lundi 15 novembre 2010

Bruno Gollnisch, l’islam et le Liban : que d’erreurs en peu de mots !

Je relève dans l’entretien donné par Bruno Gollnisch à Jeanne Smits et Olivier Figueras les propos suivants : « Au risque de heurter un certain nombre de nos amis, je pense que l’islam n’est pas monolithique. Je pense qu’il y a de profondes différences, quoi qu’on en dise, entre la bourgeoisie sunnite francisée, francophone et souvent francophile du Liban, et les salafistes, les talibans afghans, les chiites iraniens ».

On sait l’amitié que je porte à Bruno Gollnisch et combien j’admire sa grande culture de juriste international et son don des langues. Mais comme tout le monde il a ses failles. Au risque à mon tour de le heurter, je ne puis que relever qu’il a exprimé beaucoup d’erreurs et une grande méconnaissance en peu de lignes sur un des sujets centraux de la vie du monde actuel.

Voici donc ce que je me dois de lui exprimer.

Je ne sais s’il a des amis pour proférer l’erreur que l’islam serait monolithique. Ils seraient en effet de peu de culture. Car ce n’est évidemment pas la réalité à bien des égards si l’on considère ses grandes divisions califales et finalement politico-religieuses entre sunnites, chiites et les sectes dérivées de ce rameau (druze, alaouite, ismaélienne, etc…) et, bien sûr, les différences inhérentes à la diversité des peuples qui le composent.

Cela dit, le prophète Mahomet, selon ce qu’en rapporte ses biographes musulmans mit fin au paganisme polythéiste des Mecquois qui étaient des « litholâtres », c’est-à-dire adorateurs de pierres noires tombées du ciel (météorites). Il n’en conserva qu’une, donc selon un principe mono-lithique : la célèbre « Pierre Noire », qui aurait été scellée bien avant l’islam sur la Kaaba, le temple cubique central de la religion islamique, et dont les chiites s’emparèrent au X° siècle de notre ère avant de la restituer aux sunnites moyennant une colossale rançon.

Mais, à la vérité, s’il n’est pas monolithique, il y a tout de même dans l’islam un formidable principe d’unité dans une idéologie politico-religieuse partagée par tous et dont le modèle parfait est le gouvernement établi à Médine par Mahomet, auquel il faut croire et obéir absolument autant qu’en Allah, ce que répètent des centaines de versets coraniques.

Ce principe d’unité, c’est le Coran, c’est le modèle théocratique du gouvernement de Mahomet, c’est l’oumma (« la meilleure communauté qui ait été produite pour les hommes » cor. 3, 110) et à laquelle tous les musulmans et tous leurs États affirment une immense conscience d’adhésion. Et, si l’on n’est pas de l’ « oumma », on ne saurait avoir au mieux qu’un statut politico-social de dhimmi sauf, hélas peut-être pas pour longtemps encore, dans l’exception libanaise, le Liban étant le dernier pays du Proche-Orient où les chrétiens ne sont pas en dhimmitude.

Le principe de l’unité islamique s’incarne dans les relations internationales, Bruno Gollnisch ne peut l’ignorer, dans la formidable influence et dans les projets de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) qui réunit aujourd’hui cinquante-sept États presque tous officiellement islamiques mais aussi le Liban et quelques autres pays qui ne le sont pas ou pas encore.

Pas monolithique donc, l’islam ? Certes, mais cependant aujourd’hui dans un grand élan de conscience unitaire, y compris avec l’Iran dont s’est rapproché la Turquie.

Le cas particulier libanais, encore une fois « l’exception libanaise », si mini-minoritaire dans le monde islamique, ne saurait fonder comme le fait Bruno Gollnisch une réflexion analogique sur l’islam : il y a plus d’un milliard de musulmans dans le monde dont à peine trois millions de Libanais et parmi eux, moins d’un million de sunnites, parmi lesquels une petite minorité bourgeoise et une infime minorité francophone, soit environ deux ou trois millionièmes de l’islam.

Cela dit, Bruno Gollnisch semble ne connaître vraiment pas l’histoire et la réalité libanaises. Notre ami Richard Haddad, que ses propos ont en effet heurté, et tous nos amis libanais chrétiens francophones et francophiles, et tous nos amis universitaires islamologues lui enseigneraient que la bourgeoisie sunnite a été historiquement anglophile et aujourd’hui américanophile. Elle est le plus souvent formée à l’université américaine de Beyrouth. Rares sont ceux qui parlent le Français. Et surtout profondément liés à l’Arabie Saoudite et au premier rang la famille Hariri, libano-saoudienne, si chère à Jacques Chirac.

Cette bourgeoisie sunnite très minoritaire mais très riche poursuit au Liban le projet d’acheter avec ténacité les terres appartenant aux chrétiens dont la majorité est pauvre ou très pauvre. Cela suscite l’angoisse des responsables chrétiens et de leurs évêques qui supplient les chrétiens, malgré leur misère, de ne pas vendre. Ils ont exprimé cela dans leur synode.

La bourgeoisie sunnite, dont Bruno Gollnisch a sans doute rencontré comme moi quelques distingués spécimens polyglottes et diplomatiquement francophiles en quelques charmantes réceptions, fait naturellement allégeance à la famille Hariri qui en est le sommet féodal.

C'est Rafic Hariri, le premier ministre assassiné et père de Saad Hariri qui lui a succédé qui a construit au centre historique de Beyrouth, place des martyrs, en un lieu qui fut toujours chrétien, l’immense et magnificente mosquée qui porte son nom, dans la parfaite imitation, en volume et en style, de la mosquée de Constantinople qui fut jadis cathédrale.

Bruno Gollnisch plus que tout autre devrait se garder des illusions que peuvent sécréter la sociabilité des rapports entre gens de même classe.

Il y a certes des musulmans « modérés » intelligents, charmants, qui ne sont pas tous en effet des partisans et encore moins des pratiquants du terrorisme et il y en a autant et même plus chez les chiites que chez les sunnites. Bruno a tort d’amalgamer les salafistes, les talibans et les chiites iraniens ! Car la majorité des Iraniens exècre le régime issu de la sanglante révolution de Khomeiny.

Hélas Jean-Marie Le Pen assiste à l’ambassade d’Iran à la célébration de l’anniversaire de cette révolution comme d’autres célébraient Octobre à l’ambassade d’URSS, avec pour certains l’excuse des exigences diplomatiques que ne saurait invoquer un chef de parti. En conclusion, qu’il y ait plus que jamais dans la conjoncture mondiale et nationale actuelle nécessité de dialogue et de diplomatie avec les puissances islamiques est une évidence.

Du moins faut-il ne pas les construire sur des erreurs et des illusions.