jeudi 21 décembre 2023

Les libres propos d'Alain Sanders : Noël d'enfance, il faisait doux. Les nuits marocaines sont ainsi, même en hiver...

Nous allions chercher la mousse sur le plateau de Bettana qui surplombe l'oued Bou Regreg (en arabe : « Celui qui scintille »). Salé, ma ville. Et au loin, Rabat. La crèche ? Elle était faite du liège des chênes de la Mamora où, dit-on, Hannibal captura jadis les éléphants qui effrayèrent si fort les Romains.

Il y avait un vrai moulin dont les ailes tournaient grâce à une petite pile. Des ruisseaux – du papier argenté – qui couraient dans la montagne. Une étoile – l’Étoile – qui dominait l'ensemble. Un ange. Des maisonnettes. Des dizaines de santons : les plus traditionnels – dont le Ravi, bien sûr – et d'autres nés de notre imagination. Des animaux : l'âne, le bœuf, un chat, des moutons, des chèvres, des poules, des dromadaires et même deux éléphants.

Dans le lointain, les Rois mages qui cheminaient lentement. Chaque jour qui nous rapprochait de Noël, nous les rapprochions de la crèche où saint Joseph, la Vierge Marie, quelques bergers, attendaient la venue de l'Enfançon. Que nous ne placerions dans la paille que dans la nuit du 24 au 25, au retour de la messe de minuit à Sainte-Anne de Salé.

Quand nous n'étions pas requis pour la chorale, dirigée par un imposant maître de chapelle, nous servions la messe. Notre curé s'appelait l'abbé Tréaux. Et nous pensions qu'il portait ce nom – Très Haut – parce qu'il était le serviteur du Très-Divin...

Au retour, nous placions avec ferveur – et c'était un rôle dévolu à ma grand-mère – le Petit Jésus dans son humble berceau. Mon grand-père s'extasiait d'autant plus de la joliesse de la crèche qu'il avait su, une fois de plus, échapper à sa fabrication et à sa mise en place.

Il faisait doux comme à Bethléem. Les nuits marocaines sont ainsi, même en hiver. Il n'empêche que nous rajoutions sur le berceau de l'Enfant Jésus un bout de couverture rifaine façonnée par Ftomah, la servante au grand cœur qui venait du Maroc espagnol et appelait Jésus Sidi Aïssa.

Il fallait aller se coucher. Les yeux pleins de rêve, le cœur apaisé, l'âme ravie. Avions-nous été sages ? Pas toujours. Mais nous savions qu'au matin du 25 décembre, l'arbre de Noël – un magnifique sapin rapporté des forêts du Moyen-Atlas – serait entouré de ces beaux cadeaux que nous ne méritions pas toujours. Avec l'âge, le temps et la tristesse des temps, je suis devenu une sorte d'agelaste. Mais le souvenir de ces Noëls des temps heureux ramène toujours un sourire sur mon visage.

Un Noël d'enfance. Un Noël d'innocence. Un saint Noël.

Alain Sanders