vendredi 14 avril 2023

La mort de Mgr Jacques Gaillot

Les libres propos d'Alain Sanders

 

Avec Beketch, nous l'avions fait mourir – en martyr – dès 1991...

Je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. De Mgr Jacques Gaillot. Qui vient de s'éteindre à l'âge de 87 ans. Dans l'indifférence à peu près générale : habitant désormais Évreux, ville dont il fut l'évêque jusqu'en 1995, je puis témoigner que personne n'en parle. Alors qu'il défraya la chronique politico-médiatique – et scandalisa ses ouailles – par ses provocations à répétition. Il fut notre ennemi.

Rappelons que lesdites provocations – trop longtemps tolérées, voire accompagnées, par certains ecclésiastiques – finirent par lui valoir d'être destitué de sa charge d'évêque par Rome en 1995.

Je voudrais aussi rappeler – et, là encore, je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître – que Serge de Beketch et moi-même avions fait de Mgr Gaillot, sous le nom transparent de Mgr Paillot, « évêque d'Argensac », l'un des protagonistes de La Nuit de Jéricho. Un roman à clef(s) paru en 1991 et qui trouva son public (trois rééditions de 5000 exemplaires chacune).

Je ne vais pas raconter la trame de ce roman de politique-fiction (pas si fictionnel que ça d'ailleurs), sinon pour rappeler qu'il s'agissait d'une mobilisation d'encerclement de la ferme – la Haute-Bastide – où l'ex-lieutenant Messer s'était retranché avec ses harkis. Sous la menace de toute la chienlit politico-médiatique.

Mgr Paillot – « Ne m'appelez pas Monseigneur ou Monsieur l’Évêque, dites simplement monsieur » – a bien évidemment pris fait et cause pour les hordes crasseuses mobilisées contre la Haute-Bastide. Et il va entreprendre de se rendre sur place pour leur dire, dans l'un de leurs caravansérails boueux, son soutien, sa sympathie et l'appui de ses fidèles touchés par son dernier sermon.

Il va arriver sur les lieux au volant de sa 205 GTI rouge vif ( une « tire » à 15 bâtons à l'époque...). Il s'attend à un accueil de rock star. Non seulement personne ne le connaît mais, très vite, il est encerclé par une meute menaçante. On tambourine sur les vitres de la voiture, on la fait tanguer dans tous les sens, on la retourne sur le toit... Mgr Paillot, blessé au front, est tétanisé. Pas ça, pas eux, pas à lui...

De la boîte à gants tombe un chapelet : le cadeau d'un scout pris en stop. Oublié là avec des pièces de monnaies, des papiers de bonbons, un ou deux mégots desséchés. Dehors, c'est l'enfer : « Des visages curieux et hilares se penchent pour apercevoir le prélat dans sa position grotesque, couché sur le dos, jambes en l'air, secouant vainement les poignées de la voiture pour ouvrir les portières, donnant des coups de pieds inutiles dans le pare-brise ». Un filet d'essence qui suinte du réservoir se forme. Un des wesh-wesh y porte le feu avec un briquet.

« Paillot avait compris. L'odeur, les gestes, la lueur du briquet. En un éclair, tout revint. Il n'éprouva aucune peur. Il ne cria pas. Il prononça seulement, à voix haute, ces mots qu'il avait oubliés depuis l'enfance : O Mon Jésus, pardonnez-moi mes péchés, protégez-moi du feu de l'enfer et conduisez-moi au Ciel ».

Mgr Gaillot est mort. Que le Ciel entende la prière de Mgr Paillot.

Alain Sanders