L’humiliation d’un gamin tondu par des « éducateurs » sadiques ? Certes. Alors que cette indignation légitime nous permette de rappeler les « tondeurs patriotes » de la Libération…
C’est un fait divers sordide, survenu en février dernier, mais seulement divulgué début décembre : un enfant de 8 ans, recroquevillé sur une chaise, tondu par des « éducateurs » d’un foyer de l’Aide (sic) à l’enfance sociale du XIIIe arrondissement de Paris. Ils s’étaient de surcroît filmés sur un groupe WhatsApp en train de lui raser la tête et de se moquer de lui. Pour l’éducatrice en chef, il s’agissait de punir, on ne sait pas trop de quoi, le gamin. L’autorité judiciaire a été saisie, une enquête administrative a été diligenté, l’équipe de coiffeurs sado-amateurs a été écartée. Très bien. Rien ne saurait « légitimer » de tels actes.
Reste que cette tonte en public, humiliations et moqueries à la clef, a réveillé en moi le souvenir jamais éteint des ignobles « coupeurs de cheveux » de 1944. A la différence des bourreaux du gamin tondu, ils n’ont jamais été inquiétés ou poursuivis, eux…
Aussi loin que ma mémoire politique me porte, rien – sinon l’orgie sanglante de la Terreur – ne m’a fait plus horreur que ces salopards qui, à la Libération, arrêtèrent de malheureuses femmes pour les tondre. Pour les tatouer de sigles infamants. Pour les promener nues, sous les crachats de la populace, dans les rues. Pour les violenter souvent. Pour les tuer parfois.
J’ai regardé souvent les photos et les petits films de l’époque représentant ces abominations. En scrutant les visages haineux (des hommes, mais aussi de quelques femmes) de ces coiffeurs circonstanciels, je me disais naguère qu’il aurait été bon de les retrouver. Et de leur demander des comptes. Le temps est passé et il ne doit guère en rester beaucoup de vivants.
Regardez-les ces images, regardez-les ces femmes, entrez dans leur chagrin et, malgré la peur qui les submerge, regardez comme elles restent dignes pour ne pas donner prise aux pulsions perverses de leurs tourmenteurs. Et regardez les trognes de ceux qui les agressent, ces trombines de petites frappes, de maritornes, de tricoteurs…
A Bordeaux, à la caserne Carayon-Latour, la femme d’un homme désigné – à tort – comme milicien est incarcérée après un passage à tabac en règle. Folle de terreur, elle va se jeter du second étage du bâtiment. Deux jambes brisées. On la ramasse. Pour la soigner ? Non. Pour la torturer plus. Un « résistant » lui coupera notamment le bout des seins. Je pense aussi aux martyres du « commandant » Gonzalès de Marseille, des « colonels » Adeline et Druilhe de Bordeaux, du « commandant » Soleil qui sévissait en Dordogne, de l’« adjudant » Becker à Tronçais. Je pense à vous Jacqueline, Esther, Jeanne, Marie, Andrée…
Dans sa chanson intitulée La Tondue, Georges Brassens dit : « J’aurais dû prendre un peu parti pour sa toison/J’aurais dû dire un mot pour sauver son chignon/Mais je n’ai pas bougé du fond de ma torpeur/Les coupeurs de cheveux en quatre m’ont fait peur ».
Je pourrais donner d’autres exemples insupportables de ces ignominies. Mais, comme l’époque est molle et adepte du déni, je vous renvoie à deux ouvrages : La Chance de s’en tirer de Jeanne Grosman et J’étais à Tronçais de Nicole Gauthier. Vous n’en ressortirez pas intacts. Mais encore plus sceptiques si faire se peut, sur la nature humaine…
Alain Sanders