vendredi 1 septembre 2023

Les libres propos d'Alain Sanders


Gabon : il est minuit (passé) docteur Schweitzer...

Le grand souvenir que je garde du Gabon – et qui remonte à quelques années déjà –, c'est d'abord Lambaréné (à 250 km au sud de Libreville). Avec la visite du dispensaire historique du docteur Schweitzer, intégré dans le nouvel hôpital inauguré en 1981. Et quelques fleurs déposées sur la tombe du légendaire combattant contre la lèpre.

Souvenir encore, toujours à Lambaréné, des églises de la ville, Saint-François-Xavier, Saint-Joseph et Sainte-Marie toujours emplies le dimanche – mais aussi en semaine – de centaines de fervents fidèles (le Gabon est très majoritairement chrétien).

Pourquoi évoquer Lambaréné pour parler du putsch qui, le 30 août dernier, a balayé sans coup férir Ali Bongo, dégageant du même coup la dynastie Bongo qui, depuis cinquante-cinq ans, a fait du Gabon sa chose personnelle ? Parce que les liens qui ont longtemps uni la France et le Gabon sont d'une autre nature que les magouilles mafieuses qui ont entaché la Françafrique. Les Bongo ont tondu le pays. Et il faudra des années pour faire l'inventaire de leurs biens colossaux. Quant à les récupérer...

C'est en 1839, après une sorte de traité avec un roitelet du coin, le « roi Denis », que les Français ont commencé à explorer le Gabon (les Portugais et les Hollandais, qui faisaient la traite avec les autres roitelets locaux, fournisseurs de chair fraîche, n'avaient jamais dépassé les rivages du pays). En 1888, le Gabon devient une colonie. Elle sera rattachée, dix ans plus tard, au Congo, sous le nom de Gabon-Congo, puis de Congo français. En 1904, le Gabon redevient une colonie distincte. En 1946, c'est un territoire d'outre-mer.

En 1958, le Conseil de gouvernement du Gabon demande que le territoire devienne un département français. En vain. En 1960, De Gaulle, qui a entrepris de brader notre empire (et de livrer bientôt le Sahara français aux illuminés du FLN), décide de donner l'indépendance – et souvent à leurs corps défendant – à l'AOF et à l'AEF. Les Gabonais rediront leur désir de rester français. De Gaulle les enverra paître.

Sous la présidence de Léon Mba (qui s'était battu pour la départementalisation du Gabon), le pays, dont la langue officielle est le français, va rester dans le giron de la France. En 1964, l'armée française interviendra pour sauver Léon Mba menacé par une révolution de palais. A sa mort, en 1967, arrivée au pouvoir (il ne le quittera plus jusqu'à sa mort) d'Albert-Bernard Bongo, plus tard connu sous le nom d'Omar Bongo Odima.

Franc-maçon frénétique, comme son fils supposé (1), Ali Bongo, Alfred-Bernard va se convertir à l'islam, (ce qui passera mal au Gabon) pour complaire aux maîtres musulmans du pétrole et ainsi devenir Omar. Le fils, Alain, franc-maçon d'un grade élevé, deviendra pour sa part Ali (il a un fils prénommé Noureddine et une femme, une Française blanche, elle aussi devenue musulmane ; très controversée, elle est désormais sous le contrôle de la junte). 

Un Gabon francophile et francophone ? C'était vrai naguère. Depuis quelques années, Ali Bongo souhaitait s'émanciper de Paris, affectait de parler anglais (c'est dans cette langue qu'il a lancé un pathétique appel vox clamantis in deserto), le Gabon était devenu membre du Commonwealth depuis le 25 juin 2022.

Depuis le putsch, un putsch à la papa (qui a dû ravir Bob Denard au pays des oies sauvages), un Comité pour la transition et la restauration des institutions s'est mis en place. Avec, pour président, Brice Clotaire Oligui Nguema. Ce dernier – et c'est plutôt bon signe – a fait un grand signe de croix après avoir juré d'honorer ses fonctions.

Le coup d’État gabonais n'a rien à voir avec ceux fomentés dans le Sahel et, tout récemment, au Niger. Pas de slogans anti-français, pas de drapeaux russes, pas de surenchères exubérantes lors des scènes de liesse populaire observées à Libreville et à Port-Gentil. On a là-bas trois cents soldats dont personne ne demande le départ et pas d'évacuation prévue de nos 12 000 ressortissants dans le pays. De plus, et là encore c'est rassurant, Brice Clotaire Nguema est connu pour ses sentiments pro-français.

Frappé par un AVC depuis octobre 2018, Ali Bongo (qui avait laissé le pouvoir à sa femme) est désormais hors-jeu. Sera-t-il jugé ou va-t-il, plus simplement, succomber (plus ou moins naturellement...) à sa maladie ? On devrait être fixé bientôt.

Reste pour le « peuple gabonais », composé de Mpongwes, Mitsogos, Okandes, Bakotas, Punus, Echiras, Orungus, Adoumas, Nzebis, Balumbus, Fangs, Teke-Mbete, Myénés, Bakas, Obamabs, Kotas, Lumbus, Vungus, Humbus et autres Bantous de circonstance, tous unis par un même drapeau et une même langue – le français – de sortir de ce long demi-siècle de corruptions en tous genres. Pour se fabriquer un nouveau destin. Pas forcément calqué sur le prétendu « modèle » démocratique occidental qui, en Afrique, a désormais fait son temps.

Alain Sanders

(1) « Supposé » car, selon la rue gabonaise, Ali ne serait pas le fils d'Omar, mais un jeune orphelin biafrais adopté par Bongo lors de la guerre du Biafra. Si non e vero...