« Comme à son habitude », écrit Jean-Marie Guénois, le pape rentrant de Bagdad s’est adressé aux journalistes dans l’avion qui le ramenait à Rome.
Étant donné qu’il ne manque
jamais en pareil cas de tenir des propos surprenants, il est des fidèles et des
clercs inconditionnels pour les considérer systématiquement comme prophétiques.
D’autres, un peu moins
enthousiastes, les mettent avec indulgence au compte des fatigues du voyage ou
de quelque euphorie aérienne.
Pour notre part, devant la
constance de ce mode de communication, nous nous rappelons que François avait
malicieusement confié qu’il était « un poco furbo » (rusé). Il nous parait
à vrai dire évident que ce que l’on pourra appeler « Les dits du pape
François en avion » relèvent d’une stratégie de pastorale aérienne
mûrement réfléchie. Et cette fois-ci tout particulièrement.
Ses propos d’abord sur sa
rencontre à Nadjaf avec l’ayatollah al-Sistani ne sont pas anodins. Ils ne
relèvent pas simplement d’un désir de louanges diplomatiques et d’œcuménisme inter-religieux.
À bien lire ce que les journalistes ont rapporté, François est comme tombé dans
une sorte de pamoison devant celui qu’il a nommé « un grand, un sage, un homme de
Dieu… une personne qui a cette sagesse mais aussi la prudence ».
Et d’ajouter : « Il a été si respectueux que je me suis senti
honoré. Il ne se lève jamais habituellement pour saluer mais s’est levé pour me
saluer, par deux fois. C’est un homme humble et sage. Cela m’a fait du bien à l’âme
cette rencontre. C’est une lumière. De tels sages sont partout parce que la
sagesse de Dieu a été semée dans le monde entier ».
À en croire François si
énamouré d’avoir été ainsi honoré par un si vénérable ayatollah on mesure
combien il est impatient d’aller de l’avant « sur le chemin de la
fraternité » de l’Église catholique et de l’islam. « Avancer »
est le verbe qui revient sans cesse dans la bouche de François.
Il rappelle qu’il
faut du temps pour « avancer » et il révèle que pour préparer le
document sur la « Fraternité humaine pour la paix mondiale » signé à
Abu Dhabi le 4 février 2018 avec l’imam al-Tayeb de l’université al-Azhar, ils
ont « en secret travaillé ensemble pendant six mois, en priant, en
réfléchissant, en corrigeant le texte ». Considérant toutes ces « avancées »,
François exprime comme dans un soupir : « combien de siècles pour y arriver » !
On demeure quelque peu pantois et même stupéfait devant ces mots.
On aimerait savoir quelle conception
a François du rôle de l’islam dans l’histoire de l’humanité, quelle place il
lui donne dans le plan divin pour le salut des hommes ? Parce qu’enfin
pour en arriver là où en est aujourd’hui l’Église catholique et le
christianisme en général, en Orient sinistré, souvent génocidé ? N’a-t-il
pas fallu d’abord, au long des siècles, les avancées de l’islam, quelquefois
ralenties, quelquefois repoussées mais toujours recommencées : les
déferlements, vers le Levant et vers le Couchant, des hordes de Mahomet, et
puis des Turcs seldjoukides sur la Terre Sainte, motivant les appels par Saint
Bernard à sa libération et à la protection des pèlerins par ce que l’on a appelé
les croisades, les gigantesques déferlantes génocidaires de Tamerlan, la chute
de Constantinople, les hécatombes des Arméniens au long des siècles jusqu’au
génocide final.
Y a-t-il eu territoires d’islam
qui n’aient été des terres de conquête militaire ?
Et y a-t-il jamais eu pour les
gens du Livre, chrétiens, juifs, zoroastriens, autre solution que la dhimmitude ou
la mort?
Le document d’Abu-Dhabi sur la fraternité
humaine implique-t-il de la part du recteur al-Tayeb la renonciation à ce que
les chrétiens d’Egypte aient un statut autre que celui de dhimmis ?
L’accueil si respectueux réservé
à François par l’ayatollah Sistani va-t-il initier chez les chiites un
mouvement semblable ? François a-t-il obtenu de l’un ou de l’autre un engagement
en faveur de la liberté de conversion ?
François a-t-il demandé ou
entend-il demander à ses interlocuteurs musulmans d’œuvrer pour que les
chrétiens en pays d’islam, qui y sont
chez eux depuis des siècles avant les conquêts islamiques, puissent y
disposer des droits que lui, François, exige sans cesse des pays d’Europe pour
les immigrés musulmans ?