vendredi 22 mars 2024

Les libres propos d'Alain Sanders

 

Les libres propos d'Alain Sanders

Quand Le Figaro exalte Les Valseuses !

Encore un exemple que quelque chose est pourri dans notre société ? La célébration, dans Le Figaro de ce 20 mars, du cinquantième anniversaire des Valseuses, film dans lequel sont déjà contenues les accusations aujourd'hui portées (avec cinquante ans de retard donc) contre Gérard Depardieu.

Ce film de Bertand Blier, sorti en salle le 20 mars 1974, avait été  amoureusement accueilli par Libération et toute la gauche et l'extrême gauche qui y voyaient la victoire du « jouir sans entraves » face au conformisme pompidolien coincé. Dans le même temps la presse bourgeoise – Le Figaro en tête – se déchaîna contre une telle accumulation de grossièretés et de dégueulasseries sexistes.

Eric Neuhoff, l'histrion qui signe l'article du Figaro de ce jour, rappelle ainsi que lors de la sortie du film « la critique éructa » (sic) ». Ce qui n'est pas aimable pour ledit Figaro, qui fut – et à juste raison en l’occurrence – de ces critiques éructives... Et le même Neuhoff continue tranquillement : « En revoyant le film, on y découvre une mélancolie camouflée sous l'argot, un désespoir qui n'ose pas dire son nom. Il s'agit d'une Orange mécanique version rigolarde (sic). Les personnages inquiètent. Cependant ils ont leur charme ».

J'aurai donc vécu assez longtemps pour voir Libération, naguère défenseur des pédophiles, tomber dans un puritanisme militant sans limite et observer une discrétion de violettes à l'égard d'un film jadis culte de la chienlit gaucharde, et Le Figaro, saisi par une montée de sève, exalter l’innommable...

Pour les dingos à la Sandrine Rousseau, Depardieu, tant apprécié par la gauche quand il allait se vautrer cher Castro, est devenu un gros dégueulasse (ce qu'il était déjà intégralement dans Les Valseuses). Pour Le Figaro, où l'on cultive en lousdé (mais sans tromper personne) des sympathies poutinistes, le même Depardieu, qui en pince pour Poutine, est devenu une sorte de bon gros pote injustement persécuté.

Toutes choses qui ne doivent pas nous empêcher de dire que, de 1974 à 2024, nous n'avons pas varié : Les Valseuses est un film de détraqués sexuels (1). Rappelons-en, en restant dans les limites du dicible (mais que les yeux chastes et les oreilles du même calibre se tiennent quand même à l'écart), la thématique générale.

Deux voyous, Jean-Claude (Depardieu) et Pierrot (Dewaere), partent en cavale à travers la France, après avoir violé une femme et lui avoir volé son sac. Ils sont surpris par le propriétaire d'un voiture sur laquelle ils ont jeté leur dévolu.  Pierrot est blessé par balle à l'entre-jambe (ce qui le perturbe encore plus si faire se peut...).

Dans leur fuite, ils kidnappent Marie-Ange (Miou-Miou), une shampouineuse qui porte sa frigidité comme un fardeau. Ils proposent à un garagiste de rencontre de violer Marie-Ange en échange d'un véhicule. Le garagiste accepte et le trio – ils ont récupéré Marie-Ange – reprend sa course, multipliant les méfaits. Ils volent les sous-vêtements d'une gamine (que Depardieu estime âgée de 16 ans « à vue de nez »). Dans un train, ils contraignent une jeune maman qui allaite à donner le sein à Pierrot. Chemin faisant, on nous donne à comprendre que Jean-Claude a violé Pierrot. Ils récupèrent Marie-Ange, la violent, lui font ouvrir le salon de coiffure où elle travaille pour le dévaliser, lui tirent dans la jambe et l'abandonne ligotée sur un fauteuil.

Pour faire bonne mesure, ils s'acoquinent avec une femme plus âgée, Jeanne (Jeanne Moreau) qui vient de faire dix ans de prison. Triolisme de circonstance jusqu'à ce que Jeanne se suicide en se tirant une balle dans le sexe. Suivra encore le viol de Jacqueline (Isabelle Huppert), la gamine de 16 ans que le hasard a placé sur leur route. Etc.

Voilà donc le film que Le Figaro, en ce jour de printemps, salue comme une Orange mécanique « rigolarde »... Mais tous les (dé)goûts sont dans la nature.

Alain Sanders

(1) La Croix de l'époque dira que ce film, « une décharge publique », est l’œuvre « d'un obsédé sexuel ».