Jacques Lorcey, grand ami du
Centre Henri et André Charlier, et longtemps collaborateur de Reconquête, nous
a quittés la semaine dernière, peu de temps après m’avoir envoyé le quatrième
tome de ses « Souvenirs » titré « La Fête bat son plein ».
D’abord professeur de lettres et
d’histoire, Jacques, passionné de théâtre, avait été reçu Pensionnaire à la
Comédie Française puis, parallèlement à sa carrière bien remplie de comédien et
de directeur de troupes, il fut Professeur aux Conservatoires de Paris.
S’il y a une chose qu’aujourd’hui je ne regrette finalement pas, c’est de l’avoir le 9 juin 2018 au Centre
Charlier décoré, épinglant sur sa poitrine l’insigne d’officier des Arts et
Lettres. Comme il l’écrivit dans la page 327 de son dernier ouvrage, je n’étais
pas en effet « excessivement emballé par cette cérémonie étrange »,
ayant pour ma part refusé toute décoration. Jacques était tenace. Et comme il
désirait vraiment à ce que ce soit moi qui le décore (j’en avais le droit en
tant qu’ancien député), j’avais obtempéré.
Et sa joie fut si grande d’être
décoré en ce lieu et par moi, et parmi quelques dizaines de ses meilleurs amis
du monde du théâtre, que j’en fus très touché. J’improvisais alors un discours
de circonstance que le cher ami enregistra et a publié dans son livre en me
couvrant de compliments exagérés.
Grâce à lui, j’ai donc pu lire (en
page 327, 328, 329) ce que j’improvisais alors d’éloges bien mérités à son
sujet.
Je déclarais notamment :
« Songez que cet homme-là traque Molière jusque dans la tombe et passe
ses nuits, non seulement avec son Dieu du Théâtre mais aussi avec Sacha Guitry
et toute leur Olympe composée entre autres de Feydeau, Rostand, Montherlant
comme de tous les acteurs qui les ont joués avec lui ! De Feydeau, je
citerai simplement cette pièce un peu désopilante et bien de circonstance
aujourd’hui qui s’intitulait le Ruban !
J’ai connu Jacques Lorcey à Orange, lorsqu’il dirigeait une très belle
troupe, travaillant pour la résurrection du théâtre classique – et je me
souviens d’avoir été invité à une
représentation remarquable du Misanthrope. Mais il
a monté tout le répertoire de Molière, ou presque.
Quand on prononce son nom, on pense évidemment à la Comédie Français,
où il fut « ordonné » et qu’il représente à lui tout seul. Je tiens
précisément son dernier ouvrage qui s’intitule, comme par hasard, L’inconnu dans la Maison ou Ma
Comédie française ». Je dis
« le dernier » - enfin, pour l’instant, car il publie un titre par
semaine et je plains son éditeur ! Car ce qu’il y a de bon dans ses livres
pour quelqu’un comme moi qui ne sait pas beaucoup lire, c’est qu’ils comportent
des photos et des dessins : dans celui-ci, par exemple, vous pourrez
trouver le personnage sous tous les aspects de ses héros, avec Ragueneau,
Maître jacques, Monsieur Punèz, Breloc, Firmin, etc… Donc ici, avec nous, il
n’y a pas qu’un seul personnage et il faudrait pouvoir le présenter sous de
multiples éclairages, qui modifieraient constamment son apparence. Le problème
psychiatrique d’un acteur, c’est qu’il ne peut pas être un – et c’est un drame
dans la vie, car nous recherchons tous l’unité – alors que lui recherche la
plus extrême pluralité. Allez donc trouver de l’équilibre avec cela !...
Il semblerait pourtant que Jacques Lorcey y soit parvenu…
Mais Jacques est surtout pour moi un historien, historien du théâtre
certes, mais en pénétrant dans son œuvre vous découvrez qu’il est un historien
tout court. À travers les auteurs et les acteurs qu’il aime, il fait de
l’Histoire, passant de la scène à l’Histoire sociale : c’est ainsi, par
exemple, que dans son Esprit de Sacha Guitry, il y a des pages essentielles sur
l’affaire Dreyfus ! Avec lui, on entre donc dans des séquences différentes
de l’Histoire de France – dont bien entendu le XVII° siècle, ce Grand Siècle,
vu par ses auteurs et ses acteurs.
Je voulais dire aussi que son livre sur Jean de la Fontaine est l’un des plus beaux. Il a décrit encore
Edmond Rostand et son Cyrano. Quant à
son œuvre sur Guitry, c’est une immensité
- sans parler de son Molière en
trois petits volumes de 600 pages…
C’est donc une œuvre considérable, qui mérite d’être honorée et
saluée… Me va particulièrement au cœur, également, sa très belle pièce Procès à Dieu sur le martyre des religieuses d’Orange en 1794, une œuvre admirable,
qui mérite beaucoup de considération. »
Et c’est sur ces mots d’évocation
des martyres d’Orange que, selon la formule de rigueur, « au nom du
président de la République », cette République hélas fondée par des
furieux sanguinaires guillotineurs, que j’épinglais sur la poitrine de Jacques
Lorcey une décoration, celle-là bien méritée.
Ce Jacques-là, notre ami, nous le
pleurons.