Ukraine : ne rien lâcher ou disparaître...
Au moment même où nous écrivons, des troupes russes font mouvement au nord et au sud de l'Ukraine. Pour se positionner dans les régions de Soumy, de Kharkhov et de Zaporjjia. Dans le même temps que les villes ukrainiennes sont pilonnées à mort nuit et jour. Alors parler à longueur de jours de négociations en cours, de cessez-le-feu possible, d'arrêts éventuels des combats, voire de paix au bout du chemin, a quelque chose de dérisoire. Pire : d'obscène.
Les buts de la guerre déclarée par la Russie sont sans équivoque : s'emparer des territoires ukrainiens et de leurs ressources. Mais plus encore, comme l'écrit Oleksandra Matviichik, Prix Nobel de la Paix : « Poutine n'a pas lancé cette guerre pour prendre plus de terres, mais pour occuper et détruire l'Ukraine, et rétablir l'empire russe ». Tout le reste n'est que piètre littérature pour diplomates en mal de sujets de conversation.
Pour l'heure, Moscou occupe plus de 20% du territoire ukrainien (ramené à la France, cela équivaudrait à son amputation de la région Grand Est, de la Bourgogne et de la Franche-Comté) : la Crimée, bien sûr, et quatre oblasts (Louhansk, Donetsk, Zaporijjia, Kherson). Au vrai, à part l'oblast de Louhansk, contrôlé à près de 90% par Moscou, les autres oblasts sont l'objet de combats acharnés (et pas toujours à l'avantage des Russes et de leurs supplétifs tchétchènes et nord-coréens, comme l'instillent les journalistes poutinistes en France). Comme sur le fameux saillant de Koursk (qui devait tomber en deux jours selon le narratif trumpoutinien), les forces ukrainiennes font plus que résister dans les oblasts envahis. Des territoires à quoi Moscou – et désormais Washington, si on a bien compris – s'accrochent comme des arapèdes à leurs rochers : des « terres rares » riches en fer, en titane, en zirconium notamment.
Dès le début de l'invasion, les Russes ont ainsi pris le contrôle de l'immense centrale de Zaporijjia (six réacteurs nucléaires). Trois ans plus tard, la centrale ne produit toujours plus d'électricité. Elle produisait 20% de l'électricité ukrainienne. Depuis 2022 l'Ukraine, raccordée au réseau électrique européen, a fait son deuil de la centrale où campent les Russes. « Pas question de lâcher Zaporijjia et sa centrale », proclame Moscou. Sauf que, la semaine dernière Trump a réclamé, là encore, sa part du gâteau : « Il est aussi question d'une très grande centrale électrique – qui va l'avoir ou qui va avoir ceci ou cela ». La logique voudrait qu'elle revienne à ses légitimes propriétaires, les Ukrainiens. Mais on l'a compris : le partage des dépouilles de l'Ukraine est programmé sans l'Ukraine.
Ce serait cependant compter sans Zelensky (dont on ne saluera jamais assez l'héroïsme) : « Pour l'Ukraine, reconnaître les territoires ukrainiens comme russes est une ligne rouge. Nous ne la franchirons jamais ». Zelensky, au grand dam de Trump et de Poutine, continue de bénéficier de l'appui massif (plus de 70%) des Ukrainiens. Ce qui a fait reculer la tentation de Trump, sous l'oeil gourmand et complice de Poutine, de le faire « dégager » pour le remplacer – et il y a des candidats, hélas – par un collabo de circonstance.
Dans les territoires occupés, c'est la terreur au quotidien : élimination des maires, des journalistes, des enseignants ; interdiction de la langue ukrainienne ; destruction du patrimoine ukrainien ; arrestations en masse (selon de nombreux témoignages « on peut être emprisonné, abusé sexuellement, torturé à mort pour avoir exprimé son identité ukrainienne ») ; enfants ukrainiens (au moins 20 000) déportés en Russie pour y être systématiquement « rééduqués » ; etc.
Oleksandra Matviichuk, déjà citée, explique encore : « Les Russes ont besoin de cette cruauté pour liquider les minorités actives et en faire des exemples : voilà ce qui arrivera à quiconque ne sera pas loyal. La souffrance sert à briser la résistance. C'est devenu une composante de la culture russe qui, pour nous, ne se résume pas aux ballets classiques, mais comprend Boutcha et ses dépouilles de civils disséminés le long des routes. Depuis trois ans, nous avons déjà documenté 81 000 crimes de guerre ».
Quasiment seuls désormais, quasiment abandonnés et abreuvés de belles paroles inutiles, trahis ignominieusement, les Ukrainiens ne lâchent pourtant rien. Ce peuple est admirable.
Alain Sanders