vendredi 26 mai 2017

Le ministre, son cabinet, et les bouseux de Centre-Bretagne


Hodie mihi, cras tibi. Hier, Fillon, aujourd’hui Richard Ferrand, député du Finistère, membre dirigeant du parti d’Emmanuel Macron et nommé depuis quelques jours ministre de la cohésion des territoires, accusé par le Canard enchaîné d’avoir employé son fils comme assistant parlementaire pendant quelques mois en 2014. Cela ne s’avérera illégal que si l’on établit que l’emploi en question était fictif. L’on pourra alors dénoncer, avec raison, l’immoralité d’une partie importante du personnel politique et aussi, en l’occurrence, l’absence totale de honte et de pudeur de celui qui déclarait, sur RMC en février dernier, qu’il fallait « moraliser la vie politique » en « s’engageant à ne pas embaucher son conjoint ou ses enfants ».

L’intérêt réel que nous décelons dans cette affaire se trouve dans les justifications avancées par le cabinet du ministre, interrogé par France Info : le fils Ferrand, 23 ans, fut payé en moyenne 1700 euros par mois pour « rédiger la lettre d'information bimestrielle du député, mettre à jour son blog ou son compte Facebook ou même réserver des trains ». Admettons, ce sont des tâches de secrétariat classiques. Mais pourquoi avoir pris le fils en particulier pour les accomplir ? « Un travail nécessitant un ensemble de compétences difficile à trouver dans la région, assure le cabinet : "Je vous invite à aller faire un tour en Centre-Bretagne. Ce n’est pas simple de trouver un jeune, volontaire, pour travailler cinq mois, qui sait lire et écrire correctement, aller sur internet." »

Le crâne d’œuf du cabinet de Richard Ferrand qui répond à France Info nous apprend donc qu’en Centre-Bretagne ne vivent que des traîne-savates analphabètes infichus de réserver un billet de train en ligne. Sic. Un ensemble de compétence (du secrétariat et du rédactionnel), difficile à trouver parmi plusieurs centaines de milliers d’habitants. Re-sic. Il est difficile de dépasser sa perplexité devant un tel propos mais essayons de l’interpréter :

  • Soit le crâne d’œuf est rempli d’un immense mépris de classe et voit la France d’en-bas, la France périphérique du géographe Christophe Guilluy, comme un ramassis de bouseux bas du front. La France provinciale dans son ensemble serait touchée : pas un fils de bon bourgeois de Quimper capable d’écrire un articulet de propagande sur Facebook ! C’est la vision binaire que l’accablant Jacques Séguéla exprimait récemment : la France des grandes métropoles est « plus avancée que la France des champs à tous les niveaux ».

  • Soit il y a une réalité catastrophique derrière l’assertion du bureaucrate, et c’est alors l’aveu du désastre incommensurable de l’Education Nationale qui aura produit, depuis les années 1960, des générations d’illettrés et d’incultes.


Si la faillite de l’enseignement public et la baisse calamiteuse du niveau culturel général sont pour nous des évidences et des dangers majeurs pour l’avenir de la France (l’auteur de ces lignes fut un temps professeur d’Histoire en collège et lycée, et toujours en prépa concours Grandes Ecoles, il entrevoit donc l’étendue du problème), elles se constatent et se rencontrent  autant chez la jeunesse mondialisée-déracinée des grandes villes que chez celles des campagnes, avec peut-être quelques degré de nuisance en plus chez la première. C’est elle qui peuple les salles de rédaction des chaînes d’information et autres magazines : l’inculture crasse des jeunes journalistes, très métropolitains, très peu « Centre-Bretagne », fait peur à lire et à entendre, et ce n’est qu’un exemple : qui a quelque peu suivi la communication de l’Elysée sous Hollande sait que le niveau a diantrement sombré, même au sommet de l’Etat.

Mais l’on se doute bien que ce n’est pas ce constat réactionnaire qu’émet l’obscur avoué du cabinet du ministre : c’est seulement le mépris de la caste dirigeante pour ces ploucs de Français du terroir « au sang pourri » (dixit Carla Bruni Sarkozy), braves bêtes aux veilles d’élections et cochons de payants le reste du temps. A rajouter donc à l’épais dossier à charge contre un monde politique dont nous ne voulons plus.

Pierre Henri