Après mes réflexions sur
le scandaleux enlèvement de Maurras du Livre des commémorations nationales,
acte de dictature totalitaire, et mes considérations sur Céline et Aragon, ici
même et dans Reconquête, on m’a demandé, d’une part, si je défendrais l’idée
que Robert Brasillach aussi y puisse figurer ; et d’autre part, de dire
quelle est mon jugement sur ce dernier.
Avant de donner
volontiers ici mes réponses, je dois dire que j’ai beaucoup apprécié les propos
de l’historien et académicien Pierre Nora recueillis par Alexandre Devecchio et
publiés dans le Figaro Magazine du 16 février 1918.
Et d’abord, les mots de
Nora utilisés comme titre : « La
dictature de la mémoire menace l’histoire ».
D’emblée on comprend qu’il
pourrait inversement parler de l’histoire confisquée par la dictature
totalitaire de « l’idéologiquement correct », ce que d’autres
désignent non sans vérité comme « la pensée unique ».
Sur Maurras, Nora rappelle
notamment ceci : « Maurras n’est
pas réductible à son antisémitisme. Le personnage est bien plus riche et
complexe… C’est un personnage qui, de toute évidence, fait partie de l’histoire
de France, à travers l’Action Française, le journal que Proust lisait tous les
jours".
Non seulement, Marcel
Proust lisait en effet le quotidien de Maurras, de Bainville et de Daudet mais
on peut lire en exergue de son chef d’œuvre « À la recherche du temps perdu » cet hommage de gratitude à
Léon Daudet :
À Léon Daudet
À l’auteur
Du voyage de Shakespeare,
Du partage de l’enfant,
De l’Astre noir,
De Fantômes et vivants,
Du monde des images,
De tant de chefs d’œuvre,
À l’incomparable ami,
En témoignage
De reconnaissance et d’admiration ».
Contre André Gide qui
avait méchamment voulu démolir Proust, Léon Daudet, son « incomparable ami »,
avait en effet dans l’Action Française superbement développé que ce jeune
auteur, français et juif, était un immense écrivain. Il en avait fait alors
découvrir le génie à tous ceux qui aimaient la littérature.
Mais extrayons encore
quelques considérations de Pierre Nora sur Maurras :
« Il a eu durant toute la III° République une influence
énorme. Il incarnait une opposition cohérente et constituée…
Il a été aussi l’un des artisans de la mémoire occitane et
félibréenne à travers Frédéric Mistral. C’est incontestablement un personnage
qui permet de comprendre son époque. C’est aussi un vrai écrivain… ».
Il est heureux qu’il y
ait encore un homme, un académicien comme Pierre Nora (de même origine que
Marcel Proust) pour donner ainsi (il faut lire tout l’entretien) une belle
leçon de refus de ce que l’on désigne aujourd’hui par « manichéisme »,
un manichéisme de guerre civile.
Comme on le voit, « l’antisémitisme »
de Daudet, de même nature que celui de Maurras, n’allait pas jusqu’à ne pas
batailler pour un jeune écrivain juif dont il avait, avec son incomparable
sûreté de jugement, discerné le génie.
Après ce nécessaire
détour par les considérations de Pierre Nora sur Charles Maurras, j’en viens
maintenant à Robert Brasillach. Et je réponds qu’en effet, il pourrait, tout
comme Maurras et Aragon, figurer en la date qui conviendra au Livre des
commémorations nationales.
Les arguments pour cela ne
sont pas tout à fait les mêmes que ceux exprimés par Nora vis-à-vis du cas
Maurras. Mais, tout comme Maurras, Brasillach a été un grand écrivain, et ce d’autant
plus que c’est encore très jeune qu’il a écrit ses huit très beaux romans (« Comme
le temps passe », « Le voleur d’étincelles »…) et ses superbes
évocations de ses écrivains et acteurs préférés (« Corneille », « Présence
de Virgile », Portraits », « Animateurs de théâtre »…).
Et n’oublions pas son
admirable « Anthologie de la poésie grecque », tous les textes étant
de sa traduction. J’ai découvert jadis, il y a longtemps, Brasillach en
écoutant ses « Poèmes de Fresnes », ses derniers écrits avant son
exécution – magnifiquement récités par le très grand acteur Pierre Fresnay.
Je me souviens d’avoir
voulu, avec raison, me procurer le livre intitulé « Hommages à Robert
Brasillach », avec la participation d’une centaine d’écrivains et
notamment Marcel Aymé, Kléber Haedens, Georges Simenon, Thierry Maulnier, La
Varende et l’indépassable écrivain de la marine en bois Jacques Perret (héros
de la guerre et de la résistance et éditorialiste royaliste), Michel Déon,
devenu depuis académicien et que madame Hidalgo, se prenant pour Créon, rechigna
tant à ce que lui soit donné une sépulture dans un cimetière à Paris…
Pour cela, mon ami Jean Faure,
grand érudit de la littérature française et occitane, chez qui j’avais parcouru
l’ouvrage me dit que le mieux était de le commander aux Cahiers des amis de Robert Brasillach, la revue qui l’avait édité.
Je le fis sans
difficulté, alors adhérent par le fait même à l’association, voulant mieux
approfondir ce qu’était pour moi le « mystère Brasillach », celui d’un
merveilleux écrivain mais hélas aussi homme engagé au grand dam de Maurras qui
réprouvait totalement la collaboration et fustigeait sévèrement les
collaborateurs dans cette funeste voie avec d’affligeants propos de haine
antisémite.
Je me penchais aussi sur
la courageuse démarche de François Mauriac auprès du Général De Gaulle pour qu’il
gracie Brasillach. Je concède que Mauriac est un grand écrivain mais je
trouvais ses romans tristes à en faire devenir neurasthéniques ses lecteurs. Surtout,
je n’approuvais pas ses positions politiques. Il remonta alors dans mon estime.
Mais c’est finalement
sous la plume de Marcel, dans sa préface aux romans de Brasillach publiés dans
les œuvres complètes (ed. Plon – 2 volumes) que j’ai trouvé remarquablement
vraie l’explication et la fais mienne : « Voilà dix-huit ans qu’il est mort sous les balles du peloton d’exécution.
Je ne reproche pas à son choix politique une mort imputable à de mauvais juges,
mais je lui reproche d’avoir inspiré des paroles de violence à un être pétri de
bonté et de bienveillance, à celui qui fut le romancier de la tendresse ».
Ce que Marcel Aymé
appelle « le choix politique » de Brasillach fut en effet hélas
détestable. Mais tout autant le fut celui d’Aragon, doux poète dans « Les
yeux d’Elsa » mais qui fut un triste collabo communiste appelant à « l’éclat
des fusillades », et chantant la grandeur du GPU, la Gestapo stalinienne.
Mais voici la différence
dans leurs destinées.
Brasillach, on le sait,
se rendit à la police pour que, en échange, après le chantage réussi, soit
libérée sa mère, emprisonnée, lui avait-on fait savoir, tant qu’il ne se
livrerait pas. Brasillach préférait sa mère à sa liberté et à sa vie. Il paya de
sa mort son « choix politique », affrontant d’ailleurs très
courageusement la détention et le peloton d’exécution.
Aragon, lui, aussi peu
inquiété sous vichy que Sartre et Picasso, a vu sa collaboration sans risque
avec la monstruosité stalinienne payée de tous les honneurs.