François contre la
peine de mort
Ce
dernier jeudi 2 août, le pape François a fait modifier par
« rescrit » (acte administratif officiel du gouvernement de l’Église
imposant la modification, la réécriture d’un texte), l’article 2267 du
Catéchisme de l’Église catholique qui depuis sa parution en 1992 légitimait en
certains cas l’usage par les États de la peine de mort comme une application du
droit à la légitime défense. On y lit jusqu’à présent :
-
article 2265 : « La légitime
défense peut être non seulement un droit, mais un devoir grave, pour celui qui
est responsable de la vie d’autrui, du bien commun de la famille ou de la cité. »
-
article 2266 : « Préserver le
bien commun de la société exige la mise hors d’état de nuire de l’agresseur. À
ce titre l’enseignement traditionnel de l’Église a reconnu le bien-fondé du
droit et du devoir de l’autorité publique légitime de sévir par des peines
proportionnées à la gravité du délit, sans
exclure dans des cas d’une extrême gravité la peine de mort. Pour des
raisons analogues les détenteurs de l’autorité ont le droit de repousser par
les armes les agresseurs de la cité dont ils ont la charge.
La peine a pour
premier effet de compenser le désordre introduit par la faute. Quand cette
peine est volontairement acceptée par le coupable, elle a valeur d’expiation.
De plus la peine a pour effet de préserver l’ordre public et la sécurité des
personnes. Enfin la peine a une valeur médicinale, elle doit, dans la mesure du
possible, contribuer à l’amendement du coupable. »
-
article 2267 : « Si les moyens
non sanglants suffisent à défendre les vies humaines contre l’agresseur et à
protéger l’ordre public et la sécurité des personnes, l’autorité s’en tiendra à
ces moyens, parce que ceux-ci correspondent mieux aux conditions concrètes du
bien commun et sont plus conformes à la dignité de la personne humaine ».
C’est
ce dernier article qui a été modifié comme ci-après (étonnamment sans annonce
de la suppression du 2266 qui semble pourtant implicitement aller de soi) :
« C’est pourquoi l’Église enseigne,
à la lumière de l’Évangile, que la peine de mort est une mesure inhumaine qui
blesse la dignité personnelle et elle s’engage de façon déterminée, en vue de
son abolition partout dans le monde. »
Les
commentateurs accrédités ont pu noter que si dans version française est utilisé
le mot « inhumain », c’est
l’équivalent du terme « inadmissible »
qui figure dans les cinq autres versions
publiées le même jour en italien, anglais espagnol, allemand et portugais. On
attend donc que soit publiée l’officielle version latine mais c’est à
l’évidence le terme « inadmissible »
qui a été utilisé par François s’exprimant d’ordinaire en italien ou espagnol.
Pour
la première fois dans son enseignement bimillénaire l’Église catholique, par la
voix de son chef, condamne donc la peine de mort pour des raisons que l’on a
lues et que nous allons reprendre mais dans l’affirmation que c’est « à la lumière de l’Évangile ».
Nous,
simples fidèles, voulons bien accepter cela mais sans nous priver pour autant
de l’impertinence de considérer qu’elle en a mis du temps cette Église, presque
deux mille ans, pour traiter d’une question aussi grave sans l’avoir considérée
« à la lumière de l’Évangile ».
Manière sans doute de dire « dans l’esprit de l’Évangile » ou encore
« dans la logique de l’Évangile » puisqu’on ne peut sur ce point
s’appuyer sur quelque texte explicite des évangiles synoptiques ni des
autres écrits néotestamentaires (Épitres et Actes des apôtres).
On
doit bien sûr considérer avec attention les raisons que François a exprimées
pour entraîner l’adhésion des fidèles. Il a rappelé que la parole de Dieu ne
pouvait être « conservée dans de la
naphtaline », que la doctrine ne devait pas être interprétée d’une
manière « rigide et immuable »
ce qui « humiliait l’action du
Saint-Esprit » et allait en opposition avec « l’évolution de conscience du peuple de Dieu ».
Comme
d’ordinaire, François a des expressions bien à lui, quelquefois surprenantes,
quelquefois nécessitant un effort de compréhension voire de supputation et
d’interprétation non sans ouvrir les voies à de l’imagination. Comme dirait
Macron, il faut faire un effort pour accéder à « l’imaginaire de
François » !
Ainsi
de la parole de l’Esprit à dégager de la naphtaline !
Bien
sûr, la doctrine catholique est celle d’une constante explicitation du dogme
allant de « l’implicite » à « l’explicite ». Et il revient
ainsi au fil des siècles à l’Église, et à son chef, de poursuivre l’œuvre de la
Révélation.
Pour
autant, n’y aurait-il pas chez François une certaine dureté à sous-entendre, à
bien le lire, nous semble-t-il, comme une préalable conservation de la Parole
de Dieu dans de la naphtaline. Peu aimable, vraiment, pour ses
prédécesseurs !
