lundi 3 juin 2019

Michel Serres ou le philosophe des « bobos »

 
Tout ce que la classe politique et médiatique compte de « progressistes » célèbre la mémoire du philosophe Michel Serres. Ce n'est pas étonnant : il était l'un d'eux : homme au double discours : faisant semblant de dédaigner les honneurs, mais les cherchant avidement ; faisant l'éloge de la réalité rurale, mais appelant de ses vœux le mélange et le métissage.

Michel Serres répétait souvent qu'il ne fallait pas confondre identité et appartenance. L'identité est ce que l'on est, elle est toujours individuelle, tandis que l'appartenance fait que nous sommes membres de tels ou tels groupes. Une grave erreur consiste à confondre identité et appartenance. Michel Serres précise : « Cette erreur expose à dire n'importe quoi. Mais elle se double d'un crime politique : le racisme. Dire, en effet, de tel ou tel qu'il est noir ou juif ou femme est une phrase raciste parce qu'elle confond appartenance et identité ». Selon notre philosophe, chacun, tout comme un manteau d'Arlequin, est la somme d'une multitude d'appartenances. Michel Serres ajoute : « Réduire quelqu'un à une seule de ses appartenances peut le condamner à la persécution. Or cette erreur, cette injure, nous la commettons quand nous disons : identité religieuse, culturelle, nationale ».

On voit l'habileté du rhéteur : que chacun d'entre nous puisse avoir plusieurs appartenances, nul n'en disconviendra : on peut tout à la fois être Normand et Français, père de famille et citoyen etc. En revanche, là où Michel Serres raisonne en sophiste, c'est qu'il condamne l'appartenance en tant que filiation, et qu'il réduit la « bonne » appartenance à n'être qu'une simple décision, voire un jeu. Chacun ne serait que la somme des appartenances qu'il se choisit. Écoutons encore Michel Serres : « Qui suis-je alors ? Je suis je, voilà tout ; je suis aussi la somme de mes appartenances que je connaîtrai jusqu'à ma mort, car tout progrès consiste à aller dans une nouveau groupe : ceux qui parlent turc, si j'apprends cette langue, ceux qui savent réparer une mobylette ou cuire des œufs durs. Identité nationale : erreur et délit ». Apprendre le turc, réparer un vélomoteur, cuire des œufs seraient ainsi des appartenances honorables, puisqu'on les choisit, tandis que de dire de quelqu'un qu'il est noir, juif, femme ou ayant telle identité, religieuse, culturelle ou nationale, relèverait du crime ou du délit.

Le tort de Michel Serres est d'oublier, ou plutôt de refuser, la notion de filiation. Nous ne sommes pas des orphelins, nous sommes le produit d'une multitude de traditions, lesquelles sont le résultat des innombrables efforts de nos ancêtres. Prenons l'exemple du juif, en tant que tel, il ne peut méconnaître l'histoire plus que millénaire de ses aïeux, et quand bien même tel juif se convertirait à la religion chrétienne, sa conversion pourrait être comprise comme une sorte de cheminement spirituel, sa religion d'origine le conduisant, en quelque sorte, vers la religion chrétienne. Il en est de même pour l'identité nationale, il n'est guère de pays qui n'admette des particularités en son sein, on peut aimer sa région, sa petite patrie, comme disait Cicéron, et sa grande patrie qui est la nation. On le voit, Michel Serres était de ceux qui combattent, comme les « progressistes » d'aujourd'hui, les notions d'identité collective, comme si l'homme était sans attache, si ce n'est de celles qu'il choisit par caprice.

On comprend dès lors pourquoi Michel Serres est un auteur apprécié par nos « bobos » …



Marc Froidefont