vendredi 28 avril 2023

Russophobes ? Certainement pas ! Poutinophobes ? Totalement !

·         Andrius Kubilius, ancien premier ministre de Lituanie, et actuellement député au Parlement européen, répond ce 28 avril dans la page « Débats autour du monde » du Figaro à des questions de Laure Mandeville, la brillante spécialiste de la Russie et de l’ère post-soviétique.

Il rappelle notamment le dimanche sanglant du 13 janvier 1991 à Vilnius, évoqué précédemment dans ce blog par notre ami Alain Sanders. Les chars de l’armée rouge (envoyés par Gorbatchev) avaient ce jour-là écrasé quatorze patriotes lituaniens. Mais Andrius Kubilius rappelle aussi qu’à la suite de ce dernier acte de barbarie soviétique en Lituanie, un million de Russes, menant alors leur propre mouvement de libération du carcan communiste, avaient manifesté en faveur de l’indépendance de ce pays.

Il poursuit : « C’est ainsi que les Russes se comportent quand ils ne sont pas sous l’oppression d’un régime tel que celui de Poutine ».

Plus loin : « Nous ne sommes pas des russophobes, nous sommes russophiles et des poutinophobes ».

C’est exactement ce que j’ai pour ma part exprimé en évoquant ma jeunesse de militant solidariste français soutenant l’action du NTS ( Narodno Trudovoy Soyouz), l’Union des solidaristes russes qu’animait notamment en France notre ami Michel Slavinski, l’auteur du livre « Ombres sur le Kremlin » (ed. La Table Ronde), sous-titré « Une voix libre se fait entendre derrière le rideau de fer ».

Cela dit, on ne saurait confondre l’admiration que l’on peut avoir pour la culture russe (ses grands écrivains, ses grands musiciens…) avec la fascination qu’éprouvent trop de nos compatriotes pour les politiques de la Russie et de l’Union Soviétique.

·         Cela a même souvent confiné à une malsaine attraction de nature hypnotique pour la puissance prêtée à la Russie.

Jacques Bainville, le grand historien d’Action Française, a jadis développé les dangers politiques de cette attirance dans son livre « La Russie et la barrière de l’Est ». Il est heureux que l’ouvrage soit actuellement réédité par les éditions Godefroy de Bouillon de notre ami et éditeur Richard Haddad.

Saluons aussi la parution de l’ouvrage d’Isabelle Lasserre « Macron – Poutine : les liaisons dangereuses » (ed. L’Observatoire). Bruno Tertrais s’en réjouit dans son excellent article d’hier dans le Figaro, titré : « Ces trois illusions sur lesquelles repose la relation entre la France et la Russie ».

La première illusion est celle de « l’alliance naturelle ». Tertrais déplore que « nos présidents aient jugé bon de se référer à Voltaire, à Diderot et à la cour de Catherine II, où l’on parlait le français ». Et de poursuivre : « Cette vision romantique et nostalgique ne devrait pas masquer la trahison de Pierre III lors de la guerre de Sept ans, l’occupation de Paris par les cosaques en 1815, la guerre de Crimée ou le pacte germano-soviétique ».

Il rappelle : « Au temps de la guerre froide, notre ancien allié de circonstances occupa la moitié de l’Europe et arma nos ennemis en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique. Comme allié naturel on fait mieux. S’agit-il de se prévaloir d’intérêts ou de valeurs en commun ? »

Sa réponse : « Loin de lutter contre le jihadisme, Moscou préservait l’État islamique en Syrie et lance ses milices tchétchènes à l’assaut de l’Ukraine. » Il poursuit : « La plus grande imposture réside dans l’idée d’une Russie défendant les valeurs conservatrices : alcoolisme, violences conjugales, divorces, déclin de la natalité et de la pratique religieuse attestent plutôt du contraire ».

Tertrais dénonce ensuite une deuxième illusion, celle de « la France comme puissance d’équilibre » pouvant s’appuyer sur la Russie pour équilibrer le poids des États-Unis. Argument gaulliste traditionnel omettant le fait que « le général De Gaulle ne se faisait aucune illusion sur la nature de l’Union soviétique et savait choisir son camp lorsque l’heure était grave ».

La troisième illusion est celle du « dialogue entre égaux » et selon laquelle l’on doit lever malentendus et incompréhensions avec une Russie qui aurait été trop humiliée.

Tertrais se félicite de ce qu’Isabelle Lasserre, « forte de sa longue expérience de la Russie et d’un accès aux meilleures sources, y compris au plus haut niveau », fasse un sort à ces inepties. Redisons pour notre part que les « humiliations » que la Russie aurait subies furent les libérations des peuples asservis sous le carcan soviétique (Pacte de Varsovie), et sa débâcle en Afghanistan, et encore celle de la catastrophe de Tchernobyl…

Tertrais observe très justement que l’aveuglement sur les relations avec la Russie est « plus répandu à droite qu’à gauche ». Nous pourrions ajouter : et tout particulièrement dans les mouvances d’extrême-droite, catholiques ou athées.

Mentionnons ici la poutinolâtrie sévissant aussi bien dans les revues de ce qui a été appelé « la nouvelle droite », de culture païenne, et encore dans l’intégrisme catholique (Civitas, Contre-Réforme catholique…), et aussi hélas dans quelques blogs, cercles ou revues d’ordinaire situées dans le catholicisme traditionaliste mais pratiquant un bien attristant œcuménisme avec le patriarcat de Moscou de stricte observance kagébiste et bénissant donc toutes les abominations de la dictature poutiniste d’idéologie eurasiste et néo-stalinienne, de ses guerres, de ses procès de Moscou, de ses éliminations d’opposants par le poison ou par la balle.

Notons que ces catholiques français poutinolâtres ne se soucient nullement du sort des fidèles (majoritaires) des Églises orthodoxes d’Ukraine, ni des six millions de catholiques ukrainiens, principalement de rite grec-catholique (uniates) qui constituent la population que le duo stalinoïde du kagébiste Poutine et du patriarche non moins kagébiste Cyrille veut liquider en premier.

Mais ceci, à l’évidence, ne chagrine pas les poutinistes du Salon Beige et autres blogs, de Politique Magazine et autres feuilles néo-monarchistes, ou ceux qui expriment leur vérité dans un hebdomadaire où triomphe curieusement la doctrine libérale de la maxime « à chacun sa vérité »…    

PS : nous nous sommes souvent référé aux grands historiens actuels du communisme : Stéphane Courtois, Thierry Wolton, Nicolas Werth. Mais sur la guerre poutiniste contre l’Ukraine, nous nous devons de saluer non seulement les œuvres des historiennes et analystes Hélène blanc et Françoise Thom mais aussi celles de ces femmes admirables, diversement journalistes, reporters, publicistes, que sont Laure Mandeville, Anne Nivat, Isabelle Lasserre, Catherine Belton. Sans oublier la très courageuse et talentueuse envoyée spéciale tous terrains Margaux Benn, prix Albert Londres 2022.