Le massacre perpétré ce vendredi 22 mars au « Crocus city hall », dans la banlieue de Moscou, nous a évidemment rappelé ceux commis à Paris, le 13 novembre 2015, par de tueurs islamistes (au Bataclan, au Stade de France et sur des terrasses de café).
À Moscou aussi, la tuerie a été le fait de fanatiques jihâdistes dont onze ont été appréhendés et quatre présentés sur les télévisions russes comme originaires de l’ancienne République soviétique du Tadjikistan, au nord de l’Afghanistan. Rapidement aussi, l’État islamique de la province du Khorasan (« Daesh Khorasan ») revendiquait l’attentat. Précisons ici que, pour les Afghans, le « Khorasan » est le nom médiéval de l’Afghanistan incluant le sud du Turkménistan, l'Ouzbékistan et leTadjikistan.
À l’évidence, les quatre Tadjiks avaient été sérieusement questionnés. L’un d’eux avait le corps tuméfié et un œil en très piteux état.
On apprit plus tardivement que, en conformité avec ses habitudes de mutisme en pareil cas, Poutine avait attendu quelques dix-neuf heures après la nouvelle de l’hécatombe (plus de 150 tués et autant de blessés selon les estimations) avant de communiquer. Quoiqu’il pouvait dire, une première constatation s’imposait à tous : ce massacre constituait un immense échec pour le dictateur dont un des leitmotivs principaux de la récente campagne présidentielle avait été la grande réussite sécuritaire de son régime.
Poutine ne prononça pas un seul mot sur le communiqué de « Daesh » que répercutaient alors toutes les chaines d’information du monde. Il ne dit rien de la réflexion qui s’imposait partout, à savoir l’évidence que les services de sécurité russes avaient failli, et d’abord le tout-puissant FSB (Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie) continuateur du KGB et autres officines policières remontant à la Tchéka de Dzerjinski.
La vérité aussi, c’est que cette tuerie rappelait pour tous les Russes les sanglantes prises d’otages et autres grands attentats meurtriers perpétrés sous son règne. Évoquons ici la prise d’otages du théâtre de la Doubrovka à Moscou, en octobre 2002, se terminant par l’assaut aussi brutal que mal dirigé (130 morts) des forces spéciales russes. On se souvient encore de ce que, en septembre 1999, de formidables attentats avaient dévasté plusieurs immeubles d’habitation de la capitale avec un bilan global de 290 morts dont furent accusés les indépendantistes tchétchènes. Mais, les spécialistes de la Russie poutinienne y virent la main des étranges services russes de (in)sécurité ayant pour objectif la conquête de la Tchétchénie… Enfin, on ne saurait traiter des activités terroristes en Russie sans évoquer la tragédie de la prise d’otages de plus de 1 100 personnes dans la ville de Beslan, en République autonome d’Ossétie du Nord : le 1er septembre 2004, jour de la rentrée des classes, un commando les avait séquestrées dans la principale école de la ville. Après trois jours, les forces spéciales de Poutine, avec leur délicatesse habituelle, donnèrent l’assaut censé permettre leur libération : le bilan officiel fut de 382 tués dont 186 enfants et 31 assaillants.
Revenons maintenant au massacre du 22 mars. Au terme de ces dix-neuf heures de méditation stratégique, Poutine conclut certainement qu’il ne pouvait rater l’occasion si belle d’évoquer une (prétendue) piste ukrainienne. Nonobstant le communiqué de Daesh, nonobstant les arrestations des terroristes tadjiks, le FSB inventa alors cette piste. Au mépris de toute vraisemblance. Et les médias de la Russie poutinienne s’acharnèrent donc, en vain, à essayer de trouver un début de commencement de preuve d’une responsabilité ukrainienne dans le massacre. Aussi assénèrent-ils que les terroristes tadjiks avaient été arrêtés alors que précisément ils se dirigeaient vers l’Ukraine. Tiens donc ! Un narratif somme toute sur le thème de « il court, il court le Tadjik »… En réalité, ces Tadjiks tentaient de fuir vers la Biélorussie.
