lundi 1 décembre 2025

Les libres propos d’Alain Sanders


 

Le cas Witkoff : à ce degré de connivence avec Moscou, ça en devient de la complicité…

Steve Witkoff est un homme d'affaires new-yorkais, issu de l’immobilier. Sans formation diplomatique classique, Trump régnant, il est devenu « émissaire spécial » pour des missions délicates concernant l’Ukraine, le Moyen-Orient et la Russie. Malgré son manque de background diplomatique, il s’est retrouvé en première ligne de négociations internationales. Un choix déjà controversé.

Dans des interviews récentes, il a déclaré à plusieurs reprises qu’il ne considérait pas le Vladimir Poutine comme un bad guy (« un mauvais type »). En 2025, Witkoff a effectué plusieurs voyages officiels à Moscou où il est reçu comme un ami (comme un « allié », disent certains).

Lors d’une visite en avril dernier, il avait eu un entretien de trois heures avec Poutine, entretien au terme duquel il avait été question d'une possible reprise des « négociations directes » entre la Russie et l’Ukraine. Le Kremlin avait qualifié cette rencontre de « constructive et utile ». Tout en continuant à bombarder l’Ukraine nuit et jour.

En août dernier, une nouvelle visite avait été confirmée — moins de 48h avant l’ultimatum bidon imposé par les États-Unis à la Russie concernant le conflit ukrainien. Ce qui a alimenté (et le mot est faible) les accusations de « connivence » avec le Kremlin.

Witkoff avait notamment choisi de ne pas emmener d’interprètes américains lors de ses échanges avec les Russes, se reposant exclusivement sur des traducteurs fournis par le Kremlin. Un choix largement critiqué comme une dérogation (du jamais vu) aux protocoles diplomatiques standard : pour les diplomates chevronnés, « la langue n’est jamais la même » lorsqu’on utilise des traducteurs du pays hôte.

Lors de ses interviews, Witkoff évoque régulièrement la possibilité de « refaçonner les relations russo-américaines » autour « d’opportunités commerciales très convaincantes » — une approche priorisant les intérêts économiques, potentiellement au détriment des considérations politiques ou morales.

Aux Etats-Unis, jusque dans le camp républicain, des analystes et des diplomates s’inquiètent que ces missions, menées par un homme dont le profil n’est pas celui d’un diplomate traditionnel, correspondent moins à une stratégie diplomatique « neutre » qu’à une forme d’« ouverture privilégiée » (litote) à Moscou.

Les récents échanges entre Witkoff et des officiels russes, notamment des hauts responsables du Kremlin, ont provoqué des réactions vives. Certains parlementaires américains ont parlé de « trahison » — estimant que Witkoff conseillait Moscou sur la façon d’obtenir des avantages dans un éventuel plan de paix en Ukraine (1).

Le plan de paix proposé par Washington (sorte de copié-collé des exigences russes) renforce l’idée que Witkoff agit comme un intermédiaire ouvertement pro-russe.

A un tel degré de connivence, on peut parler de proximité idéologique, de liens de faveur, de complicité. Les éléments suivants alimentent ce soupçon : l’abandon des usages diplomatiques classiques (interprètes neutres, diplomates de carrière) ; un narratif empreint de sympathie ou d’admiration pour le pouvoir russe, narratif public et assumé ;

des missions à haute responsabilité malgré un profil atypique, ce qui laisse planer le doute sur les motivations réelles (intérêts économiques, personnels, alignement idéologique).

Ajoutons l’évidence que les propositions résultant de ces rencontres semblent largement conformes aux lignes de Moscou, ce qui signale un déséquilibre entre médiation et complaisance. Ce qui décrédibilise les États-Unis aux yeux de leurs alliés : confier des dossiers aussi sensibles à une figure controversée jette le doute sur l’authenticité et l’équilibre de la diplomatie américaine. Les relations russo-américaines sont désormais perçues comme une récompense pour Moscou, au détriment bien évidemment du soutien à l’Ukraine.

On ne peut pas — à ce jour — démontrer formellement qu’il y a collusion au sens juridique du terme entre Witkoff et Moscou. Mais le cumul d’éléments inquiétants (profil atypique, ton pro-russe, choix des protocoles, résultats favorables à la Russie) suffit à alimenter un climat de suspicion et à légitimer le mot « complicité ». Le seul espoir de renverser la vapeur ? Marco Rubio, très anticommuniste et très remonté contre Witkoff. Mais nous y reviendrons.

Alain Sanders

(1)  Rappelons la teneur de l’échange téléphonique du 14 octobre dernier entre Steve Witkoff et son « ami » et homologue russe Iouri Ouachakov :

-       Ouachakov : « Mon ami, je voudrais juste ton avis : penses-tu que ce serait utile que nos chefs se parlent au téléphone ? »

-       Witkoff : « Je pense que dès que vous le proposerez (sic), mon gars (Trump) sera prêt à le faire. Iouri, voilà ce que je vous conseille : j’appellerais simplement pour redire que vous félicitez le président Trump pour cette réussite (le plan pour Gaza), que vous l’avez soutenu, que vous respectez qu’il soit un homme de paix et que vous êtes vraiment heureux d’avoir vu cela arriver. Voilà ce que je dirais… Je pense qu’à partir de là l’échange sera très bon »