vendredi 18 mars 2022

Dans la tête de Vladimir Poutine ?

C’est le titre d’un passionnant petit livre en format « poche » de Michel Eltchaninoff, agrégé et docteur en philosophie (6,8 euros), édité par « Babel ». (Actes Sud, 2015)

Eltchaninoff y analyse magistralement les influences qui ont pesé dans la formation politique et idéologique de celui qui, après avoir mené les différentes annexions (par la force et non par le droit) par la Russie de plusieurs territoires de la Géorgie (Ossétie et Abkhazie), de la Moldavie (Transnistrie), de l’Ukraine (Crimée), a lancé le mois dernier l’armée russe dans une tout autre affaire, l’invasion de l’Ukraine.

Bien des lecteurs découvriront sans doute notamment que Poutine n’est pas seulement le continuateur de l’officier kagébiste qu’il fut, désespéré par la chute de l’URSS, mais l’applicateur d’une déjà vieille idéologie pour l’Europe et pour le monde, « l’eurasisme », devenue une utopie de substitution au marxisme.

Dans la fabrication de ce rêve nécessitant une « réécriture » de l’histoire russe, rentrent très fondamentalement les influences néo-eurasistes d’un Edouard Limonov, (qui a quitté ce monde),  et du gourou très actuel, Alexandre Douguine, les fondateurs en 1993 du Parti national bolchevik.

Mais à cela s’ajoute la réhabilitation acharnée non seulement de Staline mais aussi d’un Félix Dzerjinski, le créateur de la Tchéka, sans doute avec un Himmler, parmi les personnages les plus effroyablement démoniaques du XXe siècle.

Selon Eltchaninoff, Poutine, néo-eurasiste et néo-stalinien, se voit dans un rêve impérial comme un nouveau « rassembleur des terres russes » dont, outre Staline, un grand modèle dans le passé est aussi Ivan le Terrible.

Pour l’heure, le rêve de reconquête tsaro-soviétique de Poutine se heurte à la dure réalité d’une résistance ukrainienne totalement inattendue.

Bien qu’elle ne dispose ni des effectifs de l’armée poutinienne (je n’aime pas dire l’armée russe) ni d’une aviation, ni d’une marine, armes déterminantes en pareil conflit, l’armée ukrainienne ne s’effondre pas.

De l‘avis de la plupart des militaires commentateurs, elle ne devait tenir que moins d’une semaine ! Or voilà bientôt un mois qu’elle résiste, certes au prix de lourds sacrifices, mais elle a souvent, aussi, mené des contre-attaques infligeant de grandes pertes aux divisions blindées de Poutine et à ses commandos infiltrés.

L’affirmation selon laquelle ce dernier enrage de cette situation ne semble donc pas une improbable nouvelle. Un journaliste de nos amis me faisait observer que certains personnages avaient désormais disparu de son entourage, tels les deux conseillers lui ayant certifié que la prise de l’Ukraine, préparée de longue date, et avec de formidables moyens, ne poserait pas plus de difficultés que de grandes manœuvres.

Poutine, qui s’avère ne pas connaître grand-chose à l’Ukraine, était persuadé aussi du bien-fondé de l’assertion, sans cesse martelée en France par ses propagandistes, selon laquelle ses cohortes seraient accueillies comme des forces libératrices par toutes les populations russophones. Or, à moins qu’il ne vive dans un total déni de réalité, il a bien dû constater que la grande ville majoritairement russophone de Marioupol n’en était pas moins ardemment patriotiquement ukrainienne, et de même Kherson, aujourd’hui conquise mais où la résistance patriotique continue.

Alors, comme il s’agit à terme de s’emparer coûte que coûte d’Odessa, il a fixé à son armée de ne pas lésiner sur des bombardements dont les objectifs ne sont pas militaires mais destinés à terroriser les habitants, parmi lesquels le nombre des victimes, hommes, femmes et enfants, par le feu, la faim et le manque d’eau potable, s’allonge tragiquement chaque jour.

Mais pour Poutine et ses admirateurs inconditionnels, peu importe !

Et d’ailleurs, cette guerre n’a-t-elle pas la bénédiction du patriarche Kirille de l’Église orthodoxe russe, jusque là numériquement la plus importante du monde orthodoxe ?

