mardi 9 mai 2023

Dieu sauve le roi !

 

Ils étaient – nous étions – des centaines de millions devant les postes samedi dernier. Pour assister – et parfois « communier » – au sacre du roi Charles III. Cela fait plus de mille ans que la monarchie d'outre-Manche sacre ses souverains dans l'abbaye de Westminster. Guillaume le Conquérant, qui vint des rivages normands, serait-il venu à cette cérémonie sacrée qu'il n'aurait pas été dépaysé...

Nous garderons beaucoup d'images, de belles images, de cette parenthèse dans le monde laïcard des petits hommes gris. Nous sommes désormais orphelins, nous autres Français, de ce sacré qui nous accompagna des siècles durant. Et la symbolique en est si forte et si réelle que même les histrions de service sur les étranges lucarnes en sont restés sans voix : le sacre du roi, du lieu-tenant de Dieu sur la terre, ce n'est pas un « reportage » comme les autres...

Image forte que celle de la princesse Anne, colonelle du régiment de cavalerie Blues and Royal, défilant – en avant, calme et droit – sur son cheval Falkland. Symbole poignant et tout empreint de piété filiale que celui de William, prince de Galles, époux de la princesse Kate qui a pris le cœur de tous les Britanniques, s’agenouillant devant son père en un serment d'allégeance repris, à pleine voix, par les sujets britanniques présents dans la nef. Et Charles III s'inclinant. Et embrassant la Sainte Bible.

« La reine est morte, vive le roi ! » : qu'on nous permette de reprendre la formule – « Le roi est mort, vive le roi ! » – apparue en France en 1498 et aussitôt adoptée outre-Manche (où l'on parla français à la Cour jusqu'au XVIIIe siècle).

 

Et les musiques ? Et les chants ? Mon Dieu... Le Royal Philarmonic Orchestra, le Royal Opera House Orchestra, les chœurs, les ténors et les barytons, ont fait parler et chanter les anges : I Was Glad (d'après le psaume 122), hymne utilisé depuis le couronnement de Charles II en 1662 ; Pomp and Circumstance d'Edward Elgar ; William Byrd, Strauss, Weekles, Haendel ; le baryton-basse gallois Bryn Terfel ; des chants grecs (en hommage au père du roi, le prince Philip) ; etc.

Enraciné dans une foi anglicane sans faille, comme la reine Elizabeth II, Charles III, serait néanmoins, nous dit-on, un roi anticonformiste. L'anticonformisme, voire l'extravagance, étant par ailleurs une marque de fabrique british. Soit. Mais dans le même temps, il ne lâche rien – et ne lâchera rien, quoiqu'en disent les faiseurs de tabloïds – des principes – British Rule ! – qui ont fait la grandeur d'un empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais.

Ainsi, même si le déroulé du couronnement a été légèrement allégé par rapport au cérémonial organisé pour Elizabeth II en 1953, rien n'a été changé des six grandes étapes du sacre : la reconnaissance, le serment, l'onction, l’investiture, l'intronisation, l'hommage. Ainsi que la remise solennelle des regalia : la couronne, les sceptres, l'orbe, les épées.

Du Colonium sindonis au Supertunica en passant par le Manteau impérial, c'est la monarchie britannique – et aussi, osons-le dire, la chrétienté triomphante – qui a parlé (paulo majora canamus) à notre monde désacralisé. L'onction a été donnée par l'archevêque de Canterbury avec l'huile fabriquée au Saint-Sépulcre à Jérusalem. Et contenue dans une ampoule qui remonte à 1661 et en forme d'aigle : selon la tradition, la Vierge Marie serait apparue à saint Thomas Becket et lui aurait remis un aigle en or et une fiole d'huile destinée à l'onction des futurs rois d'Angleterre. La cuillère, autre objet de l'onction, fait partie des rares trésors à n’avoir pas été détruits ou fondus par les furieux de Cromwell au XVIIe siècle (elle remonte au XIIe siècle et servit au sacre de Henri II).

Notons encore que, pour la première fois, certains textes sacrés ont été lus dans les langues celtiques du royaume : le gallois (Charles III fut le premier prince de Galles à apprendre la gallois), le gaélique écossais, le gaélique irlandais.

Le sacre. Le sacré. Et un peuple rassemblé dans les rues de la capitale autour de son monarque, un peuple emporté dans ce sacre et porté par ce sacré. Un peuple tiré vers le haut et même le Très-Haut. Pendant qu'on infantilise les Français. Des Français qui ont regardé leurs voisins d'Outre-Manche avec envie et, on veut le croire, une vraie et douloureuse nostalgie : nous avons été, nous aussi, ce peuple du lieu-tenant de Dieu. God Save the King !

Alain Sanders