L’invasion russe de l’Ukraine : un an bientôt depuis le déclenchement de ce que Poutine a longtemps imposé de désigner comme une « opération militaire spéciale » (sic). Évoquer une guerre, jusqu’il y a peu, était radicalement interdit en Russie, et réprimé, selon une loi d’exception, par une peine pouvant aller jusqu’à quinze ans de détention.
Et puis, comme même dans une dictature totalitaire telle que brossée par le génial Orwell dans son « 1984 », on ne peut taire indéfiniment et totalement la réalité, Poutine a fini par parler lui-même de « guerre ». Mais, attention, non pas la guerre d’invasion russe déclenchée contre l’Ukraine mais par une fascinante radicale inversion de la vérité, l’affirmation matraquée par Poutine, par son Medvedev et son Lavrov que « c’est l’Ukraine qui a attaqué la Russie ! » Pauvre Ukraine, à laquelle ses soutiens et fournisseurs d’armement, les Américains et les Allemands en premier, interdisent de les utiliser en frappant en Russie les énormes forces de l’agresseur. Alors que des missiles russes frappent Kiev, Kharkiv ou Odessa et des dizaines d’autres villes. Somme toute, une guerre analogue à un match de boxe où l’un des deux combattants se verrait imposer d’avoir un bandeau sur les yeux et un bras attaché à une corde du ring…
Souvenons-nous de ce que professaient, il y a un an, aussi bien les discoureurs du café du commerce que les spécialistes. Les uns et les autres affirmaient que jamais Poutine n’attaquerait l’Ukraine. Et quand l’invasion fut lancée, les grands « sachants », civils et militaires, n’affirmaient-ils pas, quasi-unanimement, que, bien sûr, cet homme si sage n’envisagerait de s’emparer tout au plus que du Donbass. Pour ma part, j’écrivais, on peut le vérifier, que je ne croyais pas du tout que l’on puisse, prétendument pour des manœuvres, masser une armée de 190 000 hommes équipés pour la guerre, le long des frontières de l’Ukraine les plus proches de Kiev et de Kharkiv. Je réitérais cela dans mon émission de la Réplique du mercredi 23 février 2022, sur Radio-Courtoisie, exprimant à mes interlocuteurs ma certitude que « Poutine n’avait sûrement pas disposé ces dizaines de milliers d’hommes avec des milliers de chars, des hélicoptères de combat et ses avions de bombardement, pour un pique-nique géant le long des rives du Dniepr ».
Au Centre Charlier, un de nos amis, ancien diplomate roumain, un homme de vaste culture, nous certifiait avec force lui aussi, que Poutine ne se lancerait jamais dans une opération de conquête de l’Ukraine, que tout au plus il lorgnait vers le Donbass, que les manœuvres de son armée n’étaient qu’une mise en scène à finalité diplomatique, que « tout cela n’était qu’une farce » et il répéta ce mot. Comment pouvions-nous être aveuglé au point de ne pas saisir que ce farceur de Poutine ne faisait que de la gesticulation guerrière ?
Le lendemain, alors que toute la masse de l’armée russe prédisposée avait franchi la frontière, de la Biélorussie au Donbass, que ses unités aéroportées occupaient l’aéroport kiévien d’Hostomel, notre ami me répétait au téléphone : « Mais ce n’est pas possible ! C’est incroyable ! C’était absolument imprévisible ! ». « Hélas, c’est ! », lui répondis-je. Je lui ai conservé mon amitié mais pas ma confiance dans ses qualités d’analyste de la géopolitique en général et des agissements de Poutine en particulier.
Un autre de nos amis, alors hypnotisé par Poutine et par son patriarche Kirill, le patron de l’Église officielle, issu du même moule tchékiste et kagébiste, évoluait de jour en jour. D’abord il disait sa conviction que Poutine n’entendait pas du tout envahir l’Ukraine, puis, lui encore, il exprimait sa certitude qu’il ne voulait pas envahir toute l’Ukraine, tout au plus le Donbass déjà en partie occupé depuis 2014. Mais moi, je me rappelais que la Crimée avait été occupée dans la nuit du 26 au 27 février 2014 par des hommes en armes, sans insignes d’appartenance à une armée mais qui se présentèrent mystérieusement comme des « forces d’auto-défense » (sic), en réalité un coup d’État russe. Cet « ami », nous sembla, jour après jour, calquer toujours plus ses prises de position de blogueur sur celles de l’ambassade de Russie en France. Il nous semblait donc passer de plus en plus allègrement de l’affirmation que son cher Poutine ne voulait pas réellement d’une guerre de conquête, à celle de l’approbation de plus en plus fanatique de son « opération militaire spéciale ». Et résonne encore à nos oreilles les mots qu’il nous lança un jour allègrement au téléphone : « Mais l’Ukraine, ça n’existe pas ! ».
