Les libres propos d’Alain Sanders
Né le 1er janvier 1921 à El Talagh, Algérie française, issu d’une famille très modeste, caporal de tirailleurs algériens en 1944 (il fut grièvement blessé à la jambe à Monte Cassino), médaille d’or au marathon des JO de Melbourne en 1956, Alain Mimoun était un fils de France. Le genre d’homme pour qui j’aurais milité et voté s’il s’était présenté à l’élection présidentielle. Je l’associe, dans ma mémoire, à mon père, ancien de la 2eDB, disparu un an avant lui, et qui avait pour ce frère d’armes une affectueuse admiration.
“Quand je vois monter le drapeau français au sommet du mat, j’ai les larmes aux yeux”, disait Mimoun. Français. Et rien d’autre. Au point d’avoir choisi très tôt de changer son prénom d’origine, Ali, pour celui d’Alain (il était né Ali Mimoun Ould Kacha).
Il reste, à ce jour, le recordman absolu de l’athlétisme français : 29 titres nationaux sur 5000 et 10 000 mètres. Après la guerre, il décroche un petit job de garçon de café au bar du Racing-Club de France à la Croix-Catelan. Un petit job, mais un grand destin : c’est là qu’il commence sa carrière de coureur.
Son grand rival est le Tchèque Emil Zatopek. Aux JO de 1948 à Londres, aux JO de 1952 à Helsinki, Zatopek est médaille d’or. Mimoun, médaille d’argent. Aux JO de 1956, à Melbourne, il a 35 ans. Un “ vieux ”. Au 10 000 mètres, il ne termine que douzième. On lui déconseille de participer au marathon. Il n’en tient pas compte. La veille du départ, un télégramme lui annonce que sa femme vient d’accoucher d’une fille. Il la baptisera Olympe.
Il porte le dossard numéro 13. Melbourne est écrasée de chaleur. Au kilomètre 30, il a un coup de “ moins bien ”. Il s’accroche : “ Je pensais à ma mère, à ma femme, à ma fille qui venait de naître ”. Le 28 janvier 1944, il n’avait échappé que par miracle à l’amputation. Pas question de flancher. Il va remporter l’épreuve – à tous les sens du terme – et battre son invincible rival, Zatopek.
Il sera décoré par quatre présidents de la République : Coty, Pompidou, Chirac, Sarkozy. Des nains pour honorer un géant… Mais l’un de ses plus précieux souvenirs restera le tour d’honneur qu’il fit au Stade de France lors des mondiaux de 2003. Des milliers de spectateurs, debout, pour ovationner sans fin ce vieil homme drapé dans le drapeau tricolore.
Jusqu’à l’âge de 85 ans, il fera ses 20 kilomètres quotidiens. Et puis, jusqu’à la fin, de longues marches au bord de la Marne (il habitait à Champigny dans le Val-de-Marne).
Un fils de France. L’exemple même de ce que l’Algérie française pouvait donner – et aurait pu continuer de le faire – de meilleur. La réponse à ceux qui, par le sang (en Algérie) et la trahison (en France), ont tout fait pour briser, sans doute à jamais, notre communauté. Où Camus, le petit pauvre, était le frère de Mimoun, le petit pauvre.
Mimoun avait eu la douleur de perdre sa femme quelques semaines plus tôt. Il n’avait guère attendu pour aller la rejoindre. Sur la piste cendrée du grand stade du Bon Dieu, il a passé une dernière fois la ligne d’arrivée. En vainqueur.
Alain Sanders