Coïncidence : au moment
où je venais de prendre connaissance de la sortie en France du « Staline »
du grand historien russe contemporain Oleg Khlevniuk (Gallimard, Folio
Histoire), un de mes amis me téléphonait pour me confier sa grande tristesse de
constater la dérive actuelle dans « nos milieux » d’une certaine
admiration, non sans fondement, pour Poutine, en une sorte d’adulation-fascination
entraînant une approbation quasi-inconditionnelle de tous les aspects de sa
politique, tant sur le plan intérieur que sur celui de sa politique étrangère.
Il était, notamment,
particulièrement choqué d’avoir écouté sur un média d’information « alternatif »,
après un encensement sans réserve et sans nuance de l’action du chef de la
Russie, une prise de position dithyrambiquement favorable au dictateur
vénézuélien Maduro.
Je ne lui ai rien dit de
substantiellement différent sur la politique de Poutine de ce que j’ai déjà
souvent exprimé par écrit dans Reconquête ou dans mes émissions de radio, et
tout au long de mon action pour la vérité sur cent ans de crimes et de
génocides communistes.
Néanmoins voici, un peu
en vrac peut-être mais peut-être aussi avec une tonalité nouvelle, mes réponses
ou remarques sur un certain nombre de points.
· Sur Poutine, Trump, l’Amérique, l’Europe.
Je l’ai déjà dit, je ne
suis pas un inconditionnel du brutal personnage tweetocratique de Donald Trump.
Bien sûr, il a mieux valu qu’il soit élu plutôt que sa concurrente
idéologiquement détestable, Hillary Clinton. Cela dit, que d’erreurs funestes,
encore et toujours, dans la politique américaine du Proche à l’Extrême-Orient.
Certes, ce n’était pas
alors du fait de Trump mais la politique américaine au long des années, en Iran
(criminelle élimination du Shah), puis au Koweït et en Irak, a été catastrophique
pour le monde. Enfin, après la chute du Mur, et la résurrection de la Russie, c’était
évidemment une politique d’amitié avec cette dernière qu’auraient dû mener les
pays occidentaux. Or, imbécilement, à l’OTAN sous direction américaine, on a
cru bon de continuer à mener une stratégie vis-à-vis de la Russie comme s’il s’agissait
toujours de l’URSS ; alors que s’était effondré le Pacte de Varsovie.
-
Après
l’époque d’Eltsine et de Gorbatchev, Poutine, intelligent, méthodique, stratège
avisé, a d’abord œuvré à reconstruire la Russie. S’appuyant sur la principale
force préservée de l’effondrement de l’URSS : le KGB (aujourd’hui FSB). Le
FSB est bien plus qu’un service secret d’espionnage et de contre-espionnage, ou
qu’une police de surveillance intérieure. Il est aussi une force militaire et
un empire économique, et un centre de formation des élites soviétiques, un État
dans l’État. Poutine est lui-même un pur (et brillant) produit du KGB. Tout comme
le patriarche de Moscou, Kyrill.
-
Sur
le plan des rapports des deux hommes, c’est-à-dire du pouvoir politique et de l’Église
actuelle, c’est sans doute le cas le plus frappant de résurgence d’une sorte de
« césaropapisme ». Rappelons qu’on qualifie de césaropapistes les
systèmes politiques et religieux dans lesquels les monarques interviennent
directement dans la direction des affaires religieuses (et même à certaines
époques dans la théologie). Contentons-nous d’évoquer sur ce point l’empereur
Constantin, et aussi Charlemagne et encore l’histoire des empereurs byzantins,
et encore l’anglicanisme et même le gallicanisme.
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Au moment de l’annexion de la Crimée, Kyrill
avait émis des velléités chrétiennes de regret. Il fut vite sommé de ne pas
persister dans cette attitude, ce qu’il ne fit pas.
Verra-t-on aussi une sorte de césaropapisme renaissant en Ukraine ? Pour l’heure, le président Porochenko a suivi avec faveur et ferveur la proclamation à Kiev, après un concile d’unification, d’une Église orthodoxe séparée de Moscou et se constituant en Église autocéphale rattachée au patriarcat oecuménique de Constantinople.
Verra-t-on aussi une sorte de césaropapisme renaissant en Ukraine ? Pour l’heure, le président Porochenko a suivi avec faveur et ferveur la proclamation à Kiev, après un concile d’unification, d’une Église orthodoxe séparée de Moscou et se constituant en Église autocéphale rattachée au patriarcat oecuménique de Constantinople.
