France-Afrique : un indicible gâchis
Quand on a, comme certains d'entre nous, vécu longtemps en Afrique noire, il y a quelque chose de déchirant de voir ces foules – même si elles sont manipulées (parce que manipulables justement) – hurler « A mort la France ! ». Au Niger ces temps derniers, mais aussi au Mali, au Burkina Faso, en Centrafrique. Et nous ne sommes pas à l'abri de telles scènes demain au Tchad (où Macron soutient le satrape Idriss Déby), au Sénégal, en Côte-d'Ivoire, au Bénin, au Cameroun, voire même dans la paisible Mauritanie (bien protégée par le Maroc).
Un souvenir de décembre 1973. En poste à Yola (où j'ai vécu deux ans), à l'extrême Est du Nigeria, zone entièrement quadrillée aujourd'hui par Boko Haram, mais où l'on vivait à l'époque en totale sécurité, j'avais résolu d'aller faire mes courses de Noël au Cameroun voisin. Dans la petite ville de Garoua, dans le nord du pays, région très touristique en ces temps bénis. Garoua, ses commerces, ses restaurants, ses cafés et sa population largement francophone et francophile.
Dans une supérette aussi bien fournie que nos supérettes de province dans les années soixante-dix, j'avais acheté vingt produits festifs et inconnus dans mon Yola anglophone. Parmi les clients dans la file d’attente à la caisse, deux matrones africaines solides, enjouées, exubérantes, qui devisaient tranquillement :
– Et ton fils, tu as des nouvelles, comment ça va ?
– Oh, le fils, ça va, il est au pays, il travaille bien.
Le « pays » en question ? La France, bien sûr, ainsi désignée familièrement, affectueusement, comme une référence en un même sentiment d'appartenance... Il n'y a plus de touristes à Yola, Nigeria, et à Garoua, Cameroun, aujourd’hui.
Rappelons que le premier Sommet historique de la francophonie s'est tenu en 1970. A Niamey. Dans ce Niger qui hurle désormais : « Dégage la France ! ».
Le 10 août dernier, la Cédéao a décidé le déploiement d'une force armée (dont le Nigeria serait le fer de lance, certes émoussé, mais bon...) afin de « restaurer l'ordre institutionnel au Niger ». La France appuie cette initiative. Nous avons, sur place, 1500 hommes. Qui ont été « ramenés » du Mali et du Burkina Faso avec le gros du matériel de l'opération Barkhane.
L' « arrogance » de Macron (pour reprendre ce que pensent de nombreux leaders africains) met en danger nos soldats en laissant supposer qu'ils pourraient appuyer l’éventuelle intervention armée de la Cédéao. D'autres sont plus avisés. Récemment, nous indiquions que les putschistes avaient nommé dans leur gouvernement de circonstance des personnalités américano-compatibles. Ce qui a été apprécié par les États-Unis. Washington n'appuie pas les déclarations belliqueuses de la Cédéao. Et on notera que dans les manifs anti-françaises de Niamey on n'a pas entendu de slogans ou lu de pancartes hostiles aux USA. On rappellera aussi, à cette occasion, que les États-Unis, qui ont quelque 1100 soldats au Niger, y sont présents depuis longtemps déjà : avant même l'opération Serval, en 2013, les Américains avaient déjà 200 hommes au Niger (notamment à Agadès où ils tiennent aujourd'hui d'une base inexpugnable). Ils disposent donc d'une base à Djibouti, de deux bases au Niger, et ils tentent de convaincre le Sénégal, pour compléter leur dispositif en Afrique de l’Est et en Afrique centrale par un présence militaire en Afrique de l'Ouest, de leur en céder une sur la côte (pour l'heure, le Sénégal fait la sourde oreille).
L’arrivée de Macron au pouvoir, petit homme acculturé qui ne sait rien des arcanes d'une Afrique décomplexée (il n'y a que dans les médias français qu'on nous bassine avec « l'héritage de la colonisation », là-bas ce n'est pas un sujet) et désireuse désormais de choisir ses partenaires, a largement contribué à accélérer un douloureux divorce. Contrairement à ce que serinent les médias français, il n' y a pas de « rejet du peuple français », mais bel et bien celui de la politique erratique de nos dirigeants qui ont trop longtemps soutenu des pourris et continuent comme par devant de la faire (témoin le Tchad). La route sera longue qui devra raccommoder ce qui a été déchiré...
Alain Sanders.