Hodie
mihi, cras tibi. Hier, Fillon, aujourd’hui Richard Ferrand,
député du Finistère, membre dirigeant du parti d’Emmanuel Macron et nommé
depuis quelques jours ministre de la cohésion des territoires, accusé par le
Canard enchaîné d’avoir employé son fils comme assistant parlementaire pendant
quelques mois en 2014. Cela ne s’avérera illégal que si l’on établit que l’emploi
en question était fictif. L’on pourra alors dénoncer, avec raison, l’immoralité
d’une partie importante du personnel politique et aussi, en l’occurrence, l’absence
totale de honte et de pudeur de celui qui déclarait, sur RMC en février
dernier, qu’il fallait « moraliser
la vie politique » en « s’engageant
à ne pas embaucher son conjoint ou ses enfants ».
L’intérêt réel que nous décelons dans cette affaire se
trouve dans les justifications avancées par le cabinet du ministre, interrogé
par France Info : le fils Ferrand, 23 ans, fut payé en moyenne 1700 euros
par mois pour « rédiger la lettre
d'information bimestrielle du député, mettre à jour son blog ou son compte
Facebook ou même réserver des trains ». Admettons, ce sont des tâches
de secrétariat classiques. Mais pourquoi avoir pris le fils en particulier pour
les accomplir ? « Un travail
nécessitant un ensemble de compétences difficile à trouver dans la région,
assure le cabinet : "Je
vous invite à aller faire un tour en Centre-Bretagne. Ce n’est pas simple de
trouver un jeune, volontaire, pour travailler cinq mois, qui sait lire et
écrire correctement, aller sur internet." »
Le
crâne d’œuf du cabinet de Richard Ferrand qui répond à France Info nous apprend
donc qu’en Centre-Bretagne ne vivent que des traîne-savates analphabètes
infichus de réserver un billet de train en ligne. Sic. Un ensemble de compétence (du
secrétariat et du rédactionnel), difficile à trouver parmi plusieurs centaines
de milliers d’habitants. Re-sic. Il
est difficile de dépasser sa perplexité devant un tel propos mais essayons de l’interpréter :
- Soit le crâne d’œuf est rempli d’un immense mépris de classe et voit la France d’en-bas, la France périphérique du géographe Christophe Guilluy, comme un ramassis de bouseux bas du front. La France provinciale dans son ensemble serait touchée : pas un fils de bon bourgeois de Quimper capable d’écrire un articulet de propagande sur Facebook ! C’est la vision binaire que l’accablant Jacques Séguéla exprimait récemment : la France des grandes métropoles est « plus avancée que la France des champs à tous les niveaux ».
- Soit il y a une réalité catastrophique derrière l’assertion du bureaucrate, et c’est alors l’aveu du désastre incommensurable de l’Education Nationale qui aura produit, depuis les années 1960, des générations d’illettrés et d’incultes.
Si la faillite de l’enseignement public et la baisse
calamiteuse du niveau culturel général sont pour nous des évidences et des dangers
majeurs pour l’avenir de la France (l’auteur de ces lignes fut un temps
professeur d’Histoire en collège et lycée, et toujours en prépa concours
Grandes Ecoles, il entrevoit donc l’étendue du problème), elles se constatent
et se rencontrent autant chez la
jeunesse mondialisée-déracinée des grandes villes que chez celles des
campagnes, avec peut-être quelques degré de nuisance en plus chez la première.
C’est elle qui peuple les salles de rédaction des chaînes d’information et
autres magazines : l’inculture crasse des jeunes journalistes, très
métropolitains, très peu « Centre-Bretagne », fait peur à lire et à
entendre, et ce n’est qu’un exemple : qui a quelque peu suivi la
communication de l’Elysée sous Hollande sait que le niveau a diantrement
sombré, même au sommet de l’Etat.
Mais l’on se doute bien que ce n’est pas ce constat
réactionnaire qu’émet l’obscur avoué du cabinet du ministre : c’est
seulement le mépris de la caste dirigeante pour ces ploucs de Français du
terroir « au sang pourri »
(dixit Carla Bruni Sarkozy), braves
bêtes aux veilles d’élections et cochons de payants le reste du temps. A
rajouter donc à l’épais dossier à charge contre un monde politique dont nous ne
voulons plus.
Pierre Henri