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La
nouvelle Église regroupe ainsi l’Église orthodoxe de Kiev, créée en 1991, un
certain nombre de monastères et paroisses de l’Église ukrainienne du patriarcat
de Moscou, enfin une petite Église autocéphale créée au XX° siècle dans la diaspora
américaine.
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Après
avoir remusclé la nation russe, Poutine poursuit à l’évidence une œuvre de
reconstruction impériale. En 2009, n’avait-il pas résumé ainsi son credo : « La chute de l’URSS a été la plus grande
catastrophe géopolitique du siècle », ajoutant peu après : « Celui qui ne regrette pas la chute de l’Union
Soviétique n’a pas de cœur. Et celui qui veut la reconstituer n’a pas de
cerveau ». Mais Poutine a du cerveau. Et peut-être du cerveau de bon
joueur d’échecs kagébiste pour tenir des propos à des fins de dissimulation des
actes ? Après tout, qu’importe le sigle URSS si sa réalité se reconstitue
grandement sous l’apparence Russe ? Chaque année Poutine ne va-t-il pas à
la Loubianka pour honorer avec les anciens la mémoire de Dzerjinski, le
démoniaque fondateur de la Tchéka continuée en Guépéou, NKVD, KGB, FSB enfin ?
-
N’a-t-il
pas signé un oukase de rétablissement de la « direction politico-militaire »,
organe de surveillance idéologique de l’armée,
de sinistre mémoire stalinienne, dissoute en 1991 ?
-
Surtout,
alors que son mausolée et des milliers de statues – très peu ayant été
déboulonnées après 1991 – perpétuent la mémoire de Lénine, lui Poutine, ces
dernières années, de plus en plus, ne s’est-il pas attaché à encourager le
révisionnisme philo-stalinien, réhabilitant celui qui, avec Hitler, et Mao, est
dans l’équipe de tête des plus grands criminels de l’histoire. En quoi il est
bon que soit parue la biographie d’Oleg Khlevniuk.
-
Bien
sûr, Poutine, qui n’est pas fou, ne veut certainement pas faire retrouver au
peuple russe les affres du modèle soviétique, de sa tchéka, de sa Loubianka, de
son goulag, des grandes purges, des exterminations des koulaks et de l’Holodomor,
le génocide par la faim.
-
Bien
sûr, il ne veut pas faire table rase de la mémoire de Soljenitsyne. Mais il veut
néanmoins, à des fins nationalistes et impérialistes, que soit repris et
continué le culte de Staline. Avec le grand mensonge de « la grande guerre
patriotique » ; comme si la victoire soviétique de 1945 n’avait pas
été due aussi à l’immense soutien logistique américain. Avec le mémoricide de l’alliance
criminelle de Hitler et de Staline, du dépeçage conjoint de la Pologne et de l’invasion
des pays baltes et de la Finlande.
-
Bien
sûr, il a évité en Syrie, avec l’alliance iranienne, la victoire de l’État
islamique. Et ce n’est pas rien. Mais le voilà désormais allié de la Turquie
islamiste d’Erdogan qui fut, comme l’Arabie Saoudite, pourvoyeuse en hommes, en
armes, en moyens de cet État.
-
Et
saurait-on oublier que c’est la Syrie qui, durant des années, a exercé sa
terreur sur le Liban ? Relayée aujourd’hui par le Hezbollah, organisation
libanaise islamiste chiite à encadrement iranien ?
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Il
y a incontestablement des aspects très séduisants dans la Russie poutinienne. Néanmoins,
l’esprit de démesure, l’hubris peut envahir aussi le cerveau de Poutine. La Russie,
malgré son immense territoire, est-elle trop petite qu’il lui faille encore
grignoter des bouts de Géorgie et rêver peut-être d’une nouvelle conquête de l’Ukraine ?
Au mépris de l’immense majorité des Ukrainiens qui ont gardé la mémoire de l’éradication
de leur culture cosaque, de l’écrasement de leur armée par le tsar Pierre I°,
de leur dépeçage partagé avec les Tatars de Crimée et l’empire ottoman ;
de la suppression de toutes les 870 écoles ukrainiennes fonctionnant en 1740 ?
Au mépris du génocide ? Au mépris de l’anéantissement de l’Église
catholique uniate ?