On le voit, ce n’est pas avec Poutine que disparaîtront les meilleures traditions tchéko-kagébistes de fabrication des mensonges, fussent-ils les plus grossiers et de dénonciation d’un bouc-émissaire, fût-il le plus invraisemblable.
Ce dimanche soir, sur LCI, le général Yakovleff (d’origine russe et ancien colonel du 1er REC) le plus souvent très avisé dans ses commentaires, émettait pour sa part qu’il ne pouvait être « exclu que l’attentat du Crocus ait été entièrement fabriqué »… Certes, développe-t-il, Poutine n’ pas besoin de prétextes pour s’en prendre à l’Ukraine, mais tout n’est-il pas bon pour instiller toujours plus de haine contre ce malheureux pays et entretenir au Kremlin une auto-intoxication permanente ?
Reste, à l’heure où nous écrivons, à savoir ce que le dictateur au regard de cobra va encore imaginer dans sa paranoïa pour infliger toujours plus de folles représailles, sans la moindre légitimité, uniquement dictées par sa haine. Le général Yakovleff nous rejoignait ainsi dans la conviction que nous avons maintes fois développée dans nos écrits ou propos, à savoir que le cas Poutine relèverait expressément d’une psychanalyse adaptée à l’hubris du personnage.
Hélas, comme l’a encore déclaré ce militaire très avisé : « Poutine nous fait la guerre, et nous faisons semblant de ne pas comprendre ».
Lire Colosimo
C’est avec un grand intérêt que j’ai lu ce lundi, l’entretien dans la page « Débats » du Figaro, donné par Jean-François Colosimo, à propos de son dernier livre « Occident, ennemi mondial n°1 ». Cet ouvrage est sous-titré « Pourquoi tant de haine ? »
Colosimo, théologien, spécialiste du monde orthodoxe et également directeur des Éditions du Cerf, est interrogé par Alexandre Devecchio. Ce dernier lui demande : « À la menace islamiste se conjugue celle des néo-empires qui nous sont hostiles. Quelle liste en dressez-vous ? » Colosimo réponde : « Outre la Russie de Vladimir Poutine, ce sont la Turquie de Recep Tayyip Erdogan, l’Iran d’Ali Khamenei, la Chine de Xi Jinping, l’Inde de Narendra Modi. Ces néo-empires nous sont hostiles et nous assignent comme l’ennemi numéro un de l’humanité. Ils nous englobent dans ce qu’ils nomment ‘’l’Occident collectif’’ ».
Certes, on peut réfléchir en termes de géopolitique sur ces cinq despotismes, selon nous inéluctablement voués à des affrontements ultérieurs tels que celui déjà commencé depuis longtemps sur les cols de l’Himalaya dans les confins de l’Inde et de la Chine. Mais, pour l’heure, celui qui menace le plus la paix du monde, c’est bien Poutine. Et c’est pourquoi, en conclusion de son ouvrage, Jean-François Colosimo manifeste sa réticence à utiliser le terme « d’Occident », « concept imaginaire, mobile et à la fin, vide ».
En revanche, pour lui, « si nous voulons préserver notre liberté », il n’est que temps de contrer les néo-empires « alors qu’ils se montrent plus impérialistes que nous ne l’avons jamais été ». C’est pourquoi, en conclusion de son ouvrage, il appelle « à un grand réarmement ».
On
ne saurait le désapprouver alors que les menaces poutiniennes se tournent de
plus en plus vers la Moldavie, les pays baltes et même la Pologne survolée
provocatricement ce dernier samedi par un dangereux missile russe pendant 39
secondes. Seuls les imbéciles ont pensé qu’il n’y avait pas de quoi s’en
inquiéter. Heureusement, les Polonais sont plus intelligents qu’eux.