Ils sont devenus bien délicats, les héritiers du « rasoir républicain »…
A l’occasion de l’entrée de Robert Badinter au Panthéon, le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCem) de Marseille va exposer une des deux guillotines qui sont encore conservées dans les collections des musées français.
Le chef installateur de ladite guillotine, un certain Hervé, a dirigé la manœuvre qui consistait à monter – une quarantaine de pièces à assembler façon IKEA, mais sans notice de montage… – le « raccourcissement patriotique » emblématique du terrorisme des Grands Ancêtres …
Sera cependant absent de cette exposition républicaine le panier en osier qui accompagnait la guillotine pour recevoir la tête ensanglantée. Il paraît que ce serait « trop suggestif » pour le public. Même absence – et pour les mêmes raisons – de la corde qui commandait le hissage de la lame avant qu’elle ne s’abatte sur le cou du malheureux préalablement poussé vers le passe-tête…
La guillotine exposée au MuCem avait été présentée en 2010, au Musée d’Orsay pour illustrer l’exposition « Crime et châtiment ». Déjà, à cette époque, histoire de ne pas « choquer le public », elle avait été recouverte d’un voile de gaz rose (sic)…
Ils sont devenus bien délicats et un rien chochottes, les héritiers du « rasoir républicain ». Pourquoi avoir honte, pourquoi ne pas assumer, « l’instrument » le plus symbolique de la République qui, des années durant, s’est bâtie sur l’usage frénétique de cet outil de mort ? Il y en avait une à Paris, bien sûr, avec ses charretées quotidiennes de victimes, dont le roi et la reine martyrs. Mais il y en avait aussi en province et, quand il n’y en avait pas, on en transportait une convoyée, sous escorte, par les VRP de la Terreur.
Badinter, qui a fait voter l’abolition de la peine de mort en 1981, avait, alors qu’il était avocat, vu fonctionner, sur un condamné à mort qu’il n’avait pu sauver, la guillotine. Dans la cour de la Santé. Il en avait été bouleversé. On le serait à moins. Il dira : « Elle avait l’air d’une espèce d’idole sanglante qui attendait sa ration de mort ».
Non : pas « une espèce d’idole », mais l’idole de la République. Même si, aujourd’hui, on feint de l’oublier et qu’on fait la fine bouche quand elle est exposée à des fins supposées pédagogiques.
On nous dit qu’à Marseille, la guillotine est dressée « en pleine lumière afin de nous mesurer au souvenir d’une justice sanglante au sens propre, et encore récente ». Très bien. Mais pourquoi se limiter à ce « encore récente » ? Pourquoi « omettre » de dire que cette « justice sanglante » eut, pour desservants empressés et acteurs dévots, Danton Robespierre, Saint-Just, Marat, Fouquier-Tinville, Carrier (inventeur de surcroît, pour aller plus vite, des « chapelets républicains » à Nantes). Et tant d’autres qui ne tinrent (et se maintinrent) au pouvoir – avant de goûter eux-mêmes à l’horreur – que grâce à ce monstrueux outil.
On nous dit encore qu’au MuCem un gardien de salle surveillera en permanence l’idole républicaine. Ils ont peur de quoi ? Que des robespierristes (il y en a encore et jusqu’à l’Assemblée nationale) s’en emparent en prévision du grand soir ?
Alain Sanders