Voici que tous ceux qui clament
d’ordinaire qu’ils ne veulent pas d’un « ordre moral » glapissent
maintenant de concert pour que l’on décide enfin d’une « moralisation de
la vie publique ». Les plus fanatiques moralistes ne peuvent que se
réjouir.
Mais si j’analyse bien l’affaire
Cahuzac, ce n’est pas tant le fait d’avoir planqué son fric dans des banques
hors des frontières sacrées de la patrie qu’on lui reproche. Bien plus, et à
juste titre, au-delà encore de ses dénégations dans le style « la vérité
si je mens !», ce qui indigne c’est le cynisme d’une abyssale
contradiction entre la pratique privée et l’acte public. Pour résumer, on était
avec ce ministre non seulement dans le registre des gendarmes-voleurs, des
douaniers receleurs, mais plus encore dans le genre dénonciateur , car appelant
à combattre les délinquants fiscaux avec les emphases de cette vertueuse
indignation qui est une des constantes de la gauche depuis les assemblées
hurleuses de la Révolution française.
Scrogneugneu, c’était pas avec
lui, Cahuzac, de la loge des frères de la vertu à l’Orient de Villeneuve sur
Lot, qu’on laisserait en paix ces salopards d’évadés fiscaux !
Cela dit, dans une époque de
relativisme généralisé, où il est de bon ton d’affirmer que « la vérité,
ça n’existe pas » voilà qu’en manifestant
l’évidence du mensonge on manifeste bel et bien celle de la vérité. Car
qu’est ce que le mensonge sinon le contraire de la vérité ?
Alors, pour moraliser, nos
intègres gouvernants imaginent toutes sortes de mesures telles que les
déclarations dûment formulées sur l’honneur, mais aussi toujours plus
d’enquêteurs pour les vérifier. Ce qui au moins créerait des emplois.
On parle même d’un référendum où
l’on demanderait aux Français s’ils souhaiteraient plus de mesures
moralisatrices. Mais cela nous semble demi-mesure. Car, ma foi, pourquoi ne pas
poser simplement la question aux français : « Voulez-vous de la
suppression du mensonge ? ». Si le oui l’emportait, et on
peut l’espérer, le mensonge étant alors interdit, quel progrès serait ainsi
réalisé ! Jean-Jacques Rousseau en ressusciterait de contentement. Hors
des appétits égoïstes des anciennes sociétés,
l’État nouveau, l’État enfin vraiment socialiste n’administrerait plus
qu’une grande et belle collectivité d’individus francs et loyaux. Plus qu’avec
Savonarole, plus qu’avec Calvin, réalisant enfin les sublimes aspirations des
grands ancêtres de la Révolution, les Saint-Just et les Robespierre, la vertu
finalement tiendrait lieu de constitution.
Les seuls en désarroi seraient
sans doute les juges et les avocats, ayant bien moins d’affaires à traiter avec
cette interdiction du mensonge. Supposons un oui à 99,9% à la question, quel
triomphe ce serait pour la moralisation de la vie publique.
Or le résultat pourrait être de
cet ordre. En effet, je suis persuadé que tous les dignitaires religieux
appelleront à voter oui au « non au mensonge ». En tête le grand
rabbin et, derrière lui, comme d’ordinaire, nos cardinaux et évêques et aussi
tous les dignitaires de l’islam, et encore tous les grands maîtres des
obédiences maçonnes rangées moralement derrière le plus illustre vénérable,
celui de l’illustre loge de la parfaite sincérité de Pinsaguel sur Garonne.
À notre François, ce franciscain
laïque, la République morale pourrait bien alors faire l’hommage d’une statue
immortalisant la déchéance du mensonge.
Ah, si un grand sculpteur, un moderne Praxitèle, pouvait
alors le croquer dans une de ces grandioses postures qui nous le font tant
admirer, dressé comme un coq gaulois, les traits tendus par une vigilante
héroïcité, le regard scrutateur et sévère vers l’avenir radieux dont il assure
la réalisation à Valérie Trierweiller.
On lirait sur le socle :
« À François l’inoubliable vainqueur du mensonge, l’hommage unanime
de la République vertueuse ».
Arrêtons-nous là mais, en vérité,
comment traiter autrement que par le sarcasme ces indignes appels des dindons
politiciens pour la moralisation de la République.
Quel déferlement
d’hypocrisie !
Car s’il n’est en effet pas bien
de mentir et de dissimuler, surtout lorsque l’on se présente comme un rigoureux
et impitoyable justicier, il est tout de même moralement bien pire de tuer. Or,
voici que le permis de tuer, de tenailler les enfants dans le sein de leur
mère, est encore plus encouragé par l’État, l’avortement désormais partout
assuré, conseillé, remboursé.
Oh certes le frère Cahuzac
agissait bien misérablement en traquant les auteurs de ce qu’il pratiquait
lui-même.
Mais quelle que soit l’abjection
de cette duplicité de maquereau dirigeant de police de la vertu, elle est
inférieure à celle de l’acceptation objectivement bien plus criminelle de
l’avortement. Mais pour cela Cahuzac ne devra pas rendre des comptes ici bas,
ni lui ni presque tous les autres politiciens presque tous complices dans
l’acceptation du meurtre banalisé de l’enfant à naître.
Alors nous, nous pensons qu’il
y a quelque indécence dans les hurlements des hyènes contre ce bouc émissaire
de Cahuzac. Car tous ensemble, avec lui, leur État républicain est celui du
meurtre des bébés.