lundi 27 octobre 2025

Décès d’Antonio Tejero Molina, un soldat debout (1932-2025)



Antonio Tejero Molina, l’homme du « 23-F » (23 février 1981), ce golpe malheureusement empêché par certains de ceux qui – à commencer par Juan Carlos – devaient tout à Franco, s’est éteint au près des siens en octobre 2025. Retour sur le destin d’un Grand d’Espagne.

Le matin du 23 février 1981, le lieutenant-colonel Tejero se présente au parc automobile de la Guardia civil de Madrid. Pour s’entretenir avec le colonel Manchado, chef de l’unité,

Antonio Tejero Molina n’est pas n’importe qui. Né à Malaga le 30 avril 1932, marié, six enfants, il a été nommé chef de la Guardia civil de Guipuzcoa peu après la mort de Franco. Premier incident : il demande sa mutation pour protester contre la légalisation de l’Ikurriña (le drapeau séparatiste basque).

Il est alors nommé à Malaga, sa ville natale. Là, second incident : en 1977, il fait dégager à la grenade lacrymogène une manifestation de gauche pourtant autorisée par le gouverneur civil.

Le ministre de l’intérieur, Martin Villa – un ex-franquiste qui a retourné sa veste – met aussitôt l’officier aux arrêts.

Le 4 septembre 1978, troisième incident. Dans une « Lettre ouverte au roi» publiée par El Imparcial, Tejero demande que ceux qui font l’apologie du terrorisme de l'ETA soient châtiés. Même s’ils sont parlementaires. Cette «lettre » vaut à Tejero 14 jours d’arrêt.

En novembre 1978, quatrième incident. Impliqué dans le complot dit de la Cafeteria Galaxia – il s'agissait d’arrêter le centriste félon Suarez, alors chef du gouvernement et de former un gouvernement de Salut public – Tejero écope, en compagnie du capitaine Sàenz de Ynestrillas, de 7 mois de prison.

A 16 h, ce 23 février 1981 donc, le colonel Manchado réunit la 2e Cie d’Ateliers :

Je demande des volontaires pour une action antiterroriste. Il est temps que la Guardia civil descende dans la rue.

A 17 h 15, neuf autocars pleins à craquer quitte le parc automobile de la Guardia civil.

Le même jour, à 16 h, au QG de la1ère Unité mobile de la Guardia civil, le lieutenant Alonso Arnaiz et le capitaine Muñecas Aguilar distribuent une Star Z-70 (9 mm) à chacun de leurs hommes. À 17 h, un petit car emmène ces soldats vers les Cortès (le Parlement).

Toujours le même jour, toujours à la même heure, au Groupement de la circulation de la Guardia civil, le capitaine Abad réunit quelques gardes et les emmène vers le parc automobile. Au moment de les embarquer dans les autocars de la 2 Cie d'Ateliers, le capitaine précise :

Ne vous en faites pas. Quand un Garde civil exécute les ordres de ses supérieurs, il est exempt de « responsabilité».

De son côté, le sergent Sanchez réunit tous les hommes – 55 au total – qu’il peut rafler au bar de l’Académie de la Circulation de la Guardia civil.

Au total, ce sont 288 Gardes qui, vers 18 h, se retrouvent devant les Cortès où les attend Tejero. Qui leur explique, à ce moment-là, les vrais buts de leur mission. La plupart approuvent sans broncher. Nombreux sont ceux qui attendaient ce moment.

A 18 h 22, Tejero, suivi de quelques dizaines d'hommes – les autres ont été postés autour du bâtiment et à l’intérieur, pénètrent dans l’édifice. Tout va très vite. Les policiers en civil sont désarmés et le discours du député Leopoldo Calvo est interrompu par quelques rafales au plafond. Installé à la tribune, le pistolet à la main, Tejero commande le calme et annonce qu’une «autorité » doit venir. Beaucoup de parlementaires sont à quatre pattes sous leurs pupitres. Le général Gutierrez Mellado, vice-président du gouvernement, fait le malin : « Dehors les mitraillettes ! » Une solide paire de claques, assénée par un caporal, le fait taire.

Adolfo Suarez – ex-chef du gouvernement, il vient de démissionner – fait mine de secourir le général claqué. Tejero le prend par le bras pour le ramener à son siège.

No me detenga ! (« Ne m’arrêtez pas ! »), hurle Suarez.

Os sostengo... (« Je vous soutiens…»), lui répond tranquillement Tejero.

