Loin
de nous l’intention de nous prononcer sur l’origine du coronavirus spécifique
covid-19, sur sa dangerosité et sur la légitimité de la panique générale qu’il provoque,
avec arrêt total d’économies déjà en voie de récession malgré des années
d’injections monétaires démesurées. En revanche on ne peut que souligner la
crise du modèle métropolitain et de ses terrifiantes « villes-monde »
surpeuplées, révélée par cet épisode qui en est une des conséquences.
Grosses
cylindrées se ruant sur les autoroutes du Sud au départ des beaux quartiers
parisiens jusque tard dans la nuit à partir du dimanche 15 mars ; trains
pris d’assaut pour fuir l’Ile-de-France donnant des sueurs au sous-ministre des
Transports Djebbari… Dès l’annonce du confinement des populations,
200.000 Parisiens ont fui leur ville et, au plus fort de la crise, on estimait
que plus d’un million de Franciliens avaient quitté leur région. On est moins douloureusement
confiné dans un bourg du Lubéron, du bassin d’Arcachon, de Provence, des
Cévennes - voire de n’importe quel chef-lieu de canton auprès de cousins, pour
les moins riches - que dans la métropole francilienne dont le centre affiche
l’une des densités de population les plus élevées au monde.
Paris et la
Seine-Saint-Denis : 40% des décès à l’hôpital dus au coronavirus mi-avril
pour 5,7% de la population
En
France, sur les 5.500 décès à l’hôpital dus au virus chinois recensés mi-avril,
1.310 étaient survenus à Paris (2,2 millions d’habitants) et 752 en
Seine-Saint-Denis (1,6 millions d’habitants officiellement recensés). Ces deux
seuls départements, qui totalisent 5,7% de la population française totale,
affichaient 40% des décès à l’hôpital en France.
Or
la surconcentration humaine dans la métropole francilienne est effarante. Paris
et sa petite « couronne » (quatre départements) comptent 6,8 millions
d’habitants, soit 10,47% de la population métropolitaine, entassés sur 762,4
km2, soit 0,138% du territoire métropolitain… moins du sixième de la surface du
département de la Lozère (5.167 km2 et 77.000 habitants) !
Premier
quartier d'affaires en Europe avec 3,450 millions de mètres carrés de bureaux
(45 millions au total pour la seule région parisienne), le quartier de la
Défense occupe 180.000 salariés... sur 160 hectares seulement, soit moins du
dixième de la surface de la commune de Grenoble (158.000 habitants). 450.000
personnes transitent chaque jour par son pôle de transports publics, qui va
être considérablement agrandi avec le RER E et le Grand Paris express.
On
notera que le virus impliqué dans cette grande démonstration de contrôle total
des populations est parti d’une gigantesque métropole chinoise, Wuhan, dont le
« centre-ville » compte près de 9 millions d’habitants autour du
confluent du Yangzi et de la rivière Han, parsemé de lacs et réputé pour son
infestation par les moustiques et sa pollution. Wuhan est un gigantesque port
fluvial et un centre majeur de l’industrie automobile mondiale. Son climat est
relativement froid l’hiver (minimales moyennes de 1°C en janvier avec des
pointes à -18°C) et très chaud et humide l’été.
La France a tout misé
sur la métropolisation, particulièrement pour l’Ile-de-France
La
question métropolitaine est donc très présente dans cette crise sanitaire. Or
la France semble avoir tout misé sur la métropolisation de son territoire,
relativement exigu pourtant par rapport à celui de la Chine puisque sa surface
est 17 fois moindre.
Cette
métropolisation est favorisée par le centralisme idéologique, véritable dogme
frisant la paranoïa qui règne en France depuis près de deux siècles et demi, allié
à l’utopie globaliste qui prône un réseau de gigantesques métropoles comme infrastructure
de la gouvernance mondiale. Elle accentue encore plus l’hypertrophie de la
ville-capitale : Paris et sa région se voient gratifier de toujours plus
gigantesques investissements avec, dans les transports publics, les travaux du
Grand Paris Express (38 milliards d’euros !), de la ligne E du RER vers
l’ouest tandis qu’on continue de fermer des lignes dans les
« provinces » jugées « rances ».
