Chantal Delsol publie dans Le Figaro de ce samedi 13 juin un article intitulé « affaire Vincent Lambert : la vidéo,
nouvelle étape de la tragédie ». De sa hauteur de philosophe pas
toujours bien inspirée, elle y renvoie dos-à-dos les partisans de la mort de
Vincent Lambert et les défenseurs de sa vie, comme s’ils étaient tous des
tenants de courants idéologiques antagonistes « essayant d’avoir le dernier mot ». Comme si pour madame
Viviane Lambert, l’enjeu était de faire triompher une thèse !
Madame Delsol, êtes-vous à ce point dans le seul monde des
idées pour ne pas voir que madame Lambert n’est pas d’abord une idéologue, et
même pas du tout, mais une mère aimante, une mère souffrante qui ne veut pas
que l’on condamne son enfant à mourir affreusement de faim, et surtout de soif.
Et bien sûr, loin des regards, loin du faire-savoir de ce qu’est concrètement
la solution de passage de vie à trépas, selon la loi Léonetti. Idéal, somme
toute, pour vous, d’une mise en œuvre d’interruption « sociétale » de
vie dans la dissimulation ! Surtout : ne pas montrer ! Selon le
constant fondement de la morale bourgeoise.
On a fait le même coup avec l’IVG : surtout ne pas en
faire voir aux jeunes gens les terribles images de la réalité !
On a fait de même avec les images des victimes torturées,
enucléées, emasculées, de tant de terrorisme : « vos photos sont insupportables ! ».
De même pour les 3 000 jeunes femmes françaises enlevées en
Algérie en 1962 : « arrêtez de
nous parler de cela ! ».
Effectivement, ça peut couper l’appétit. Comme s’il fallait
ne montrer que les seules horreurs des abominations de la Shoah. Et il faut
effectivement le faire !
« Ob-scène », osez-vous écrire madame, certes en
toute précaution sémantique, pour qualifier les deux minutes de vidéo de
Vincent Lambert ! Non madame, cette vidéo n’est pas plus
« ob-scène » qu’ « obscène » ! Elle ne relève en
rien de ces tsunamis d’obscénité que fait déferler par tous les canaux, les
spectacles et les images, l’immense barbarie médiatico-culturelle.
Tranquillement, universitairement, philosophiquement, vous renvoyez
dos-à-dos les partisans de la vie et ceux de la mort. Chose inacceptable,
hélas, car vous confondez totalement le cas de Vincent Lambert avec
l’acharnement thérapeuthique d’un artificiel maintien en vie.
Pour manier leurs idées, il a toujours été des philosophes
pour faire fi des nuances de la réalité, comme vous, hélas, en cette affaire.
Et, analogiquement à votre position du jour, ça n’est pas la première fois !
Ainsi émettiez-vous des réflexions sur les livres de l’islam, témoignant de
votre affligeante méconnaissance et du Coran et des Hadîths.
La réflexion de Jean Giraudoux dans La Guerre de Troie n’aura pas lieu me revient : « le privilège des grands, c’est de
contempler les catastrophes du haut d’une terrasse ». C’est du haut de
votre terrasse académique et universitaire que vous considérez le cas de
Vincent Lambert et de sa mère. Non sans vous auto-décerner au passage les
lauriers d’une docte modération et du refus du manichéisme. Ainsi, il est donc « ob-scène »
pour vous, de montrer Vincent, qui n’est pas en fin de vie, miraculeusement,
car il est de fait retenu prisonnier dans un univers hospitalo-carcéral hostile
qui nous rappelle celui des hopitaux des grandes abominations totalitaires.
Serait-il indécent de vous rappeler que c’est exactement à la même peine de
mort par la soif que fut condamné dans l’enfer d’Auschwitz saint Maximilien
Kolbe ayant pris héroïquement la place d’un autre détenu, achevé après des
jours de lente agonie par une piqure d’acide infligée par son bourreau nazi ?
La réalité, c’est que vous dévaluez, madame, vos réflexions
sur la problématique générale de la fin de vie par un grave déni de réalité,
péché majeur pour les philosophes. Et sur le cas particulier de Vincent
Lambert, ne serait-ce pas hélas votre manière de le considérer qui serait très
réellement ob-scène ?
Bernard Antony