vendredi 25 février 2022

Cette guerre que l’on a été bien peu nombreux à voir venir. Et maintenant, le péril chinois.

Dans un communiqué d’hier, forcément bref, je n’ai pu analyser et développer d’une part ce que j’entends par « l’hubris » de Poutine et de l’autre ce que j’ai désigné comme l’accablante responsabilité des dirigeants américains à laquelle il faut évidemment associer celle des gouvernants européens et de l’Union Européenne. Nous avons aujourd’hui plus d’espace ici pour cela.

Hier au soir, écouter le long et fuligineux prêchi-prêcha de Joe Biden releva d’un pénible pensum. Mais il fallait bien l’entendre au cas où il aurait dit quelque chose d’important. Mais revenons donc d’abord à « l’hubris » de Poutine, c’est-à-dire le vice de la démesure qui, selon les sages de la Grèce antique, était le principal péril dans lequel pouvaient tomber les gouvernants des cités et des royaumes, et encore plus les conquérants comme Alexandre le Grand qui ne suivit hélas pas les préceptes de mesure de son professeur Aristote.

Les « avocats » de la cause poutiniste invoquent l’humiliation selon eux subie par la Russie lorsqu’elle succéda à l’URSS. C’est en effet une chose que l’on peut discuter. Je pense pour ma part qu’on l’exagère quelque peu, surtout quand cela s’accompagne d’une exaltation de la grandeur de l’URSS, dans l’oubli - si ce n’est le déni négationniste - de l’effroyable bilan du communisme dans cet empire rouge, à savoir, selon Soljenitsyne : 150 millions de morts.

Le grand écrivain, rescapé du Goulag et immense historien de la Russie au XX° siècle, ne prophétisait-il pas d’ailleurs que « tant que la charogne de Lénine demeurerait dans son Mausolée de la Place rouge, ce n’en sera pas fini du communisme en Russie » ?

Or précisément, ce n’est pas ce que Poutine a voulu. La charogne de Lénine est toujours là et, pire encore, depuis des années c’est l’œuvre de Staline qu’exalte le régime de Poutine.

Avec une histoire à la fois totalement déconstruite et reconstruite par ce dernier.

Ainsi, les enfants russes n’apprennent pas le pacte hitléro-stalinien de 1939, faisant d’ailleurs suite à plus de deux ans de négociations secrètes entre les deux gouvernements.

Et l’on sait ce qu’il en advint avec d’abord la double invasion nazie et soviétique de la Pologne. Ce que les Polonais n’oublient pas. Pas plus que les Ukrainiens n’oublient les famines organisées par la Tchéka. D’abord celle, déjà terrible, de 1922 et puis celle des années 1932 et 1933 ; ce que les Ukrainiens désignent par le nom « d’Holodomor » (génocide par la faim) (1)  et qui fit selon les historiens entre cinq et six millions de morts, soit au moins le quart à l’époque de la population de l’Ukraine.

Or l’ordonnateur en chef de ce génocide et autres hécatombes perpétrés par la Tchéka fut Félix Dzerjinski, personnage véritablement démoniaque qui s’occupait en personne de recruter les tortionnaires qui, à Moscou, officiaient à la Loubianka, l’immeuble central de cette police, aujourd’hui siège du FSB.

À la Tchéka succéda en effet le Guépéou, puis le NKVD, puis, avant l’actuel FSB, le KGB dont Poutine fut colonel.

Or, et c’est cela qui m’a toujours paru révélateur de sa psychologie, dans le grand salon d’honneur de la Loubianka, devant un immense portrait de Dzerjinski, Poutine, avec les « anciens » du KGB, honore une fois par an la mémoire de celui qui enseignait lui-même aux tortionnaires qu’il avait recrutés « de savoir faire souffrir le plus possible, le plus longtemps possible ».

Que dirait-on aujourd’hui d’un chef de l’État allemand qui honorerait de même la mémoire d’Himmler ?

