Non, je ne regrette rien !
Charles Dumont, Édith Piaf, la Légion et le 1er REP
Charles Dumont, qui nous a quittés le 17 novembre dernier, à l'âge de 95 ans, aura été l'un des plus grands auteurs-compositeurs français. Il est à jamais connu pour avoir – notamment – écrit quelques-uns des plus grands succès d’Édith Piaf.
Mais il restera à jamais dans notre mémoire pour avoir composé, en 1956 (sur des paroles de Michel Vaucaire), Non, je ne regrette rien. Une chanson qui, portée par Édith Piaf dans des conditions que nous allons dire, va connaître un succès interplanétaire. Et devenir l'un des hymnes de l'Algérie française.
Nous sommes le 10 novembre 1960 quand la Môme enregistre ce morceau qui lui parle : « Cette chanson, c'est moi, c'est ma vie », va-t-elle confier à ses proches. Un enregistrement qu'elle dédie à la Légion étrangère. Que ça plaise ou non.
On sait bien sûr combien Piaf entretenait, depuis les années trente, une complicité affectueuse avec la Légion. Il y avait eu Mon légionnaire, évidemment, mais plus signifiant encore – à mon sens – Le Fanion de la Légion qui claque comme un coup de feu dans le djebel et qui aurait du mal à passer sur les ondes aujourd'hui (1)... Ces deux chansons avaient d'abord été enregistrées par Marie Dubas (pour qui j'ai une totale admiration) avant d'être reprises par Piaf en 1936 et 1937.
Non, je ne regrette rien, dédiée à la Légion donc, sort dans les bacs fin décembre 1960-début janvier 1961. Nous sommes en pleine « guerre » d'Algérie. Cette dédicace n'est pas innocente, on s'en doute. Le 21 avril 1961, c'est le putsch des généraux. Un sursaut d’honneur dans une France couchée, une révolte de centurions largement appuyée par la Légion et plus particulièrement le 1er REP (alors sous les ordres, par intérim, du commandant Hélie de Saint Marc).
Après l'échec du putsch, le 1er REP sera dissous le 30 avril à la demande du sinistre Pierre Messmer. Encadrés par les matons gaullistes, les légionnaires parachutistes quitteront leur camp de Zéralda en chantant un très roboratif Non, je ne regrette rien. Rythmé par de vigoureux bras d'honneur en direction de leurs garde-chiourmes.
Dès le mois de février 1961, Non, je ne regrette rien avait occupé pendant deux semaines la tête des hit-parades. Il y reviendra – effet Zéralda oblige – trois semaines durant à partir du 12 juin de la même année. Cette chanson, reprise comme une sorte d'hymne par les combattants de l'Algérie française, reste toujours l'une des plus populaires du répertoire de la Légion (au désespoir, on le comprend, de certains ministres des Armées et de généraux en carton-pâte qui tentèrent – mais toujours en vain – d'interdire ce chant « subversif »).
Non, je ne regrette rien a été repris par les plus grands de la chanson, de Tina Arena à Shirley Bassey en passant par Mireille Matthieu, Dalida, Patricia Kaas, Julia Pietri (pied-noire de Douera, banlieue d'Alger), Garou, Marc Lavoine, Isabelle Boulay, etc. Ma version préférée (à part celle de Piaf, bien sûr!) ? Toutes celles de La Légion. Avec un coup de cœur pour celle de la musique et du chœur de la Légion d'Aubagne en décembre 2013 (vous la trouverez sur youtube).
Alain Sanders
(1) On doit Le Fanion de la Légion à Raymond Asso (ancien légionnaire et compagnon de cœur d’Édith un temps) et à Marguerite Monnot. On y dit notamment : « Comme la nuit couvre la plaine/Les salopards vers le fortin/Se sont glissés comme des hyènes/(...)/Ils n'ont pas pris la position/(...)/Au garde-à-vous sur le bastion/Ils gueulent : Présent la Légion !»