lundi 5 février 2024

Les libres propos d'Alain Sanders

 

« A Nation Once Again ! » : victoire historique des nationalistes en Irlande occupée 

La semaine dernière aura été plutôt faste pour l'Irlande, l'île émeraude des érudits, des poètes et des saints. Elle a commencé par la large victoire de l'équipe irlandaise de rugby sur une équipe de France aux abonnés absents (et pourtant donnée imprudemment et impudemment plus que favorite par nos médias encore dix minutes avant le coup d'envoi...). Elle a continué avec la victoire historique – attendue depuis 101 ans ! – des nationalistes du Sinn Fein aux législatives de la province occupée d'Ulster (« Irlande du Nord »).

Depuis la main mise de Londres et des unionistes à sa botte sur cette province en 1921, c'est la première fois qu'un nationaliste – en l'occurrence une nationaliste, Michelle O'Neill – va occuper le poste de Premier ministre. Un sorte de séisme politique au moment où le dernier recensement démographique (mené en 2021) démontre que les catholiques, partisans de la réunification avec Dublin, bien sûr, sont désormais majoritaires dans l'Ulster.

Jusqu'en 2018, le président du Sinn Fein était Gerry Adams. Ses liens avec l'IRA (à une époque où le Sinn Fein était sans complexe la devanture politique de l'IRA combattante) furent longtemps une pierre d'achoppement, au moins jusqu'à l'accord du Vendredi Saint de 1998. Un accord boiteux certes, mais qui eut ce mérite de mettre un terme à un conflit qui a ensanglanté la province des années durant.

Avec Marie Lou McDonald, vice-présidente du Sinn Fein jusqu'en 2018, Michelle O'Neill, qui lui a succédé, native de Cork en Irlande libre et partisane de la réunification, incarne une nouvelle génération qui n'a pas participé à la guerre civile.

La victoire électorale du Sinn Fein s'accompagne du déclin du Parti unioniste démocrate (DUP), principale force en faveur de l'ancrage à la Couronne britannique et victime de ses propres contradictions internes.

L'arrivée de Michelle 0'Neill au poste de Premier ministre ne signifie pas pour autant que la réunification est pour demain. Les partisans du rattachement au Royaume-Uni, le DUP, mais aussi l'UUP (Parti unioniste d'Ulster), gardent un pouvoir de nuisance et peuvent choisir de paralyser la gouvernance de la province. Depuis l'accord de 1998, le gouvernement doit être dirigé conjointement par nationalistes et unionistes. Lesdits unionistes, à qui revient pour le coup le poste de vice-Premier ministre, accepteront-ils de jouer le jeu ? That's the question...

Michelle O'Neill a choisi pour sa part de rassurer : « J'offrirai un leadership inclusif, qui célèbre la diversité, qui garantit les droits et l'égalité pour ceux qui ont été exclus, discriminés ou ignorés dans le passé ». A commencer par les catholiques qui, dans l'Ulster aux liens depuis 1921, ont été persécutés dans leur foi, leurs biens et leurs personnes. Mais elle ne cache pas qu'elle souhaite organiser, dans les cinq ans à venir, un référendum sur la réunification de l'Irlande. Un tel processus ne pourrait être déclenché – en principe – qu'avec l'aval du ministre britannique en charge de la province, Brandon Lewis.

Pour l’heure, Londres (sonné par la victoire des nationalistes) appelle nationalistes et unionistes à s'entendre « pour assurer la stabilité de la province ». Tout en disant ne voir – une « cécité » qui pourrait être lourde de conséquences – « aucune perspective réaliste dans l'organisation d'un référendum sur la réunification ».

Nous avons souvent eu l'occasion de le dire : il y a longtemps que ne se pose plus la question de savoir si l’Irlande sera enfin réunifiée – A Nation Once Again ! comme le chantait l'IRA des années Michael Collins –, mais quand.
Alain Sanders