vendredi 3 mai 2019

Pauvre Walesa !


Je lis ce matin dans le Figaro sur toute la page 4 de couverture l’entretien avec Lech Walesa, l’ancien syndicaliste de Solidarnosc devenu président de la République de Pologne.

Ses propos, globalement, sont plutôt consternants mais pour moi hélas pas du tout étonnants.

Avec toute une mission de Chrétienté-Solidarité, j’avais rencontré Walesa une première fois en 1987 à Gdansk près du chantier naval Lénine au temps de l’état de siège imposé sous la pression soviétique par le général collabo Jaruzelski. Avec un peu de recul, j’ai fini par penser que ce dernier a sans doute exercé, malgré ses mesures dictatoriales et répressives, un rôle « tampon », un rôle « bouclier » pour son peuple et son pays.

L’admirable écrivain et éditorialiste Annie Kriegel, cette ancienne militante stalinienne et résistante antinazie, devenue une combattante intellectuelle anticommuniste de première ligne, était arrivée à la même conclusion que le célèbre colonel Rémy, un des tous premiers et illustres grands résistants (réseau Notre-Dame !) sur le rôle du Maréchal Pétain.

Walesa en 1987 vivait dans une semi-clandestinité ou plutôt une semi-liberté, protégé par l’Église de saint Jean-Paul II, le plus redoutable adversaire du communisme. Il était auréolé de son prestige d’ouvrier électricien syndicaliste, animateur au premier rang du jeune syndicat Solidarnosc, adversaire finalement victorieux du carcan sur le monde ouvrier du gros appareil des syndicats communistes, courroie de transmission à tous niveaux du parti communiste.

Walesa, alors, se méfiait systématiquement et non sans raison des hommes politiques et journalistes français. 

Son accueil ne fut pas d’emblée chaleureux mais à l’évidence empreint de réserve sinon de méfiance. Mais notre interprète lui certifia que je n’étais pas un député européen comme un autre, mais d’abord un militant anticommuniste de Chrétienté-Solidarité s’occupant d’un pèlerinage de Notre-Dame de Paris à Notre-Dame de Chartres. Et d’ailleurs son aumônier était là.

Son visage s’éclaira aussitôt. J’eus droit à une chaleureuse accolade et il me déclara « Robotnik (ouvrier) d’honneur » du chantier naval qui, nous assura-t-il, ne serait plus jamais tristement affublé du nom de Lénine.     

À notre grande surprise, il nous expliqua ensuite, j’en ai gardé une vive mémoire, combien il serait difficile pour la Pologne de « revenir de la soupe de poisson à l’aquarium ». 

Il me fallut quelques secondes pour comprendre. Je savais que la carpe est un mets courant en Pologne. À l’époque, en cette période de dure pénurie, rare et chère, réservée aux jours de fête et dont on ne perdrait pas les moindres restes, voués à une maigre soupe.

Walesa nous servait là une parabole exprimant la difficulté qu’il y aurait de revenir de l’artificialité de la mixture socialiste à une vie naturelle, imagée par les frétillantes carpes dans leurs centres de pisciculture.

Je revis plus tard Lech Walesa, en 1991, avec une délégation du Parlement Européen. Il était devenu président de la République. Le président de la délégation, Jean-Louis Boulanger aujourd’hui député du Modem à l’assemblée nationale, sachant que je l’avais rencontré dans la période sombre, eut l’amicale courtoisie de me prier de le saluer en premier et de débuter l’entretien. 

Comme en témoignent les vidéos et photos (notamment dans « Combats pour mon pays ») Walesa, qui m’avait tout de suite reconnu, se lança chaleureusement vers moi, me tendant une main vigoureuse et expliquant à la délégation un brin ébahie que j’étais un bon robotnik solidariste…

La suite de son entretien avec mes collègues ne suscita pas de ma part une adhésion enthousiaste. Un peu plus tard, autour d’un verre, il ne me dissimula point son désarroi. Le parti communiste tenait encore beaucoup de choses et lui, il se sentait bien désemparé. À la vérité, c’était doctrinalement et politiquement qu’il était bien désarmé. 

