lundi 19 mai 2025

France-Algérie, le double aveuglement

 

Une fois encore, Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie (ce qu’il fut à deux reprises), vient de publier un ouvrage tout à fait remarquable par la qualité de ses informations et par sa clarté sur un des sujets les plus constamment brûlants de la politique française, à savoir la politique algérienne de la France, ou plutôt l’absence de politique de la France envers l’Algérie depuis 63 ans.

On peut, pour se faire une idée du contenu du livre, en commencer la lecture par… la conclusion ! Dans celle-ci, Driencourt écrit en effet notamment que la première condition d’une autre politique  algérienne de la France est de « parvenir à séparer les aspects de politique intérieure et ceux de politique étrangère ». Il précise : « C’est ce mélange des genres qui nous a empêchés d’être lucides depuis 1962. De fait, nous devrions ne traiter l’Algérie qu’à travers la politique étrangère, cesser de considérer qu’elle fait partie de notre politique intérieure : avoir sur elle un regard objectif, clinique, moins passionné ; parvenir à traiter l’Algérie comme nous traitons l’Allemagne, l’Australie ou l’Argentine… »

Et d’en venir à la seconde condition : « distinguer les Algériens de l’Algérie, distinguer le peuple et le ‘système’ ».

Il nous invite à cette interrogation : « Qu’avons-nous donc gagné à délivrer des titres de séjour à de nombreux VIP algériens sans compensations, sauf à être humiliés et à nous faire claquer la porte au nez ? Nous croyons encore trop aujourd’hui qu’Alger, sensible à nos sourires et à nos paroles aimables, nous aidera et nous « renverra l’ascenseur », alors que son objectif véritable, on le voit clairement dans la crise actuelle, est d’humilier l’ancien colonisateur et son président ». Il faut donc « parvenir à cette double séparation mentale chez nos hommes politiques, séparation entre la politique étrangère et la politique intérieure, distinction entre le ‘système’ et le peuple algériens. C’est une véritable révolution culturelle que nous devons faire ».

Pour accomplir cette révolution culturelle, Xavier Driencourt propose dans sa conclusion de suivre la méthode consistant d’abord à « établir un rapport de force ou, si l’on préfère une forme de réciprocité nécessaire ». Il écrit : « Il faut commencer par utiliser les leviers dont nous disposons : échange de lettres de 2007, accord de 1968, négociation avec l’Union européenne, arme des visas, contrôles fiscaux ciblés contre des VIP algériens, contrôle de la grande mosquée de Paris, etc. Une fois cela fait, il restera à normaliser nos relations, retrouver l’équilibre entre l’Algérie et le Maroc, soutenir Alger quand il le faut sans forcément épouser tous ses souhaits, aider Rabat quand cela est nécessaire. Cela suppose que nous sortions du tête-à-tête dans lequel Alger nous a enfermés et dans lequel nous sommes tombés et dont nous ne parvenons pas à nous extraire ».

Pour en arriver là, ne faudrait-il pas tout simplement que nos dirigeants aient un peu de courage et de caractère ?

On lira donc avec le plus vif intérêt les différents chapitres par lesquels Xavier Driencourt nous amène de la description de la relation devenue toxique de la France et de l'Algérie à une "brève histoire des relations France-Algérie" et nous trace encore les moyens selon lui de sortir du piège algérien et de l'impasse marocaine. 

Mais, prenant le livre par son commencement, on lira ensuite avec le plus grand intérêt les chapitres successivement consacrés au double aveuglement français et à la double fragilité algérienne, aux réseaux algériens en France et au nouveau débat sur l'immigration algérienne. 

Grand ami de Boualem Sansal, on ne s'étonnera pas que l'épilogue du livre soit consacré à ce dernier avec les mots qui conviennent : "Un fiasco révélateur de notre aveuglement".