Mais
qu’entend donc François dans ses expressions sur « l’humiliation de l’action du Saint-Esprit » et de la
négation de « l’évolution de
conscience du peuple de Dieu ».
Quels
sont donc ceux qui commettent ces deux péchés ?
Car
« humilier le Saint-Esprit », ce n’est pas rien ! N’est-ce pas
une autre façon d’évoquer le péché contre l’Esprit ? Le plus grand des
péchés. Sentence pontificale sans appel ! En Enfer donc les rétrogrades
défenseurs de la peine de mort ?
Nous
lirons aussi avec attention l’explicitation par les théologiens de ce concept « d’évolution de conscience du peuple
de Dieu ». Cela signifie-t-il évolution de la conscience de l’Église
ou celle de la conscience collective des fidèles ? Mais comment François
peut-il diagnostiquer, observer, interpréter cette évolution de
conscience ? Engage-t-il sur cela son infaillibilité ?
Plus
loin il argue du fait que la peine de mort supprimait « une vie humaine qui est toujours sacrée aux yeux du
Créateur ». En effet le commandement du Décalogue dit bien : « Tu ne commettras pas de
meurtre » encore résumé en « Tu
ne tueras pas ». Mais quid alors, pour ne prendre que cet exemple, des
mises à mort (et par empalement !) ordonnées par Moïse lui-même ? Et
quid de toutes les peines de mort, souvent atrocement infligées, légitimées par
l’Église ? Il y a eu bien sûr sur cela une doctrine de l’Église catholique
(comme d’ailleurs du judaïsme). Et certes le respect de la vie est-il une
valeur sacrée pour les croyants puisque commandé par Dieu lui-même. Mais
cependant, condamnerait-on les croyants ou les incroyants qui devant l’immense,
incessant, infini flot de sang déversé au long de l’histoire des hommes peuvent
se demander si vraiment la vie humaine est toujours sacrée aux yeux du Créateur
tout puissant ?
Certes,
on connait les réponses habituelles sur le mal, prix de la liberté, sur le mal
« non voulu » par Dieu mais « permis ». Pas facile pour
certains de les accepter facilement. Mais on lira peut-être avec profit la
remarquable tentative de réponse du cher abbé de Tanouärn dans « Une histoire du mal ». Je ne
suis pas systématiquement d’accord avec tous les jugements politiques ou
littéraires de ce dernier et il ne demande rien de tel, mais son livre, comme
d’ailleurs son « Parier avec
pascal », figure dans mes rayonnages de prédilection…
Et,
une étagère au-dessus, sont les ouvrages de grande volée de l’admirable père
Bruckberger (dont je ne partageais pas la gaullolatrie) et notamment sur la
peine de mort dont il défendait, comme Pie XII, la justesse, et la justice,
avec les mêmes arguments à peu près utilisés aujourd’hui par François pour la
proscrire.
François
exprime qu’elle empêche la possibilité d’un « rachat
moral et existentiel ». Bruckberger, « l’aumônier de la résistance », avait fidèlement
accompagné jusqu’à son exécution son ami héroïque dans les Corps-francs de
14-18, Joseph Darnand, devenu le chef de la Milice du régime de Vichy et chargé
de la responsabilité qu’il assuma des crimes perpétrés par ses hommes. Bruckberger
montre dans ses écrits magnifiques et poignants sur cet épisode (« Tu finiras sur l’échafaud »,
« Nous n’irons plus au bois »),
combien la condamnation à la peine de mort peut être source de rédemption pour
le condamné.
Pie
XII, qui n’était pas un grand utilisateur de la naphtaline, développa également
cette raison ayant défendu la légitimité de la peine capitale pour des
criminels s’étant, par la monstruosité de leurs crimes dépossédés de leur
appartenance à l’humanité. Mais pour certains, leur acceptation de la mort
était la voie de la rédemption. Comme, au cœur du récit de la Passion le bon
larron de l’Évangile… Rien d’ailleurs dans ce texte, ni d’explicite, ni
d’implicite, contre la peine de mort…
François
évoque enfin la nécessité du « primat
de la miséricorde sur la justice » et dénonce une « neutralité plus légaliste que chrétienne ». N’y a-t-il
pas là une sorte de confusion des ordres ? Où d’ailleurs devrait s’arrêter
la miséricorde ? Et où devrait donc se borner la justice ? Ignominie
bien sûr de bien des États comme la Chine (si encensée au Vatican pour son
écologie !) infligeant sans compter des peines de mort ou les pires détentions.
Mais ne serait-ce point faire à la fois œuvre de justice et de miséricorde que
de condamner à la peine ultime des monstres de sadisme et de cruauté tels que
Pierre Bodein, l’assassin violeur longuement tortionnaire de la petite
Jeanne-Marie Kegelin ? Et si un misérable tel que lui venait à se repentir
avant sa dernière heure venue avec un juste châtiment, pourrait-on alors
vraiment trouver la peine de mort admissible ?