-
Russie,
Ukraine : une seule nation ? En effet, comme celle formée par l’Angleterre
et l’Irlande !
Les fautes lourdes de l’Amérique, de l’OTAN, de l’Eurocrassie, ne justifient pas d’être aveugle devant les dangers d’évolution de l’immense Russie vers des formes néo-soviétoïdes.
Les fautes lourdes de l’Amérique, de l’OTAN, de l’Eurocrassie, ne justifient pas d’être aveugle devant les dangers d’évolution de l’immense Russie vers des formes néo-soviétoïdes.
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Celle-ci
devrait plutôt se soucier de l’immense péril qui pèse sur elle avec une Chine
économiquement bien plus puissante, six fois plus peuplée, avec une armée
chaque jour plus sophistiquée. Alliée ? Certes. Pour le moment.
· Venons-en à Maduro.
Que certains, qui ne
sont pas des populistes de gauche, le soutiennent avec un emportement plus que
mélenchonien, est tout de même affligeant. C’est vouloir se faire plus poutiniste
que Poutine ! Car pas plus que le Cuba de Castro, le Venezuela de Maduro n’est
pour Poutine, qui n’est pas idiot, un pays frère. La Russie n’a aucun intérêt à
manifester une convergence idéologique avec ces pays archéo-bolcheviques qui,
comme tous les autres de leur modèle, n’ont réalisé que des catastrophes et sur
le plan économique et social et sur celui des libertés. Ne voilà-t-il pas d’ailleurs
qu’aujourd’hui même, le régime cubain s’avise de procéder à un référendum
assuré d’une totale approbation pour rétablir enfin quelques droits à la
propriété privée abolie depuis les années 1960 ? Seul moyen pour un peu
moins de misère !
Tout simplement, la
Russie soutient Maduro, tout comme d’ailleurs la Chine et l’Iran, à la fois
pour des raisons pétrolières et pour celles de leur rivalité avec les États-Unis.
Maduro se proclame
bolivarien comme presque tous les dictateurs là-bas.
Il est le successeur de
Chavez, qui fut ardemment soutenu par Fidel Castro comme par les sandinistes au
Nicaragua et tous les mouvements marxistes-léninistes du continent.
Il ne lui manque que
quelques témoignages d’affection de François comme ce dernier en a donné aux
frères Castro. Mais il a réussi à faire mieux que Chavez, à ruiner le pays plus
radicalement et plus vite. On connaît l’histoire qui se racontait jadis dans
les pays communistes : si le communisme s’installait au Sahara, il y
aurait bientôt pénurie de sable de Tamanrasset à Tombouctou.
Maduro réalise cela avec
le pétrole de son pays qui constitue les plus importantes réserves mondiales. Le
pays est non seulement ruiné mais connaît la pénurie des produits de base, s’installe
dans la disette. Quatre millions de personnes ont fui vers les pays frontaliers
(Brésil, Colombie, Guyane). Plusieurs centaines de manifestants du désespoir
ont été abattus au cours des trois dernières années. Bien sûr, notre
inénarrable Macron, qui revendique le droit d’ingérence dans ce pays, est
ridicule ! La France y enverra-t-elle une flotte de secours ? En
revanche, on ne peut que sourire devant les madurophiles, mélenchoniens et
autres qui dénoncent moralistement l’ingérence étasunienne.
Comme si le bolivarisme,
le socialisme, le communisme de toutes les internationales n’étaient pas par
nature des idéologies de l’ingérence ?
Et certes les
États-Unis, comme l’Angleterre jadis, ne se sont pas abstenus de s’ingérer et
quelquefois, hélas, désastreusement. Mais la Chine et l’URSS hier, et la Russie
aujourd’hui, se sont-elles privées de toute politique d’ingérence ?
Et pour être honnête,
non seulement notre Napoléon, mais la plupart de nos rois n’ont-ils pas quelque
peu mené aussi des politiques d’ingérence ? Et nos chouans justement
révoltés ne réclamaient-ils pas le secours et l’ingérence de l’Angleterre (désastreuse
hélas à Quiberon) et des autres monarchies ?
Si les États-Unis, si
contestables soient par ailleurs ses politiques, vont au secours, et pas seuls
dans la région, du peuple vénézuélien, affamé et opprimé par la dictature d’un
chavo-castriste au demeurant totalement paranoïaque et mégalomane, ce n’est pas
le principal reproche qu’on pourrait leur faire.