jeudi 21 décembre 2006

La vie innocente peut-elle être mise aux voix ? par Yann Baly

Depuis quelques semaines, les journalistes et autres observateurs politiques parlent avec insistance de la dédiabolisation ou encore de la normalisation du FN. Ils semblent la déduire de certains gestes et de certaines déclarations émanant de membres de la direction du parti qui ne démentent pas ces rumeurs mais, au contraire, contribuent à les alimenter.

Il est tout à fait compréhensible qu’un homme, un groupe d’individus ou en l’occurrence, un mouvement politique souhaite ardemment ne plus être mis au ban de la société de façon arbitraire ou désire profondément ne plus être accusé injustement de crimes qu’il n’a pas commis. Le désir de vivre en paix est une disposition louable. Moins louable est l’attitude de celui qui pour rentrer dans le sérail du système, accepte l’inacceptable ou adopte des dogmes ou des modes qu’il combattait jusque là. Pire que la censure, c’est l’auto-censure !

Le système politico-médiatique qui règne en France ne fait pas de cadeau et n’accepte aucune concession sur l’idéologie qui fait son fondement. C’est à celui qui veut y rentrer de se renier et d’accepter son diktat, de fournir des preuves et pas seulement des affirmations. « Les preuves en terminologie politique, s’appellent des gages » écrivait Charles Maurras à ce propos.
Nous constatons avec regret que depuis quelques temps déjà, le Front national, sous l’impulsion de Marine Le Pen dit-on, est en train de donner des gages. Les donne-t-il à l’établissement ou à des électeurs potentiels ? Ce n’est pas à nous de le dire. Ce qui est certain, c’est que les principes qui nous animent rejettent d’un même élan l’allégeance à un système mauvais et le calcul électoraliste qui conduisent à renier des principes fondamentaux de notre combat.

Précisons tout de suite que ce qui nous dérange n’est pas la présence sur une affiche d’une « jeune fille d’origine non bretonne », comme l’a rappelé Bernard Antony, même si cela entre dans une tactique plus vaste qui vise à conquérir un électorat éthniquement ciblé. La méthode est discutable mais il n’y à pas la de remise en cause des principes qui ont été ceux de Jean-Marie Le Pen et du Front national depuis des décennies. La charte graphique des affiches du FN, ne nous empêche pas de dormir. Des goûts et des couleurs, on ne discute pas…
Par contre, l’annonce par Marine Le Pen, confirmée par Jean-Marie Le Pen, de la suppression du programme du FN de l’abrogation de la loi Veil sur l’avortement nous oblige à réagir fermement.
On se retranche désormais derrière le suffrage universel pour ne plus avoir à prendre position sur la question de l’avortement. C’est donc un référendum, en fin d’une hypothétique législature FN, qui décidera du sort des lois sur l’avortement.
Comme le rappelle un communiqué du 18 décembre 2006 : « Chrétienté Solidarité prend acte du fait que, par cette pirouette politique sur un sujet aussi grave, le Front national n’a plus de position officielle sur l’avortement. Au F.N de Marine Le Pen comme dans les autres partis, il semble désormais plus facile de faire du marketing politique et des opérations médiatiques que d’assumer des choix clairs. Cela fait-il partie de la « normalisation » du F.N dont on parle tant ? »
Le même texte rappelle également qu’ « aucune loi civile portant atteinte à la vie, fut-elle validée par le suffrage universel, ne saurait être mise au dessus de la loi morale. »
On ne peut accepter que la vie des enfants à naître soit soumise au jeu de la roulette russe du suffrage universel. Avoir imaginé cela pour ne plus avoir à répondre aux questions embarrassantes relève d’une irresponsabilité inacceptable.
« Et Pilate, voyant qu’il ne gagnait rien, mais plutôt qu’il s’élevait un tumulte, prit de l’eau et se lava les mains devant la foule, en disant : "Je suis innocent du sang de ce juste. " » (Math. 27.24).
Qu’est ce qui pousse certains dirigeants du FN à vouloir absolument exclure l’abrogation de la législation Veil-Aubry de son programme ?
Car, il faut le dire, cela ne date pas d’hier et il y a une constance dans cette volonté qui ne fait qu’accroître notre inquiétude. Il a fallu toute la fermeté de responsables du FN pour qu’en 2001, ce point figure dans le programme du mouvement.
Croit-on qu’en abandonnant cette position, l’on gagnera des voix ? Les seuls électeurs pour qui l’avortement est une cause déterminante de leur vote, ce sont ceux qui y sont opposés !
Et quand bien même cela ferait gagner des fois ou éviterait d’en perdre, ne plus vouloir mettre un terme à un génocide qui touche la vie des êtres humains les plus innocents est une erreur inqualifiable. « En politique, il est des erreurs pires que des crimes. »
Quelques jours avant l’annonce de ce revirement, le Pape Benoît XVI s’adressant à de nouveaux ambassadeurs auprès du Saint Siège déclarait : « Je sais qu’il faut un certain courage pour maintenir le cap au milieu des difficultés, en ayant comme objectif le bien des individus et de la communauté nationale. Cependant, dans la vie publique, le courage est une vertu indispensable pour ne pas se laisser guider par des idéologies partisanes, ni par des groupes de pression, ni encore par le désir du pouvoir. »
C’est Jean-Marie Le Pen qui rappelait préférer être battu sur ses idées qu’élu sur celles des autres. Il est à craindre que cette courageuse maxime ne soit noyée sous les flots de la normalisation annoncée. Cette normalisation qui fût, en son temps, le nom donné par les communistes à la période de répression que connut la Tchécoslovaquie après les événements de Prague en 1968. Le terme lui-même n’augure donc rien de bon…
Le Front national est entré dans une phase similaire à celles qu’ont connu les mouvements nationaux après leur accession au pouvoir en Italie et en Autriche : ne pouvant entrer dans le système sans se renier, ils s’y sont dilués. Pour quels résultats ?


Yann BALY