sans toutefois le surcharger, Rider Haggard place délibérément l'intrigue sous le signe du surnaturel, de l'invraisemblance, du merveilleux. »

On passera rapidement sur la fin de la phrase (qui révèle un véritable contresens de lecture) pour revenir sur la « gloutonnerie anthropophagique » que Haggard gommerait au profit d'on ne sait quel sirop humain. Et l'on se reportera au chapitre VIII du tome 1 de She, où l'on appréciera – sur plus de 12 pages – une scène de cannibalisme échevelé qui montre bien comment Haggard concevait la « noblesse » et la « sensibilité secrète » des peuples côtoyés par ses aventuriers…

Ouvrez n'importe quel livre de Rider Haggard. Au hasard. Laissez entrer l'aventure. Et laissez-vous porter. Allan Quatermain tire sur sa pipe, se cale sur un siège de bois rouge joliment sculpté et écoute parler le vieux Zikali, merveilleux nain sans âge, connu sous les surnoms de « La chose qui n'aurait jamais dû naître » ou « Le défricheur de sentiers » : « On dit que la ville d'Umslopogars s'étend là-bas dans la plaine. On l'appelle la Cité de la Hache. Elle est merveilleusement protégée, surtout par une rivière qui l'entoure presque complètement. Ses habitants se nomment le peuple de la hache, un groupe sauvage est solitaire... »

Mais je vous laisse : j'ai déjà bouclé mes cantines, décroché mon chapeau de brousse et pris soin de mon fidèle .375 H&H…

Alain Sanders