lundi 6 août 2018

À travers l'actualité


François contre la peine de mort

Ce dernier jeudi 2 août, le pape François a fait modifier par « rescrit » (acte administratif officiel du gouvernement de l’Église imposant la modification, la réécriture d’un texte), l’article 2267 du Catéchisme de l’Église catholique qui depuis sa parution en 1992 légitimait en certains cas l’usage par les États de la peine de mort comme une application du droit à la légitime défense. On y lit jusqu’à présent :

- article 2265 : « La légitime défense peut être non seulement un droit, mais un devoir grave, pour celui qui est responsable de la vie d’autrui, du bien commun de la famille ou de la cité. »

- article 2266 : « Préserver le bien commun de la société exige la mise hors d’état de nuire de l’agresseur. À ce titre l’enseignement traditionnel de l’Église a reconnu le bien-fondé du droit et du devoir de l’autorité publique légitime de sévir par des peines proportionnées à la gravité du délit, sans exclure dans des cas d’une extrême gravité la peine de mort. Pour des raisons analogues les détenteurs de l’autorité ont le droit de repousser par les armes les agresseurs de la cité dont ils ont la charge.

La peine a pour premier effet de compenser le désordre introduit par la faute. Quand cette peine est volontairement acceptée par le coupable, elle a valeur d’expiation. De plus la peine a pour effet de préserver l’ordre public et la sécurité des personnes. Enfin la peine a une valeur médicinale, elle doit, dans la mesure du possible, contribuer à l’amendement du coupable. »

- article 2267 : « Si les moyens non sanglants suffisent à défendre les vies humaines contre l’agresseur et à protéger l’ordre public et la sécurité des personnes, l’autorité s’en tiendra à ces moyens, parce que ceux-ci correspondent mieux aux conditions concrètes du bien commun et sont plus conformes à la dignité de la personne humaine ».

C’est ce dernier article qui a été modifié comme ci-après (étonnamment sans annonce de la suppression du 2266 qui semble pourtant implicitement aller de soi) : « C’est pourquoi l’Église enseigne, à la lumière de l’Évangile, que la peine de mort est une mesure inhumaine qui blesse la dignité personnelle et elle s’engage de façon déterminée, en vue de son abolition partout dans le monde. »

Les commentateurs accrédités ont pu noter que si dans version française est utilisé le mot « inhumain », c’est l’équivalent du terme « inadmissible » qui figure dans les cinq autres  versions publiées le même jour en italien, anglais espagnol, allemand et portugais. On attend donc que soit publiée l’officielle version latine mais c’est à l’évidence le terme « inadmissible » qui a été utilisé par François s’exprimant d’ordinaire en italien ou espagnol.

Pour la première fois dans son enseignement bimillénaire l’Église catholique, par la voix de son chef, condamne donc la peine de mort pour des raisons que l’on a lues et que nous allons reprendre mais dans l’affirmation que c’est « à la lumière de l’Évangile ».

Nous, simples fidèles, voulons bien accepter cela mais sans nous priver pour autant de l’impertinence de considérer qu’elle en a mis du temps cette Église, presque deux mille ans, pour traiter d’une question aussi grave sans l’avoir considérée « à la lumière de l’Évangile ». Manière sans doute de dire « dans l’esprit de l’Évangile » ou encore « dans la logique de l’Évangile » puisqu’on ne peut sur ce point s’appuyer sur quelque texte explicite des évangiles synoptiques ni des autres écrits néotestamentaires (Épitres et Actes des apôtres).

On doit bien sûr considérer avec attention les raisons que François a exprimées pour entraîner l’adhésion des fidèles. Il a rappelé que la parole de Dieu ne pouvait être « conservée dans de la naphtaline », que la doctrine ne devait pas être interprétée d’une manière « rigide et immuable » ce qui « humiliait l’action du Saint-Esprit » et allait en opposition avec « l’évolution de conscience du peuple de Dieu ».

Comme d’ordinaire, François a des expressions bien à lui, quelquefois surprenantes, quelquefois nécessitant un effort de compréhension voire de supputation et d’interprétation non sans ouvrir les voies à de l’imagination. Comme dirait Macron, il faut faire un effort pour accéder à « l’imaginaire de François » !

Ainsi de la parole de l’Esprit à dégager de la naphtaline !

Bien sûr, la doctrine catholique est celle d’une constante explicitation du dogme allant de « l’implicite » à « l’explicite ». Et il revient ainsi au fil des siècles à l’Église, et à son chef, de poursuivre l’œuvre de la Révélation.

Pour autant, n’y aurait-il pas chez François une certaine dureté à sous-entendre, à bien le lire, nous semble-t-il, comme une préalable conservation de la Parole de Dieu dans de la naphtaline. Peu aimable, vraiment, pour ses prédécesseurs !