Entre-temps, le général Aramburu, directeur de la Guardia civil, a été alerté. Sa première démarche est de demander des explications au colonel Manchado.

Je pensais que cet ordre venait de vous et du général Armada, explique Manchado.

Pas du tout ! fulmine Aramburu. Allez aux Cortès et récupérez la 2e Cie !

Manchado n’exécutant pas l’ordre, Aramburu le fait immédiatement arrêter : lui, son secrétaire, trois officiers et trois gardes. Puis il se rend lui-même aux Cortès. Il est alors 19 h 10 et l’ambiance est plutôt tendue.

Lieutenant-colonel Tejero, je vous somme de vous retirer.

Pas question, mon général ! Je suis prêt à tout – et même à me suicider – plutôt que de me rendre.

Aramburu fait mine de dégainer. Son aide de camp lui arrête le bras. Il est temps : trois Gardes civils ont braqué leurs mitraillettes sur le général. Furieux, Aramburu sort des Cortès et convainc 68 Gardes civils d’abandonner leurs camarades. Et les choses, pour l’heure, en restent là.

Ce même 23 février, la Division blindée Brunete (du nom d’une victoire sur les Rouges pendant la guerre civile), cantonnée à Madrid, est en effervescence. Le général Torres Rojas, gouverneur militaire de la Coruña et ancien chef de la Brunete s’est présenté aux quartiers de la DB. Pour y demander une réunion de tous les officiers d’état-major de l’unité. Sous les yeux effarés du général Juste, qui commande la Brunete, le commandant Pardo Zancada, officier de renseignements de la Division, explique à ses camarades qu’un fait « extraordinairement grave » va se produire à Madrid – il est alors 16 h 30 –, que la Brunete doit assurer l’ordre dans la 1ère Région (Madrid), que la 3e Région (Valence) est déjà prête.

Le signal sera un fait grave révélé à la radio et à la télé. Tout se déroulera avec l’accord du roi. Le général Armada est au courant de tout et il se trouve déjà aux côtés du roi.

Toutes ces indications sont confirmées par Torres Rojas. Inquiétude du général Juste :

Je souhaite rendre compte de tout cela au chef de la 1ère Région, le général Quintana.

Le général Milans del Bosch [en charge de la 3 Région] se charge de tout ça, lui répond Torres Rojas.

Quand il apprendra l’occupation des Cortès, Juste essaiera vainement d’entrer en contact avec le général Armada au Palais royal. Il va alors appeler Quintana qui lui donne l’ordre de ne pas faire bouger la Brunete. Cet ordre privera les putschistes d’un appui primordial. Seuls le 14e régiment de Cavalerie et un régiment du Génie occuperont la télévision et la radio d’Etat.

Tandis que Quintana met en alerte les Forces spéciales de l’armée pour les lancer contre les putschistes, Pardo Zancada prend la tête de la compagnie de la Police militaire de la Brunete (une centaine d’hommes) et se porte en renfort de Tejero.

Milans del Bosch est un authentique héros nationaliste. Né en 1905, fils, petit-fils, arrière-petit-fils de généraux, il est entré à l’Académie militaire de Tolède en1934. Comme Cadet, il participe à la défense légendaire de l’Alcazar. Il y est blessé. À la fin de la Croisade, il est capitaine de la Légion et compte trois blessures de plus. Engagé sur le Front de l’Est, il y glane décorations et une cinquième blessure.

Professeur à l’Ecole d’état-major, puis à l’Ecole de guerre navale, lieutenant-colonel en 1957, il sera attaché militaire en Argentine, en Uruguay, au Chili, au Paraguay. Colonel en 1965, il commande le 31e Régiment.

En 1971, général de brigade, il commande la 11e Brigade mécanisée de la Brunete. En 1974, il prend le commandement de la division. En1977, il est chef de la 3e Région militaire.

Le 23 février, après, avoir suspendu les pouvoirs civils et mis la région de Valence en état d’urgence, Milans del Bosch fait donner les blindés. Dans les Cortès, Tejero ordonne que certains parlementaires soient enfermés à part. À commencer par Felipe Gonzalez, chef du parti socialiste alors mais, dans les années 50, chef de centurie des Jeunesses phalangistes…Un traître d’anthologie. Suivront le général Gutierez Mellado, très excité. Alfonso Guerra, n° 2 du parti socialiste (et frère du Guerra qui fut, quelques années plus tard, au centre du scandale des fausses factures du PS espagnol).Santiago Carillo, vieille charogne stalinienne qui a fait fusiller 12 000 nationalistes, femmes et enfants en masse, à Paracuellos de Jarama. Agustin Sahagun, centriste et ministre de la Défense.

