mardi 1 octobre 2019

Jacques Lorcey : dernière révérence !


Jacques Lorcey, grand ami du Centre Henri et André Charlier, et longtemps collaborateur de Reconquête, nous a quittés la semaine dernière, peu de temps après m’avoir envoyé le quatrième tome de ses « Souvenirs » titré « La Fête bat son plein ».

D’abord professeur de lettres et d’histoire, Jacques, passionné de théâtre, avait été reçu Pensionnaire à la Comédie Française puis, parallèlement à sa carrière bien remplie de comédien et de directeur de troupes, il fut Professeur aux Conservatoires de Paris.

S’il y a une chose qu’aujourd’hui  je ne regrette finalement pas, c’est de l’avoir le 9 juin 2018 au Centre Charlier décoré, épinglant sur sa poitrine l’insigne d’officier des Arts et Lettres. Comme il l’écrivit dans la page 327 de son dernier ouvrage, je n’étais pas en effet « excessivement emballé par cette cérémonie étrange », ayant pour ma part refusé toute décoration. Jacques était tenace. Et comme il désirait vraiment à ce que ce soit moi qui le décore (j’en avais le droit en tant qu’ancien député), j’avais obtempéré.

Et sa joie fut si grande d’être décoré en ce lieu et par moi, et parmi quelques dizaines de ses meilleurs amis du monde du théâtre, que j’en fus très touché. J’improvisais alors un discours de circonstance que le cher ami enregistra et a publié dans son livre en me couvrant de compliments exagérés.

Grâce à lui, j’ai donc pu lire (en page 327, 328, 329) ce que j’improvisais alors d’éloges bien mérités à son sujet.

Je déclarais notamment :
« Songez que cet homme-là traque Molière jusque dans la tombe et passe ses nuits, non seulement avec son Dieu du Théâtre mais aussi avec Sacha Guitry et toute leur Olympe composée entre autres de Feydeau, Rostand, Montherlant comme de tous les acteurs qui les ont joués avec lui ! De Feydeau, je citerai simplement cette pièce un peu désopilante et bien de circonstance aujourd’hui qui s’intitulait le Ruban !

J’ai connu Jacques Lorcey à Orange, lorsqu’il dirigeait une très belle troupe, travaillant pour la résurrection du théâtre classique – et je me souviens d’avoir été invité à  une représentation remarquable du Misanthrope. Mais il a monté tout le répertoire de Molière, ou presque.

Quand on prononce son nom, on pense évidemment à la Comédie Français, où il fut « ordonné » et qu’il représente à lui tout seul. Je tiens précisément son dernier ouvrage qui s’intitule, comme par hasard, L’inconnu dans la Maison ou Ma Comédie française ». Je dis « le dernier » - enfin, pour l’instant, car il publie un titre par semaine et je plains son éditeur ! Car ce qu’il y a de bon dans ses livres pour quelqu’un comme moi qui ne sait pas beaucoup lire, c’est qu’ils comportent des photos et des dessins : dans celui-ci, par exemple, vous pourrez trouver le personnage sous tous les aspects de ses héros, avec Ragueneau, Maître jacques, Monsieur Punèz, Breloc, Firmin, etc… Donc ici, avec nous, il n’y a pas qu’un seul personnage et il faudrait pouvoir le présenter sous de multiples éclairages, qui modifieraient constamment son apparence. Le problème psychiatrique d’un acteur, c’est qu’il ne peut pas être un – et c’est un drame dans la vie, car nous recherchons tous l’unité – alors que lui recherche la plus extrême pluralité. Allez donc trouver de l’équilibre avec cela !... Il semblerait pourtant que Jacques Lorcey y soit parvenu…

Mais Jacques est surtout pour moi un historien, historien du théâtre certes, mais en pénétrant dans son œuvre vous découvrez qu’il est un historien tout court. À travers les auteurs et les acteurs qu’il aime, il fait de l’Histoire, passant de la scène à l’Histoire sociale : c’est ainsi, par exemple, que dans son Esprit de Sacha Guitry, il y a des pages essentielles sur l’affaire Dreyfus ! Avec lui, on entre donc dans des séquences différentes de l’Histoire de France – dont bien entendu le XVII° siècle, ce Grand Siècle, vu par ses auteurs et ses acteurs.

Je voulais dire aussi que son livre sur Jean de la Fontaine est l’un des plus beaux. Il a décrit encore Edmond Rostand et son Cyrano. Quant à son œuvre sur Guitry, c’est une immensité  - sans parler de son Molière en trois petits volumes de 600 pages…

C’est donc une œuvre considérable, qui mérite d’être honorée et saluée… Me va particulièrement au cœur, également, sa très belle pièce Procès à Dieu sur le martyre des religieuses d’Orange en 1794, une œuvre admirable, qui mérite beaucoup de considération. »

Et c’est sur ces mots d’évocation des martyres d’Orange que, selon la formule de rigueur, « au nom du président de la République », cette République hélas fondée par des furieux sanguinaires guillotineurs, que j’épinglais sur la poitrine de Jacques Lorcey une décoration, celle-là bien méritée.

Ce Jacques-là, notre ami, nous le pleurons.