Pourtant, la guerre a d’ores et déjà entraîné de grands craquements et ruptures dans la religion orthodoxe, y compris dans ce qui relevait jusqu’ici de l’autorité du patriarcat de Moscou, et bien sûr, d’abord, dans son clergé ukrainien entièrement hostile à l’infernal duo Poutine-Kirille.

Quant au patriarcat de Kiev, avec l’unanimité de tous ses monastères et églises, il condamne la sinistre soumission de Kirille à Poutine et œuvre de toutes ses forces pour soutenir le peuple ukrainien.

Mais il n’y a pas que des orthodoxes en Ukraine, il y a aussi environ cinq millions de catholiques uniates (fidèles à Rome, de rite « grec-catholique »).

Ceux-là se souviennent de ce que leur Église à été, plus encore que l’Église orthodoxe, persécutée, laminée, génocidée par Staline et son âme damnée, le tchékiste en chef Dzerjinski.

Étonnamment, il y a des catholiques, notamment français, dans une ahurissante diversité idéologico-religieuse des spécimens qui, ne manifestant jamais la moindre compassion pour les chrétiens d’Ukraine, ni pour les orthodoxes, ni pour les catholiques uniates, n’expriment qu’une étrange inconditionnalité pour l’Église de Poutine et de Kirille.

Nous en connaissons qui sont véritablement hypnotisés par le maître du Kremlin et ce, malgré les abominations voulues  par ce dernier en Tchétchénie (massacre généralisé de la population de Grozny, totalement rasée), malgré tous les assassinats de ses opposants (Anna Politovskaïa, Nemtsov et des dizaines d’autres), malgré l’impudente domination ploutocratique de ses oligarques, malgré un état des mœurs vraiment pas meilleur en Russie qu’en Ukraine (commerce prospère de la GPA, etc… Voir article de Jeanne Smits dans Reconquête à paraître très prochainement).

Mais Poutine, à l’évidence, en hypnotise véritablement certains, comme jadis Raspoutine hypnotisant l’impératrice !

Ainsi ne voit-on pas l’archevêque catholique Vigano, fieffé intégriste, professer que Moscou est la nouvelle Rome ? Lui, passe encore. On le sait un peu « allumé ». Mais que penser de tel autre qui longtemps exaltateur de la « Pologne, rempart de la Chrétienté », et tout de même un peu connaisseur des grosses ficelles propagandistes du KGB-FSB, relaie à cent pour cent, sans l’ombre d’une réserve, les allégations des propagandistes poutiniens ? Et qui même y va allègrement dans le soutien à la fable poutinesque de la « dénazification » de l’Ukraine !

Pas gêné pourtant, maintenant,  d’être en très poutinophile compagnie avec un Alain Soral ou encore un Pierre Vial et bien d’autres, issus du néo-paganisme néo-droitiste, qui ne se sont pourtant pas longtemps distingués, disons, par un antinazisme véhément…

Admirons, il est vrai, le formidable savoir-faire des kagébistes, sachant très professionnellement adapter leurs séductions à différents milieux et séduire quelques personnages en mal de dictateur. Sachant même faire miroiter, en regard des turpitudes occidentales et eurocratiques, l’avènement millénariste d’un nouvel ordre moral et chrétien poutinesque, le règne de ce si vertueux et si attirant chevalier blanc qu’est Poutine, le nouveau rassembleur eurasiste des terres russes, et au-delà.

Et maintenant, en conclusion du blog de ce vendredi, notre joie d’avoir appris que le pape François, dont nous n’avons pas toujours systématiquement apprécié les positions idéologiques et les dispositions liturgiques disciplinaires, a décidé de consacrer l’Ukraine et la Russie « au cœur immaculé de Marie ». Cette période, il est vrai, nous aide peut-être à mieux comprendre le message de la Vierge Marie à Fatima pour que l’on prie pour la conversion de la Russie.  

 

PS : On lira avec intérêt dans le Figaro de ce jour l’article de la grande spécialiste de la Russie, Laure Mandeville, titré « La vérité crue du régime qui promet de punir « les traîtres » et celui de Stéphane Courtois, le maître d’ouvrage du « Livre noir du communisme » titré « Pourquoi Poutine s’est auto-intoxiqué ».