Ici et là, les Gardes civils crient Arriba España! Quand ils apprennent que l’état d’urgence est décrété à Valence, ils applaudissent : « Nous avons réussi ! Vive Tejero ! »

Par téléphone, Tejero est entré en contact avec Francisco Laina, directeur de la Sécurité de l’Etat. Puis avec Milans del Bosch. Vers minuit, les généraux Armada et Aramburu demandent à rencontrer Tejero. Aramburu est repoussé par les Gardes civils, mais Armada est autorisé à entrer dans les Cortès.

Quel rôle joue vraiment Armada ? Cet homme, qui s’est engagé comme simple soldat en 1937, a une belle carrière : précepteur du jeune Juan Carlos, il a commandé le 4e Division alpine. De cœur avec les putschistes, semble-t-il, il déclare vouloir former un gouvernement de Salut public. « Ce n’est pas dans le plan, dit Tejero. Je refuse. » Revenu à l’hôtel Palace où l’attendent Aramburu, Laina et Mariano Nicolas (préfet de Madrid), Armada leur déclare :

Le roi s’est trompé. Il a rompu avec l’armée. Je vais former un gouvernement de Salut public.

Ce que ne sait pas Armada, c’est que le roi I'a désavoué, que les Groupes d’intervention de la police ont repris la télévision et que Juan Carlos – revêtu d’un uniforme militaire – va condamner fermement les putschistes.

À part quelques gauchistes qui, à l’abri des barrages de police, braillent le poing levé devant les Cortès, les rues sont calmes. Les phalangistes qui se sont présentés dans les casernes ont été courtoisement éconduits,

Ayant appris que la Brunete n'a pas bougé, Milans del Bosch, après avoir parlé au roi par téléphone, se constitue prisonnier.

Le lendemain, à 12 h 34, Tejero et ses hommes se rendent. Tejero, Armada, Milans del Bosch, le capitaine de vaisseau Mendez Vives, le colonel San Martin (de la Brunete), le colonel Manchado, le commandant Pardo Zancada, un civil, Juan Garcia Carrès (ex-dirigeant d’un syndicat phalangiste), 225 Gardes civils sont jetés en prison. Cent quatorze nationalistes sont interpellés.

A part Tejero – à qui les dames de Madrid ont fait parvenir une paire… d’œufs en or… – tous les putschistes seront relâchés après quelques années de prison (gravement malade, Milans del Bosch a été élargi en1990). Condamné à trente ans de prison, Tejero bénéficiera d’un régime ouvert en 1993. Il sera libéré – sous le régime de la liberté conditionnelle – en 1996. On le vit, le 24 octobre 2019, à la porte du cimetière Mingorrubio pour s’opposer aux Draculas du régime qui procédaient à l’exhumation de Franco et sa (ré)inhumation.

L'erreur des putschistes ? Ne pas s’être assuré de la personne de Juan Carlos. Mais la vérité de l’échec est dans cet aveu d’un officier qui ne put se joindre au putsch :

Notre mouvement a échoué à cause de Franco. Nous avions appris à obéir à ses ordres. Quels qu’ils soient. Y compris celui d’obéir à Juan Carlos comme à lui-même. Le 23 février, nos chefs ont tenu leur promesse au prix de leurs plus profondes convictions. La fidélité au serment prêté à Franco a été la meilleure arme de Juan Carlos.

Après l’échec du coup, on vit défiler coude à coude la droite courbe (Fraga Iribarne) et l’extrême gauche sanglante (Santiago Carillo). Et on se mit à raconter, dans les cafés, de bonnes blagues : « Un Garde civil demande à un autre Garde civil : “Que penses-tu de la situation ?” “La même chose que toi” – “Alors je t'arrête !” »

A Madrid, quelques jours après le 23 F, un attentat de l'ETA – en contact depuis 1979, au moins, avec le KGB – ratait de peu le général Andrés Gonzalez, mais faisait tout de même 12 morts. Le 7 mai, le lieutenant -colonel Tevar, le sergent Noguera et le caporal Rodriguez tombaient sous les coups des tueurs basques.

L'Espagne de Juan Carlos el pelele était revenue à la normalité… Elle n’a cessé de dégringoler depuis.

Demeurent le souvenir et la résilience de ceux qui, comme Tejero, parti rejoindre les oies sauvages, tienen cojonès y fidelidad !