Ces
dernières, victimes de la division internationale du travail ayant entraîné
leur désindustrialisation massive, se voient ainsi privées d’un outil de
transport puissamment intégrateur, accentuant un peu plus leur marginalisation
et obérant leurs capacités de rebond. Un seul exemple. L’année dernière a ainsi
vu définitivement fermer la ligne Moulins-Montluçon dans un département de
l’Allier sinistré. Son service voyageurs, qui desservait la ville historique de
Souvigny, avait été supprimé dès 1972. Les actuels bus de substitution offrent
un temps de parcours et une fréquence identiques à ceux offerts par les trains
en… 1956. Montluçon a perdu 38,9% de sa population en 40 ans, revenant à ses
niveaux des années 1920. Moulins a perdu 24,6% de sa population sur la même
période, revenant à ses niveaux des années 1870 !
L’hyper-métropolisation
s’accompagne d’un assèchement proportionnel des budgets des services publics régionaux,
continuant après des décennies de déflation à détruire notre magnifique
patrimoine de bureaux de postes, d’hôpitaux de proximité, de tribunaux
d’instance, de maternités, de perceptions.
Même le maire de
Neuilly dénonce désertification des territoires et saturation des espaces
métropolitains
Or
cette métropolisation à outrance entraîne non seulement une fragilité sanitaire
liée à la promiscuité que l’épisode actuel illustre de façon criante, mais
aussi une menace sur la singularité et la fécondité des cultures. C’est la
thèse d’un ouvrage paru en 2018, intitulé « Travailler
là où nous voulons vivre – vers une géographie du progrès »
(François Bourin éd.). Son auteur est Jean-Christophe Fromantin, maire de
Neuilly-sur-Seine (au cœur de la métropole francilienne…) et président
d’ExpoFrance 2025 (qui prépare l’exposition d’Osaka). Il explique dans un
récent entretien publié par Valeurs
Actuelles (15 mars 2020) : « On entend le même refrain depuis
vingt ans : L'avenir est dans les métropoles. Chaque époque a sa doxa. Dans le
même temps, on constate les problèmes engendrés par la métropolisation à
outrance : désertification des territoires, saturation de l'espace dans les
métropoles, avec les conséquences sociales, économiques et environnementales
que cela implique. Non, la métropolisation ne représente pas un progrès
économique, elle conduit à la standardisation des modes de vie, à la
compétition permanente et donc à la financiarisation de l'économie. En
amenuisant la diversité de l'offre, il devient impossible de se démarquer. La
qualité des échanges s'appauvrit, la curiosité disparaît. De ce fait, on
aboutit forcément à l'affaiblissement de l'offre économique et
culturelle. »
La
crise actuelle, qui impose le travail à distance quand il est possible,
pourrait révéler mieux encore l’impasse où conduit la métropolisation. Un
récent rapport du Conseil d’analyse économique déplore que « la
concentration dans les métropoles contribue (…) à accentuer les inégalités
spatiales et à générer des externalités négatives sur le bien-être dans
certains territoires ». Un euphémisme quand on observe sur le terrain le
sabotage quasi systématique des réseaux postaux, ferroviaires, judiciaires,
sanitaires par l’Etat central, tout-puissant en France.
Au
contraire, selon Fromantin, l'aménagement du territoire doit se développer
selon six principes : « Sanctuariser le maillage des villes moyennes ;
connecter les villes moyennes aux métropoles ; relier les métropoles entre
elles ; organiser les connexions logistiques de chaque territoire avec le monde
; déployer les technologies sur l'ensemble du territoire ; faciliter à
l'échelle des villes moyennes l'accès aux principaux services publics. »
Notre
conclusion : le prochain plan de relance massive, qui paraît inévitable
après l’effondrement économique déclenché par le virus chinois, sera régional
et territorial ou ne sera pas.