mercredi 23 août 2023

Les libres propos d'Alain Sanders

Niger : démocratie ? Non : ethnographie !

Nous avons eu, dès le début de la sarabande nigérienne, l'occasion de dire, alors que les commentateurs s’excitaient, qu'au Niger il allait être urgent de ne rien faire... La suite nous a donné raison.

Le Cédéao, qui a commencé de nous la jouer Gnafron (avec le Nigeria en pointe) en roulant des mécaniques, a remisé (au moins pour l'heure) sa panoplie guerrière. Tout en feignant de faire les gros yeux aux putschistes. Qui s'en fichent comme de leur première AK-47. Ils ne sont certes pas reconnus officiellement, mais ils le sont de facto. Comme leurs comparses ès-putsch maliens et burkinabés.

En Europe, et plus tristement en France où les vieux de la vieille du temps des colonies (horresco referens, bien sûr) ont laissé la place à des damoiseaux macronesques, on s'est ému (mais, là aussi, la fièvre compassionnelle est un peu retombée) du sort réservé au président nigérien, Mohamed Bazoum. Au motif qu'il a été élu démocratiquement et que la démocratie c'est sacré... En oubliant que la démocratie à l'occidentale est bien dévaluée en Afrique de l'Ouest où elle a été naguère imposée, sans tenir compte des réalités ethniques africaines, par les fanatiques de la chose. Alors, comme dirait Macron, il faut restaurer la démocratie au Niger. Dussent les rues en ruisseler de sang. Ajoutons que la fable d'un Bazoum « démocratiquement élu » selon des critères démocratiques occidentaux n'est avalée que par Macron et son entourage. Mais passons...
Ce que les supporters européens de Bazoum devraient se demander en revanche, c'est de savoir comment il se fait que les électeurs de ce président « démocratiquement élu » ne se sont pas croisés en sa faveur, laissant les putschistes s'installer sans coup férir (et même pas une manif de protestation... démocratique).

La réponse est assez simple. Au Niger, mais aussi dans la majorité de l'Afrique noire, la démocratie c'est « manières de Blancs ». Même si ce n'est pas politiquement correct de le dire, la réalité est ethnographique. Avant d'être un président « nigérien », Bazoum est d’origine arabe. Et n'appartenant donc pas à unes des ethnies constitutives du Niger profond : Haoussa (56%), Zerma-Songhai (22%), Peul (8,5%), Touarègue (8%), voire même Kanouri (4%).

Bazoum appartient à la tribu libyenne des Ouled Slimane qui fut jadis puissante avant d'être dispersée, en 1830, par les Ottomans qui avaient remis la main sur la Régence de Tripoli. Une partie des Ouled Slimane fit profil bas sous les Turcs en Libye, une autre s'exila au Tchad et dans l'extrême nord-est du Niger. Avec des habitudes arabo-musulmanes pas toujours respectueuses (litote...) des sensibilités des populations noires marquées par des siècles d'esclavage aux mains de négriers mahométans.

L'africaniste Bernard Lugan apporte ces précisions supplémentaires : « Au Niger, où les Ouled Slimane constituent moins de 0,5% de la population, et où ils sont considérés comme des étrangers, le fait que l'un des leurs parvienne à la présidence était mal ressenti. Et, circonstance aggravante, les Ouled Slimane sont vus comme des amis de la France depuis qu'en 1940-1941 ils ont opportunément suivi la colonne Leclerc dans son opération de conquête du Fezzan italien, action ayant démarré au Tchad et au Niger. Ce fut d'ailleurs à cette occasion que certaines fractions des Ouled Slimane retournèrent en Libye où, depuis, elles se heurtent aux Toubou qui occupent leurs anciens territoires abandonnés après l'exode du XIXe siècle ».

Pour résumer : il y a pour l’heure des positions politiques plus confortables que celle dans laquelle se trouve le « démocrate » Mohamed Bazoum...


Alain Sanders