Alors que nous admirons notamment l’œuvre magnifique du Puy du Fou de monsieur Philippe de Villiers, nous n’en sommes que plus légitimement attristé lorsqu’il reprend à son compte sur les origines de l’Ukraine et de la Russie les arguments les plus fallacieux de la propagande stalino-poutinienne.
Ainsi, dans un très long entretien donné au « JDNews » de cette semaine, répond-il à la question : « la Russie est-elle selon vous pour la France une menace existentielle ? » : « La Russie a expliqué à la réunion de Ryad qu’elle a, avec l’Ukraine, une relation historique ancienne. C’est à Chersonèse qu’a eu lieu le baptême de Vladimir, c’est à Kiev qu’a eu lieu le baptême du peuple russe. Il y a entre ces deux peuples slaves une relation affective ancienne et même fondatrice. C’est la raison pour laquelle la Russie, depuis 40 ans, s’oppose, et on peut le comprendre, à ce que l’OTAN, qui ne cesse de s’élargir, finisse par avaler l’Ukraine ».
En publiant notre ouvrage "L'Ukraine face à Poutine", nous avions fait un sort à semblable fallacieuse argumentation, au demeurant déjà totalement démontée par le pape saint Jean-Paul II. Ce dernier, en effet, ne se trompa nullement lorsqu’en 1988 il célébra le millénaire du baptême de l’Ukraine, rappelant qu’elle était appelée à l’origine « Russ de Kiev » ou encore Ruthénie. Il rappela que la Russ fut convertie au X° siècle par saint Cyrille, recevant ainsi définitivement l’influence de la civilisation de Byzance-Constantinople.
Notons que le grand schisme entre catholiques et orthodoxes ne se produira que le siècle suivant. « Les règnes des grands rois Volodymir le Grand et Jaroslav le Sage marqueront très positivement ce X° siècle avant qu’il ne soit terni par des conflits féodaux. Attachée à Byzance par sa conversion au christianisme en 988, la Rus’ est dès cette époque de plus en plus liée aussi à l’Europe latine par beaucoup de liens commerciaux. Mais aussi des échanges culturels et même matrimoniaux et dynastiques. On garde notamment dans la mémoire franco-ukrainienne le mariage en 1051 d’une fille du roi Jaroslav, Anne de Kiev, avec le roi de France, Henri I°.
C’est en 1147 que, loin de Kiev, va naître la ville de Moscou à partir de laquelle sera créée en 1276 la principauté du même nom, ou Moscovie. »
Nous avions bien sûr, préalablement à la rédaction de notre livre, lu l’ouvrage majeur de Roger Tisserand, grand historien de l’Ukraine : « la vie d’un peuple, l’Ukraine », sous-titré « la destinée magnifique et douloureuse d’un grand peuple », (Paris, librairie orientale et américaine – GE Maisonneuve, 1933). On peut lire à la page 21 : « Quand la Moscovie eut pris le nom de Russie (Rossia) l’habitant de la Ruthénie (Rouss) s’appela Ruthène ou ukrainien… et garda comme unique capitale Kiev « mère des îles ruthènes ».
Et plus loin (p22) : « Tandis que le pays qui est l’Ukraine connaissait une bonne part de la civilisation méditerranéenne, la Moscovie demeurait une contrée semi-hyperboréenne, presque barbare, toute enveloppée de fabuleuses légendes… ».
On le mesure, Philippe de Villiers n’a pas, sur la distinction à faire entre la Russie et l’Ukraine, la culture de Saint Jean-Paul II !
Enfin, pour ce qui est de sa remarque sur les relations de la Russie et de l’OTAN, elle est particulièrement cocasse, comme si ce n‘était, au cours des siècles, la Russie qui n’a cessé d’avaler l’Ukraine ! Nous renvoyons ici à tous les ouvrages majeurs qui ont été écrits après l’invasion de 2022 et que manifestement Philippe de Villiers n’a pas lus, et notamment parmi les derniers en date « la crucifixion de l’Ukraine » sous-titrée « Mille ans de guerre de religion en Europe » de l’historien et éditeur Jean-François Colosimo, adversaire acharné du stalino-poutinisme.
Relevons enfin que Philippe de Villiers fait partie de ceux qui, en d’autres occurrences, citent Alexandre Soljenitsyne pour dédouaner le système poutiniste.
On peut lire pourtant dans le petit ouvrage du grand écrivain « Comment réaménager notre Russie » (Editions Fayard) les lignes suivantes (p 23) : « Bien entendu, si le peuple ukrainien désirait effectivement se détacher de nous, nul n’aurait le droit de le retenir de force…. ». Ceci enfin : « Nous devons nous incliner bien bas devant la Biélorussie et l’Ukraine pour l’immense malheur de Tchernobyl, provoqué par les arrivistes et les imbéciles du système soviétique et le réparer comme nous pouvons ».
Citons enfin pour Philippe de Villiers les lignes ci-après du prologue de Jean-François Colosimo à son livre cité ci-avant : « Il y a indéniablement une langue et une culture ukrainiennes. Il est surtout en Ukraine une mentalité et une sociabilité originales, une forme de slavité méridionale qui ont pour traits particuliers une religiosité quiète et une diversité féconde… une ambition persévérante à constituer une entité indépendante. Cette volonté court en filigrane de la Russ médiévale de Kiev, le lieu du baptême des slaves orientaux en 988, à l’Hedmanat moderne de Ruthénie, la confédération des cosaques zaporogues fondée en 1649 et aux Républiques contemporaines proclamées en 1917 puis en 1991, celle d’aujourd’hui ratifiée par un référendum auquel les ukrainiens, nonobstant leurs particularités, ont répondu unanimement oui. »
On le voit, Philippe de Villiers, quand il veut parler de l’histoire de l’Ukraine, s’aligne hélas sur le discours idéologique poutinien plus que sur tous les grands historiens dont Colosimo n’est que l’un des derniers.