Une chose était d’avoir été un remarquable agitateur et communicateur syndicaliste chrétien, une autre d’être à la tête d’une nation magnifique mais ravagée par le nazisme et un demi-siècle de communisme.

Walesa n’avait pas l’étoffe politique ni la culture d’un Vaclav Havel.

Aujourd’hui, quelque peu épaissi au moral comme au physique, un brin vaniteux et sûr de lui, à l’évidence par trop soucieux de ne pas déplaire à l’idéologie dominante dans les instances internationales, plus proche de Donald Tusk le polonais de service de l’eurocratie que de Kaczynski, le chef du gouvernement de son pays, le vieux Lech s’aligne par trop sur les conformismes dominants. 

Le voilà, après tant d’autres, émettant la niaiserie que « maintenant avec l’avion, les satellites, les téléphones cellulaires, Internet, nous ne pouvons plus contenir l’organisation du monde dans les limites des États-nations ».

Walesa n’a manifestement pas beaucoup réfléchi sur les exemples dans leur diversité de la Russie, du japon, de la Chine, d’Israël… triste retour, sans qu’il en ait conscience, de l’idée marxiste surannée sur la dépendance de la superstructure (la politique, les idées, la culture) par rapport à l’infrastructure (les moyens de production et de communication).

Et ce bon Walesa, se voulant prophète, d’ajouter en parfait récitateur de sa leçon mondialiste : « L’Europe continentale doit s’unir, mais demain nous devrons réfléchir à une organisation globale du monde, comme on le fait déjà dans la gestion du trafic aérien. Bien sûr, il y a des obstacles : les langues, les cultures ». 

Propos qui pourraient paraître simplement dus à son incapacité de conceptualisation et  à comprendre la distinction des domaines. Veut-il dire simplement que la diversité des langues et des cultures ne facilite pas la rationalisation planétaire qu’il appelle de ses vœux ou pire, qu’il faudrait les supprimer. Chose que l’on pourrait penser quand il continue : « Pour moi qui suis un révolutionnaire, la question est de savoir si nous allons choisir une logique globale de développement ou détruire notre civilisation ».

De cela on peut évidemment déduire n’importe quoi et son contraire : un Walesa adepte de l’idéologie internationaliste « du passé faisons table rase » ou un Walesa voulant conserver notre civilisation ? 

Pastichant Pascal, on pourrait dire que dans son propos, tout est si évidemment flou que ce serait fou par une autre espèce de folie que de vouloir clarifier son flou. Mais plus grave, bien plus grave qu’une vaticination idéologico-politique, voilà que sur la question des valeurs chrétiennes de la Pologne, le camarade Walesa répond : « La question de la religion doit être remise à sa place. Dieu est le même dans toutes les religions ».

Là, la débilité de la réponse atteint des sommets. Le personnage ne dit pas l’évidence qu’il y a un seul et même Dieu pour tous les hommes. Il affirme, sans autre précision, que le Dieu invoqué dans les diverses religions est le même ! 

Sans d’ailleurs se préoccuper des cas des religions polythéistes… Ainsi, la connaissance de Dieu, par sa révélation biblique et évangélique qu’ont les chrétiens, serait la même que celle des musulmans, des zoroastriens, des yezidis, des Hindous, des manichéens…
 
Oui vraiment, le nouveau Lech Walesa est dans le vent !

Et Notre-Dame de Czestokowa alors ? Mère de Jésus-Christ, « Dieu Fils de Dieu » ou alors simple symbole du passé ? 

Heureusement, on lit sa conclusion : « Ma foi m’a toujours aidé et m’aide encore ».

On veut bien croire qu’il s’agit de sa foi selon le credo catholique. Mais le Saint-Esprit ferait tout de même bien de l’empêcher de dire de trop grosses bêtises…