mercredi 22 avril 2015

Sur quelques surprenants jugements historiques de Marine Le Pen


Un sympathique étudiant en histoire du Front National me fait part de sa perplexité devant deux jugements de Marine Le Pen rapportés hier dans Le Figaro par Guillaume Perrault dans l’article intitulé « FN et PCF des années 70 : pour une fois, Hollande dit vrai ! ».

Il me demande ce que j’en pense.

Le premier jugement de Marine est le suivant : « Jean Jaurès a été trahi par la gauche du FMI et des beaux quartiers ». Il va de soi qu’il s’agit là d’une figure de polémique. Marine Le Pen n’ignore bien sûr pas que le FMI n’existait pas du temps de Jaurès. Et par Jaurès, elle entend évidemment l’idéal socialiste qui était celui de Jaurès. Cela dit, cette idéalisation du personnage Jaurès relève évidemment plus de la récupération à des fins propagandistes que de la vérité historique.

Car Jaurès, à Albi comme à Paris, fréquentait assidûment les beaux quartiers et les salons tout autant que son ami Barrès. On peut sur cela se reporter au chapitre V de mon livre « Jaurès, le mythe et la réalité ». J’y évoque les femmes qu’il admirait et dont il appréciait les réceptions. C’était notamment la grande poétesse Anna de Noailles, née princesse Bibesco Bassaraba Brancovan et aussi les diverses gauchos-bobos de l’époque, telles que la marquise Arconati Visconti et encore Elisabeth de Clermont-Tonnerre, duchesse de Gramont.

Par ailleurs, même si l’on peut trouver dans Jaurès beaucoup de choses et leur contraire, je ne suis pas sûr qu’il soit juste de lui attribuer qu’il aurait été hostile à l’idée d’un FMI, attaché qu’il était à une organisation internationale de l’économie.

Je crois donc que Marine n’a qu’une connaissance superficielle de Jaurès, et plutôt du mythe qu’elle veut récupérer que de la réalité. Mais ce qui est vrai, c’est que par-delà quelques côtés sympathiques, Jaurès fut fondamentalement un idéologue socialiste, collectiviste et communiste. Il employait indifféremment les trois mots pour désigner le même contenu.  Enfin, s’il était vaguement panthéiste, plus que matérialiste, il était férocement anti-catholique, allant jusqu’à justifier les pires abominations des persécutions de la Révolution française.

Je crois donc très regrettable, anachronique et passéiste la jauressolâtrie de Marine, de Steeve Briois, qui a un buste du personnage dans son bureau de sa mairie, de Louis Aliot qui s’en réclamait dans une affiche électorale.

Le deuxième jugement de Marine, cité par Perrault, est hélas beaucoup plus affligeant, car relevant d’un incroyable archéo-bolchévisme. Le 19 février 2012, à Lille, pour attaquer Mélenchon, ce que nous ne saurions lui reprocher, elle ne trouve rien de mieux que d’émettre que ce dernier obtiendra « une bonne place dans un gouvernement de gauche qui finira, comme celui de Jules Moch, par faire tirer sur les ouvriers refusant d’accepter le sort promis aux travailleurs grecs ».

Passons ici sur le fait que, lorsque le socialiste Jules Moch réagit fermement face aux grèves insurrectionnelles de 1947 et 1948, il n’était pas chef du gouvernement mais ministre de l’Intérieur. Mais ce n’est qu’un détail. Passons aussi sur l’assimilation bien rapide mais à simple but comparatif, des ouvriers de 1948 et de ceux qui de nos jours ne voudraient pas « du sort promis aux travailleurs grecs ».

Ce qui était en jeu en décembre 1947 et octobre 1948, lors des deux gigantesques grèves insurrectionnelles menées par la CGT et le parti communiste, c’était ni plus ni moins le basculement de la France dans le communisme. Or, quelles que soient par ailleurs ses fâcheuses  positions socialistes, Jules Moch était un homme très courageux, héros des deux guerres et très honnête aussi, y compris avec des adversaires. Ainsi reprocha-t-il vertement à De Gaulle l’exécution de Pierre Pucheu : « Je n’avais aucune sympathie pour Pucheu mais son exécution est un crime moral à mes yeux ».

Le socialiste Jules Moch, lui, savait à quoi s’en tenir sur l’URSS : à l’origine ingénieur de la marine, après la guerre, il y avait été envoyé pour négocier la vente d’équipements de chemin de fer. Ce qu’il vit le consterna et il en décrivit l’horreur dans son livre « La Russie des Soviets ».

Après la Libération, le parti communiste était la première force politique en France. D’abord participant avec plusieurs ministres au gouvernement du Général De Gaulle, ce dernier n’étant plus aux affaires, il prépara sa prise du pouvoir se faisant « engueuler » par l’ambassadeur d’URSS pour avoir choisi l’instauration de « comités de grèves » plutôt que de « comités révolutionnaires «  comme en Russie en 1917. C’était là un débat de stratégie très révélateur entre professionnels. On peut l’analyser à la lumière du célèbre livre, toujours très instructif, de Curzio Malaparte « Technique du coup d’État ».

Jules Moch arriva à dissoudre les 11 des 54 compagnies de CRS les plus noyautées par le parti avec des éléments des « milices patriotiques » issues de la Résistance. À certains moments, les forces de l’ordre durent en effet faire usage de leurs armes face à des émeutes dont le but était non seulement de renverser le gouvernement mais de permettre un retour définitif des communistes au Pouvoir et leur prise du Pouvoir.

Ces derniers accablèrent Jules Moch d’injures, au mépris de son admirable conduite d’officier dans les deux guerres. En bons staliniens, ils ne lésinèrent ni sur les injures antisémites ni simultanément sur les qualificatifs de SS. C’est alors qu’ils lancèrent le slogan CRS-SS.

Pour conclure, il y a donc vraiment de bien meilleures raisons pour attaquer le dinosaure bolchévique Mélenchon que de le comparer à Jules Moch et de lancer contre ce dernier une assertion injurieuse dans le droit fil hélas des insultes staliniennes…

Sur ce point en effet, on ne peut mettre le propos de Marine sur le compte d’une ignorance qui serait alors vraiment accablante.