Mais qu’entend donc François dans ses expressions sur « l’humiliation de l’action du Saint-Esprit » et de la négation de « l’évolution de conscience du peuple de Dieu ».

Quels sont donc ceux qui commettent ces deux péchés ?

Car « humilier le Saint-Esprit », ce n’est pas rien ! N’est-ce pas une autre façon d’évoquer le péché contre l’Esprit ? Le plus grand des péchés. Sentence pontificale sans appel ! En Enfer donc les rétrogrades défenseurs de la peine de mort ?

Nous lirons aussi avec attention l’explicitation par les théologiens de ce concept « d’évolution de conscience du peuple de Dieu ». Cela signifie-t-il évolution de la conscience de l’Église ou celle de la conscience collective des fidèles ? Mais comment François peut-il diagnostiquer, observer, interpréter cette évolution de conscience ? Engage-t-il sur cela son infaillibilité ?

Plus loin il argue du fait que la peine de mort supprimait « une vie humaine qui est toujours sacrée aux yeux du Créateur ». En effet le commandement du Décalogue dit bien : « Tu ne commettras pas de meurtre » encore résumé en « Tu ne tueras pas ». Mais quid alors, pour ne prendre que cet exemple, des mises à mort (et par empalement !) ordonnées par Moïse lui-même ? Et quid de toutes les peines de mort, souvent atrocement infligées, légitimées par l’Église ? Il y a eu bien sûr sur cela une doctrine de l’Église catholique (comme d’ailleurs du judaïsme). Et certes le respect de la vie est-il une valeur sacrée pour les croyants puisque commandé par Dieu lui-même. Mais cependant, condamnerait-on les croyants ou les incroyants qui devant l’immense, incessant, infini flot de sang déversé au long de l’histoire des hommes peuvent se demander si vraiment la vie humaine est toujours sacrée aux yeux du Créateur tout puissant ?

Certes, on connait les réponses habituelles sur le mal, prix de la liberté, sur le mal « non voulu » par Dieu mais « permis ». Pas facile pour certains de les accepter facilement. Mais on lira peut-être avec profit la remarquable tentative de réponse du cher abbé de Tanouärn dans « Une histoire du mal ». Je ne suis pas systématiquement d’accord avec tous les jugements politiques ou littéraires de ce dernier et il ne demande rien de tel, mais son livre, comme d’ailleurs son « Parier avec pascal », figure dans mes rayonnages de prédilection…

Et, une étagère au-dessus, sont les ouvrages de grande volée de l’admirable père Bruckberger (dont je ne partageais pas la gaullolatrie) et notamment sur la peine de mort dont il défendait, comme Pie XII, la justesse, et la justice, avec les mêmes arguments à peu près utilisés aujourd’hui par François pour la proscrire.

François exprime qu’elle empêche la possibilité d’un « rachat moral et existentiel ». Bruckberger, « l’aumônier de la résistance », avait fidèlement accompagné jusqu’à son exécution son ami héroïque dans les Corps-francs de 14-18, Joseph Darnand, devenu le chef de la Milice du régime de Vichy et chargé de la responsabilité qu’il assuma des crimes perpétrés par ses hommes. Bruckberger montre dans ses écrits magnifiques et poignants sur cet épisode (« Tu finiras sur l’échafaud », « Nous n’irons plus au bois »), combien la condamnation à la peine de mort peut être source de rédemption pour le condamné.

Pie XII, qui n’était pas un grand utilisateur de la naphtaline, développa également cette raison ayant défendu la légitimité de la peine capitale pour des criminels s’étant, par la monstruosité de leurs crimes dépossédés de leur appartenance à l’humanité. Mais pour certains, leur acceptation de la mort était la voie de la rédemption. Comme, au cœur du récit de la Passion le bon larron de l’Évangile… Rien d’ailleurs dans ce texte, ni d’explicite, ni d’implicite, contre la peine de mort…

François évoque enfin la nécessité du « primat de la miséricorde sur la justice » et dénonce une « neutralité plus légaliste que chrétienne ». N’y a-t-il pas là une sorte de confusion des ordres ? Où d’ailleurs devrait s’arrêter la miséricorde ? Et où devrait donc se borner la justice ? Ignominie bien sûr de bien des États comme la Chine (si encensée au Vatican pour son écologie !) infligeant sans compter des peines de mort ou les pires détentions. Mais ne serait-ce point faire à la fois œuvre de justice et de miséricorde que de condamner à la peine ultime des monstres de sadisme et de cruauté tels que Pierre Bodein, l’assassin violeur longuement tortionnaire de la petite Jeanne-Marie Kegelin ? Et si un misérable tel que lui venait à se repentir avant sa dernière heure venue avec un juste châtiment, pourrait-on alors vraiment trouver la peine de mort admissible ?