Et bien sûr, la question du respect du droit international, c’est-à-dire du principe d’intangibilité des frontières comme conditionnant la paix des nations, était le dernier des soucis de ce curieux catholique jadis si polonophile et admirateur de saint Jean-Paul II. Peu lui importait désormais les conquêtes russes en Géorgie de l’Ossétie du sud et de l’Abkhazie et celle de la Transnistrie menaçant désormais la Moldavie. Et comme lui, les inconditionnels de Poutine ne se souciaient pas des atrocités que rien ne justifiait, perpétrées dans la deuxième guerre de Tchétchénie pour mettre ce qui restait du pays sous la coupe du satrape tortionnaire musulman Ramzan Kadyrov.
Se dévoilèrent alors, plus ou moins, au fil des jours, mais assez vite, toute une gamme de poutinophiles voir de poutinolâtres, dont, certes, nombre de stipendiés de l’ambassade de Russie mais beaucoup plus encore de « gogos utiles » pour reprendre le qualificatif cher à Lénine. Et, il s’en révéla notamment, dans un affligeant clergé catholique, séculier mais aussi régulier, généralement ignorant de la réalité du christianisme en Russie comme en Ukraine, voire, parmi eux aussi, des stipendiés reprenant les thèmes propagandistes de l’Église officielle du patriarche Kirill, l’alter ego kagébiste de Poutine : au mépris des églises orthodoxes d’Ukraine affiliées au patriarcat de Contantinople ; au mépris des uniates de l’Église gréco-catholique d’Ukraine, cette église rescapée, après des millions de victimes de l’Holodomor et des exterminations staliniennes. Cette église aujourd’hui est forte de cinq millions de de fidèles de Rome, avec un clergé riche de figures éminentes continuant l’apostolat et la résistance jadis, jusque dans les années 1980, du cardinal-primat Slypyj. Citons l’archevêque Borys Gudziak, ce grand intellectuel, historien, président de l’université catholique de Lviv, mais surtout homme de foi sans complaisance pour le patriarche russe Kirill, « ce va-t-en-guerre décomplexé qui utilise le langage des djihadistes puisqu’il affirme que le fait de tuer des Ukrainiens sera récompensé par le paradis » (Le Figaro, vendredi 3 février 2022).
La propagande poutiniste martelle sans cesse qu’avec l’Ukraine, l’Occident décadent fait une guerre à la Sainte Russie. Il y a certes beaucoup de caractéristiques d’une affligeante décadence en Occident, en Europe comme en Amérique. Mais comme le rappelle monseigneur Borys Gudziak, « la Russie a le taux d’avortement le plus élevé du monde ». Et de dire : « Il est paradoxal que tant de personnes en Occident soient persuadées que la Russie est le défenseur des valeurs traditionnelles. La Russie a un taux de divorces, de suicides, de dépressions astronomiques. Qu’est-ce que cela a à voir avec les valeurs traditionnelles et l’Évangile ? Je ne sais pas. L’Église russe est largement discréditée, ce qui est une mauvaise chose, car la Russie a besoin d’une Église en bonne santé. Mais en Ukraine, les gens veulent se distancier de cette Église qui encourage les Russes à nous tuer ».
Ajoutons pour notre part combien cela relève d’une médiocrité d’esprit tristement binaire que de croire que face à l’impérialisme LGBTQ (que nous avons combattu sans attendre Poutine et les poutinistes, et que nous combattons toujours ce qui nous vaut les procès que l’on sait), serait l’alternative du système poutiniste, ce « national-impérialisme slavophilo-stalinien ». Non, l’état des mœurs n’est pas meilleur en Russie qu’en France, il est non seulement aussi peu respectueux de la vie et de la dignité humaine mais aussi, tout simplement plus barbare. Il est plus criminel encore avec des dirigeants et des propagandistes hallucinés brandissant sans cesse leurs démentes menaces d’anéantissement nucléaire.
L’année écoulée de guerre poutiniste en Ukraine aura été aussi celle de la médiatisation de l’armée parallèle « Wagner », sorte de SS russe opérant déjà depuis longtemps en Afrique contre la France et désormais aussi en Ukraine. Rappelons l’ignoble tentative de désinformation contre l’armée française au Mali par le montage du faux charnier de Gossi. Il consista pour les mercenaires de « Wagner » à faire croire que les corps de personnes par eux massacrés sur un marché dans une opération de terreur russe et transportés près de la base de Gossi évacuée par nos soldats, étaient ceux de victimes de ces derniers. Malheureusement pour les « wagnériens » de Poutine, notre état-major avait eu vent de ce criminel montage et avait fait filmer par un drone la « fabrication » du charnier pour ensuite en présenter les images irréfutables lors d’une conférence de presse à Paris pour nos grands médias. Cela, on le sait, fit ouvrir les yeux à certains de nos militaires qui avaient jusque-là, sinon de la sympathie, du moins de la compréhension, pour le néo-impérialisme russe. La vérité pourtant, c’est que la Russie se livre en Afrique à une sorte de guerre par procuration contre la France par la jonction de gouvernements sous influence russe et des milices « Wagner ».