L’excellent chroniqueur de Cnews Mathieu Bock-Côté faisait hier au soir remarquer qu’il fallait saluer la clairvoyance de ceux, très rares, qui avaient vu venir l’invasion de l’Ukraine. Je ne tire aucune vanité de cela, mais je ne vais tout de même pas m’excuser d’avoir exprimé cette conviction tirée du bon sens que Poutine ne pouvait masser une armée de 190 000 hommes aux frontières de l’Ukraine, uniquement pour bluffer. Et cette conviction aussi, à la lumière de sa très inquiétante fidélité au modèle de Dzerjinski.

Il se trouve aussi que j’avais, il y a peu, relu l’ouvrage de Jacques Bainville : « La Russie et la barrière de l’Est » ( Libraire Plon), constitué par ses lumineux éditoriaux sur le sujet dans l’Action Française de l’entre-deux-guerres.

Le grand historien y livrait des réflexions sur la Russie dignes d’être méditées aujourd’hui encore, et en premier par des politiques qui aiment se référer à Bainville sans toujours l’avoir bien lu.

Ce dernier y évoque notamment une lettre de l’impératrice Catherine II écrivant à Voltaire : « Nous n’avons point trouvé d’autres moyens de garantir nos frontières que de les étendre ». ( In « La Pologne et la Paix », L’Action Française du 22 mars 1925).

On lira aussi, entre autres, avec profit, dans cet ouvrage les articles : « Illusions sur la Russie » et « Entre Hitler et Staline ».

Je suis pour ma part fasciné par la théorie de « l’encerclement » si souvent invoquée par les défenseurs de Poutine. La superficie de la Russie est aujourd’hui supérieure à 17 millions de km2, soit environ trente fois la France. À quoi il faut ajouter la Biélorussie, totalement sous contrôle et aussi les immenses pays de l’Asie Centrale, et en premier l’immense Kazakhstan, sous sa grande influence…

Une Russie « encerclée », cela prête à sourire. Quant aux pays de l’ancien pacte de Varsovie qui, à tort ou à raison, ont recherché la protection défensive de l’OTAN, on peut comprendre aussi quelle peut être la psychologie de leurs peuples après plus de quarante années sous la schlague de la Moscou soviétique. Et ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine ne va pas - moins que jamais - dissuader de craindre leur grand voisin. Parlant à plusieurs reprises en Pologne sur la grande télévision, très écoutée, de Radio-Maria, je m’étais évertué à dissuader les Polonais d’approuver l’adhésion de leur pays à l’Union Européenne. En vain. L’angoisse d’une solitude face à la Russie était trop forte ! Et ce n’est pas maintenant, après l’invasion poutinienne de l’Ukraine, qu’ils voudront en sortir et sortir de l’OTAN.

Enfin, et nous y reviendrons ultérieurement : pour mieux conquérir à l’Ouest, Poutine ne lésine pas dans les bonnes manières à l’égard de la Chine.

Celle-ci, qui pousse très loin ses pions en Sibérie, sait gré à Poutine d’avoir apporté la preuve que la voie de la conquête communiste de Taïwan était désormais ouverte, que l’Amérique du gentil Biden ne réagirait sans doute pas.

Et c’est ainsi que Moscou et Pékin se félicitent d’avoir noué une alliance pour s’installer bientôt sur la Lune et conquérir ensuite Mars qui porte le nom si prometteur du Dieu de la guerre.

(1)   Ni les dirigeants de l’URSS ni Poutine n’ont exprimé de regret pour ce génocide.

(2)  J’ai reçu un surprenant courriel d’un quidam ardent admirateur d’Hitler et simultanément fanatiquement poutinolâtre. Manifestement, ce malheureux ignore que l’un des prétextes principaux invoqués par Poutine pour justifier sa guerre est de procéder à « la dénazification de l’Ukraine » (sic !). Un argument dans la plus pure tradition des procès de Moscou.

(3)  Un étudiant me demande ce qu’il en est de l’IVG en Russie. Tout simplement hélas, l’avortement y fait comme en France de grands ravages. Et le déclin démographique du peuple russe entraîne une baisse de population d’un million chaque année. Ajoutons que le commerce de la GPA, totalement libre dans ce pays, y est très florissant…