vendredi 26 septembre 2025

Les libres propos d’Alain Sanders


Notre mémoire

1885-2025 : Le Petit Tambour de Dong-Yen (Tonkin)

Fin 1884, une trentaine de légionnaires, commandés par le lieutenant Joneau, progressent en direction de Dong-Yen, au nord-ouest de Hanoi. Leur mission ? L’éradication des Pavillons noirs qui prétendent interdire à nos troupes d’avancer vers Tuyen-Quan.

Début janvier 1885, une embuscade est tendue aux pirates. Aux côtés de légionnaires, non pas un Clairon comme c’est l’habitude, mais un Tambour de 16 ans, Robert Bouchony. Engagé volontaire pour se battre au Tonkin.

A quelques heures de l’engagement, il a reçu consigne de ne se servir de son tambour que sur ordre du lieutenant Joneau ou de son adjoint, l’adjudant Caraillon.

Pendant la marche d’approche, le jeune Tambour perd contact avec la colonne. Il s’aperçoit vite que, non seulement il est seul mais que, de surcroît, il est cerné par les Pavillons noirs.

Sans se démonter, il prend son tambour et commence à effectuer une série de roulements. Parfois lents. Parfois rapides. Des longs. Des courts. Ce qui lui vaut d’être vite repéré par l’ennemi qui se porte à sa hauteur.

Au moment où il va être capturé, il change de rythme et bat la charge. Ce qui a pour effet de stopper les Pavillons noirs dans leur élan. Les sonneries des clairons de l’armée française, ils connaissent, mais ces roulements de tambour joués par un gamin les intriguent.

Bouchony, lui, ne s’est pas arrêté de jouer. Alternant les roulements longs et courts. Ne s’interrompant que pour porter un doigt à ses lèvres et faire d’étranges grimaces comme pour signifier aux Pavillons noirs qu’ils n’ont pas encore tout vu… Les pirates, comme tétanisés, regardent ce gamin qui les défie.

Le lieutenant Joneau et ses hommes, en progression à quelque cinq cents mètres, ont entendu le tambour.

- C’est Bouchony, dit l’adjudant Caraillon. On lui avait pourtant dit de ne tambouriner que sur ordre…

- Tais-toi. Ecoute. Ce ne sont pas des roulements réglementaires, il doit se passer quelque chose, dit le lieutenant Joneau.

- Ben, je dirais que ça ressemble à du Morse, dit Caraillon.

- Du Morse ? Tu as raison, c’est du Morse…

- Je ne connais pas le Morse.

- Moi, si…

Le lieutenant Joneau déchiffre vite le message : « Au secours… vite… je suis encerclé… vite… derrière le bois de bambous… vite… vite… au secours… ».

En quelques minutes, les légionnaires sont au contact des Pavillons noirs. Ils en tuent un grand nombre, en blessent encore plus et font une cinquantaine de prisonniers. Le couraguex Tambour, lui, n'a pas une égratignure.

Deux mois plus tard, sur le pont du Vinh-Long, le général Brière de L’Isle décore Robert Bouchony.

- Qu’est-ce qui te ferait plaisir ?

- D’apprendre à jouer de la grosse caisse.

- De la grosse caisse ! Et pourquoi ?

- Pour être sûr d’être secouru plus vite la prochaine fois…

Alain Sanders