Je l’ai aimé…
Jusqu’à ces derniers mois où son état de santé ne lui permettait plus de venir au journal, j’ai partagé un même bureau de Présent avec Jean Madiran. Des années de compagnonnage comme il disait. Et même de joyeuse complicité quand je lui demandais si mes cigarillos ne le gênaient pas et qu’il répondait avec ce sourire qui éclairait ses yeux bleus : “ Au contraire, ça me rappelle ma jeunesse quand je fumais pour imiter Simon Templar, vous savez, Le Saint, le héros des romans de Leslie Charteris. Et puis, ces petits cigares noirs, ce sont ceux qui ont sauvé Angelo, le Hussard sur le toit, du choléra… ”
D’autres vous diront sans doute mieux que moi la vie et l’œuvre de ce gentilhomme de Guyenne. Ce que j’aimerais dire, moi, c’est sa formidable gaîté. “ Un Maurras joyeux ” a dit un jour quelqu’un qui ignorait sans doute que Maurras, par-delà son image compassée, n’était pas triste.
D’ailleurs Jean Madiran n’avait-il pas parfois aux yeux des ignorants l’image d’un théoricien, voire d’un théologien, confiné dans sa seule thébaïde, lui qui allait au cinéma deux fois par semaine, qui suivait les séries télé (sa préférée : Chapeau melon et bottes de cuir), qui aimait le bien boire et le bien manger, qui était sensible à la beauté féminine...
Jean Madiran était ferme sur les principes, mais indulgent aux faiblesses humaines. Un vrai catholique. Pas un de ces “ dévots ” coincés qui ont peur des courants d’air, de la vie, de l’amour et qui, du même coup, font injure à la Création.
Il y avait du Jeune homme vert et du Déjeuner de soleil de Déon chez lui, du Giono de Manosque, du Gaspard des montagnes, un amour de Rome qu’il partageait avec Alexis Curvers. Et l’amour du Bon Dieu. Un amour de petit enfant. Ce qu’il n’a jamais cessé d’être.
Il est parti en plein été ce Latin qui chérissait la Grèce comme on chérit sa mère. Et quoi de plus normal… Il était de ce pays d’oc où l’on est troubadour quand les temps le permettent et guerrier quand le devoir le demande. Il était de cette Provence de Mistral, d’Aubanel et des Daudet (Alphonse et Léon), de cette Provence où l’on dit avec un sourire gourmand : “ Lou soleou me faï canta ” (“ Le soleil me fait chanter ”).
Oui, d’autres vous diront sans doute mieux que moi la vie et l’œuvre de ce maître à penser qui disait, en reprenant les mots du Maître de Martigues : “ Si vous êtes catholique, soyez-le à fond ”. Mais ce que j’aimerais dire, moi, c’est l’homme avec qui nous chantions Parlez-moi de lui de Nicole Croisille (“ J’ai l’impression que cette chanson parle de moi… ”), mais aussi Trenet, Piaf, Bécaud, Brassens… Ce que j’aimerais dire, moi, c’est qu’aujourd’hui je n’ai pas le cœur à chanter. Sinon ce couplet : “ Puisque là-bas vous êtes ses amis / Asseyez-vous et parlez-moi de lui / Il voulait voyager du sud au nord / Et pour qu’il soit heureux, j’étais d’accord ”.
Un jour, Jean Madiran m’a dit : “ L’honneur de ma vie, c’est d’avoir connu Maurras ”. Le bonheur – et sans doute l’honneur – de ma vie, c’est de pouvoir dire : “ J’ai connu Madiran. Et je l’ai aimé ”.
Alain Sanders