Une vieille histoire : patriarcat russe contre patriarcat ukrainien
Soumise par la force à l’Église de Moscou depuis 1685 ( à cette époque, parler ukrainien valait au minimum d'être jeté en prison), l’Église ukrainienne s'en libérera en 1917. Malgré l'opposition du haut clergé d’État russe (dont l’allégeance aux pouvoirs en place est constante), le courant national ukrainien finira par s'imposer. Les Ukrainiens, qui avaient demandé – et obtenu – la bénédiction du patriarche de Constantinople, créent fin 1918 un Conseil ecclésiastique ukrainien qui imposera la réunion, à Kiev, d'un concile au cours duquel sans surprise, le haut clergé étranger va apporter son soutien servile aux intérêts russes.
Kiev libérée et le haut clergé étranger s'étant retiré, le Directoire de la République ukrainienne promulgue, le 1er janvier 1919, une loi édictant que l’Église ukrainienne serait désormais autocéphale et, de ce fait même, cesserait d'être sous la juridiction du patriarcat de Moscou.
Cette loi, malgré la résistance – et déjà la résistance physique – des fidèles ukrainiens va être supprimée en 1921 par l'installation en Ukraine du pouvoir bolchevique. Avec des conséquences qui n'étonneront que ceux qui ignoreraient (ou feindraient de le faire) les complicités du patriarcat moscovite avec Lénine, puis avec Staline : à savoir une alliance directe entre le clergé russe et les bolcheviques (massacreurs de popes et dynamiteurs des lieux de culte) pour détruire l’Église ukrainienne et ses prétentions à la liberté.
Le gouvernement soviétique va même fabriquer ex nihilo une « Église vivante » qui eut pour « évêque » un certain Pimène Pitchoff bombardé « métropolite de Kkarkov et de toute l'Ukraine ». Pour en finir avec l’Église ukrainienne, tous ses lieux de culte seront fermés et ses évêques exilés, voire purement et simplement assassinés. En vain.
Dans La Vie d'un peuple – L'Ukraine (Maisonneuve, 1933), Roger Tisserand, écrivait, de manière prémonitoire somme toute : « Quelque méthode qu'on emploie pour abaisser l'Ukraine et l'asservir, on ne connaîtra que des échecs. L'Ukraine frémissante veut sa liberté, affirme la dignité de la personne humaine et, inlassablement, tendant au monde ses mains chargées de chaînes, clame sa confiance dans les peuples civilisés et son espoir dans l'avenir ».
De nos jours, l’Église ukrainienne est l'héritière de l’Église nationale créée en 1992 quand le pays est devenu indépendant après la chute de l'URSS. Elle est en opposition frontale avec le patriarcat de Moscou dont le chef, Kirill, agent du FSB-KGB, est dans la main de Poutine. Un poutinisme effréné qui a provoqué le départ des fidèles ukrainiens du patriarcat de Moscou, meurtris qu'ils sont dans leur nationalisme ukrainien (à Lviv, par exemple, l'église Saint-Georges, cataloguée « pro-russe », n'a quasiment plus un seul fidèle). Et une plaisanterie, qui résume bien la situation, court chez les prélats ukrainiens : « Kiev a baptisé Moscou. Elle chantera à son enterrement ». Thoz nekhay tak ! (Ainsi soit-il en ukrainien).
Alain Sanders.