mardi 14 juin 2022

Liban : après l’euphorie, le retour à la triste réalité

 


Après 3 années de crise multiforme et surtout après la dramatique explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, les élections législatives libanaises étaient attendues avec crainte par les tenants du pouvoir, le Hezbollah et ses alliées notamment aounistes, avec espoir pour les partis de l’opposition ou des groupes issus de la contestation dans la rue, la thaoura, d’octobre 2019.

 

Une lueur d’espoir

Au soir du 15 mai, tous les espoirs semblaient permis. Les commentateurs annonçaient une forte poussée des Forces libanaises (FL) de Samir Geagea. On estimait à 23 le nombre des députés FL dans la prochaine assemblée (soit 9 de plus que lors de la mandature précédente). Surtout, les résultats fraichement sortis des urnes montraient que le Hezbollah pro-iranien, son allié chiite Amal et son vassal aouniste du CPL (Courant patriotique autoproclamé « libre », dirigé par Gebran Bassil, gendre du général-président) perdaient la majorité absolue au parlement (65 sur les 128 députés que compte l’assemblée libanaise).

En cette soirée de printemps, la rue chrétienne était en liesse. Les militants des Forces libanaises triomphaient, comme de coutume au Liban, en de longs cortèges de voitures arborant fièrement les drapeaux frappés du Cèdre cerclé de rouge. De leurs côtés, les soutiens des Kataëb, l’autre parti chrétien fidèle à l’héritage de Béchir Gemayel, fêtaient l’élection d’un député supplémentaire, la réélection de Samy Gemayel et de son cousin Nadim, fils de Béchir, réélu à Achrafieh, dans le fief historique de son père.

 

Un résultat finalement mitigé

Le décompte définitif des voix fait apparaître un résultat plus nuancé.

Les FL, si elles progressent en voix et en nombre de sièges, n’obtiennent finalement que 19 sièges contre 18 au CPL aouniste.

Quant au Hezbollah et à ses alliés, ils perdent effectivement, sur le papier, la majorité absolue, malgré les nombreuses fraudes, pressions et menaces ayant pesé sur les électeurs. C’est sans doute-là, l’un des points positifs de ce scrutin, avec l’éviction de la quasi-totalité des sortants ouvertement pro-syriens et la progression des FL.

Hélas, c’était oublier l’emprise hégémonique qu’impose le Hezbollah à la société libanaise, avec ses armes illégales et sa capacité à mettre ses menaces à exécution, en toute impunité. Une majorité de députés dits « indépendants » ont prudemment obéi aux injonctions de la milice chiite.

C’est ainsi que, dès le premier tour de scrutin pour l’élection du président de la Chambre, le parti pro-iranien et son allié chiite Amal font réélire le sortant Nabih Berri, infligeant un camouflet à Samir Geagea qui avait promis de faire élire un nouveau président de l’assemblée nationale.

Les élections pour la constitution des commissions parlementaires confirment la tendance. Le Hezbollah et Amal se payant même le luxe de faire élire, comme président de la commission de la défense, un sunnite pro-Hezbollah et, véritable insulte aux victimes, de maintenir à la commission de la justice 2 députés Amal, pourtant poursuivis dans le cadre de l’enquête concernant la double explosion du port de Beyrouth du 4 août 2020.

L’unique espoir : un rassemblement souverainiste

Aujourd’hui, la seule chance de concrétiser la perte de majorité parlementaire du Hezobollah et de ses alliés chiites ou aounistes est de hâter la constitution d’une union parlementaire fondée sur le retour à la souveraineté de l’Etat libanais, le refus des armes illégales et la mise en œuvre  d’une neutralité active qui fasse enfin sortir le Liban des conflits régionaux.

Les ferments de cette union existent : des députés druzes proches de Joumblatt à ceux des Forces libanaises, en passant par les représentants des Kataëb et ceux issus de la contestation.

Pour cela, il faudra que les Forces libanaises, représentant le groupe chrétien le plus important à la Chambre, et surtout leur chef Samir Geagea, soient moins rigides dans leurs rapports avec leurs interlocuteurs et acceptent des compromis, notamment avec les 4 députés Kataëb et ceux issus de la Thaoura (13 au total).

Il faudra aussi que ces derniers s’astreignent à composer avec les FL qui ont, depuis longtemps, Samir Geagea le premier, fait amende honorable de leur participation au « compromis présidentiel » de 2016, celui qui a permis de porter Michel Aoun à la présidence de la République, avec les conséquences funestes que les Libanais subissent chaque jour un peu plus.

 

J.B. Dayot