L’année écoulée, pour Poutine, a été aussi celle de la continuation et même de l’amplification des politiques de collaboration avec l’Iran chiite, de protectorat de la Syrie alliée de ce pays et aussi de soutien au Hezbollah libanais. Initialement, dans le dernier quart du siècle dernier, le Hezbollah (« Parti de Dieu »), était d’abord une organisation terroriste contre Israël et les pays occidentaux. Il a été notamment responsable des énormes attentats du 23 octobre 1983 contre les troupes de maintien de la paix sous mandat de l’ONU. Le 23 octobre 1983, 241 marines américains furent ainsi exterminés à l’aéroport de Beyrouth par l’explosion d’un camion piégé, et 58 paras français ensevelis dans les ruines de l’hôtel du Drakkar où ils étaient cantonnés. Mais, depuis, le Hezbollah irano-libanais a renforcé ses positions au Liban, devenant d’abord un parti essentiel du gouvernement de plus en plus fantoche du général Aoun puis s’emparant tout bonnement de la réalité du pouvoir.
Par ailleurs, il est devenu, sans doute, la plus importante organisation au monde de commerce des stupéfiants, alimentant ainsi sans cesse sa colossale fortune tout en n’apportant que la misère au Liban et à la plupart des Libanais à l’exception de ses partisans. Tout le monde sait au Liban que le Hezbollah qui contrôlait et contrôle notamment le port et l’aéroport de Beyrouth, avait la responsabilité de la sécurité des bâtiments où étaient entreposés 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium, sa réserve d’explosifs pour ses actions terroristes, qui sauta le 4 août 2020, entraînant la mort de plus de 150 personnes et des milliers de blessés, et la destruction de pans entiers des quartiers chrétiens avoisinants. Mais le Hezbollah est assez puissant pour faire qu’aucune enquête sur cette tragédie ne remonte à ses responsables, c’est-à-dire à lui-même.
Tout au long des mois suivants la tentative d’invasion, stoppée l’an passé par l’héroïsme des combattants ukrainiens, Poutine et son Medvedev, et son Lavrov, n’ont cessé, avec un culot monstre, de justifier leur guerre par une mirobolante nécessité de « dénazifier » (sic) l’Ukraine, dans laquelle pourtant les nazis sont aussi rares que les martiens ! Cela n’empêche pas les quelques nazis et racistes de tous poils des groupuscules français d’extrême-droite et même quelques enfants vieillissants de quelques authentiques collabos des occupants nazis, jadis, de notre pays, d’être d’ardents poutinolâtres. Trahiraient-ils le drôle d’idéal de leur père ?
Enfin, Poutine, en parfait « Big Brother » orwellien s’est sans cesse acharné à réécrire l’histoire en effaçant de la mémoire russe les 22 mois de lune de miel hitléro-stalinienne du pacte soviéto-nazi. Table rase donc, dans l’histoire enseignée aux petits russes (et aux autres) de cette période dans laquelle les deux monstrueux jumeaux hétérozygotes, le bolchevique Joseph Staline et le nazi Adolf Hitler se partageaient la Pologne et se congratulaient pour leurs victoires. Ce, jusqu’au déclenchement le 22 juin 1941 de l’opération Barbarossa. Au moins, Poutine réussit-il, dans la ligne des paroles de « l’Internationale », à appliquer l’exhortation « du passé faisons table rase ».
Cela dit, qu’en sera-t-il de l’Ukraine face à l’ogre russe trente fois plus étendu, face à une néo-URSS cinq fois plus peuplée, face à une armée trois fois plus nombreuse et disposant de toutes les armes de destruction massive que l’Ukraine ne possède pas, en raison du mémorandum de Budapest et de la pression américaine pour qu’elles soient confiées à l’URSS.
N’est-ce pas alors une nouvelle honte de l’Occident que de n’avoir pas doté, quand il n’était que temps, les Ukrainiens des armes dont ils avaient besoin pour repousser leur agresseur ?
Mais, que les nostalgiques de la grande époque de la révolution et de la guerre civile ne désespèrent pas. Discrètement, depuis le 20 décembre 1999, Poutine a rétabli à la Loubianka le culte mémoriel de Félix Dzerjinsky, le Himmler du communisme, le créateur de la Tchéka, l’organisateur du goulag. Il a redonné place à ses portraits et à ses statues. Il vient enfin de donner son nom à une division du FSB. Réhabilitation totale au moment où il dissout « Mémorial ». Et voici qu’à Volgograd-Stalingrad, il a inauguré un grand buste de Staline, ce monstre responsable de dizaines de millions de morts, en compétition dans l’horreur avec son compère Hitler.
Alors, ce n’est pas parce que nous vomissons la culture de mort de l’IVG odieusement érigé en principe constitutionnel et que nous détestons le totalitarisme LGBT que nous choisirions binairement de soutenir le retour avec Poutine d’un national-impérialisme totalitaire slavophilo-stalinien déjà lourd d’un terrible bilan de crimes et de massacres.