vendredi 10 novembre 2017

Macron en Orient : toujours le modèle Napoléon…



Emmanuel Macron a donc, comme qui dirait, passé quelques jours dans une opération de tentative de conquête des cœurs islamiques sur les bords du golfe persique, surtout de ceux des financièrement puissants.

Cela, on ne saurait lui reprocher, puisqu’il s’agissait essentiellement d’inaugurer le musée du « Louvre » d’Abu Dhabi et de permettre la signature de promesses de contrats de vente de plusieurs airbus. Reste bien sûr à attendre leur réalisation concrète.

Mais pour charmer ses hôtes et saluer le rôle d’équilibre géopolitique des Émirats arabes unis, il n’a pu s’empêcher de proférer une nouvelle fois une de ces sidérantes considérations historico-civilisationnelles (« la colonisation de l’Algérie, crime contre l’humanité… ») semblant bien être autant le fait de son ignorance que de son art démagogique.

Sans doute, imprégné qu’il est de fantasmagorie impériale, a-t-il en tête le modèle de Bonaparte en Orient rêvant de s’y tailler un empire et faisant propager à cette fin la nouvelle de sa conversion à l’islam. De même, Mussolini, pour se rallier des populations musulmanes dans ses entreprises de conquêtes africaines, ne proférait-il pas : « Nous ferons briller le sabre de l’islam ? ».

Alors Macron, ce micro-Napoléon, super-oecuméniste, a-t-il lancé : « De manière indétricotable, irréductible, nos religions sont liées. Ceux qui font croire que l’islam se construit en détruisant les autres monothéismes sont des menteurs et vous trahissent ». 

Sans doute a-t-il visé ainsi ceux que l’on désigne désormais comme des « islamistes ». Rappelons que jusqu’au siècle dernier, dans les encyclopédies, on définissait simplement l’islamisme comme la doctrine de l’islam. Mais passons.

La vérité, c’est qu’à elle seule, la courte première phrase de ce court propos est un concentré d’imprécision falsificatrice. Outre le fait que le terme de « monothéisme » n’est pas très adéquat pour le christianisme, religion de la foi en un Dieu en trois personnes, les trois religions ne sont nullement liées ni théologiquement ni moralement. Le judaïsme et le christianisme le sont, bien sûr, sur le fondement de la Bible (« Ancien Testament » pour les chrétiens), et du Décalogue.

Mais, pour ce qui est de l’islam et du christianisme, ce n’est par exemple, tout au long du Coran et des Hadîths, qu’un long cri de malédiction contre ceux qui « associent d’autres dieux à Dieu ». Et quant aux juifs, on sait, à lire ces textes, comment ils doivent être traités…
Nul doute que M. Macron ne les a jamais parcouru, ni lu le moindre chapitre des ouvrages essentiels de l’historienne juive Bat Ye’Or, tels que « Les chrétientés d’Orient entre jihâd et dhimmitude ». 

À la vérité, aucun historien sérieux des trois religions ne le nie aujourd’hui, l’islam, considéré comme une religion  (c’est aussi et d’abord une idéologie politico-religieuse, une théocratie totalitaire) est une secte (qui a réussi !) judéo-chrétienne, plus savamment définie comme « nazaréenne ». (Le mot vient du nom hébreu « nazir », désignant à l’origine une personne consacrée à Yahvé, et servant ensuite, par extension, à la dénomination de courants religieux aux frontières du judaïsme et du christianisme. Mais en fait de « religions liées » selon l’expression macronienne, leur histoire n’a été « liée » que par leur antagonisme et, au mieux, par des coexistences difficiles ; ce que toute une désinformation révisionniste et négationniste s’est efforcée de dissimuler avec le développement du mythe lénifiant d’Al-Andalous aujourd’hui totalement démoli scientifiquement.

La vérité, c’est que l’islam en tant qu’ordre politique, n’a pas détruit partout les autres monothéismes mais tout de même les a éradiqués en bien des pays, et notamment au long du XX° siècle. Ainsi il n’y a plus aujourd’hui qu’un infime pourcentage de populations chrétiennes (0.05 % en Turquie) là où elles étaient en maintes régions encore majoritaires en 1990 (30 % sur l’actuel territoire de la Turquie). Mais pour l’heure, c’est au sein même de l’islam que la séculaire rivalité dans la succession du prophète née de la haine entre partisans d’Ali (chiites, principalement perses) et ceux de Moawiwa (sunnites, principalement courant arabe) ressurgit d’une manière très inquiétante. 

Curieusement, les Perses se sont soumis à l’islam propagé par l’arabe Mahomet, mais ils n’ont jamais pu réellement accepter la domination arabe. 

L’Arabie saoudite, temple du sunnisme wahabite, et l’Iran chiite sont depuis des années en guerre pour le contrôle du Yémen. Mais ils étaient également antagonistes dans le conflit syrien dans lequel l’Iran, allié du régime de Bachar el Assad avec la Russie, est fortement engagé avec le Hezbollah, la puissance chiite libanaise qu’il encadre et qu’il arme.


Bientôt une nouvelle guerre au Liban ?

Jusqu’ici, le Liban avait pu se maintenir à l’écart du conflit syrien grâce à un fragile accord de compromis gouvernemental entre chrétiens, sunnites et chiites sans oublier les Druzes. Et ce, en raison aussi de l’équilibre institutionnel dû au pacte de 1943 stipulant notamment que le président de la République doit être chrétien, le Premier Ministre, sunnite, et le président de l’Assemblée, chiite. Tout cela se traduisait par le fait que le président de la République, le général Aoun, est d’un courant chrétien allié des chiites, donc du Hezbollah pro-iranien, tandis que le premier ministre Saad Hariri, d’ailleurs d’origine saoudienne, était l’homme non seulement agréé mais même, de fait, voulu par l’Arabie saoudite.

Or, voici que dans le contexte général de la vigoureuse prise anticipée du pouvoir dans ce pays par le prince héritier Salman, Hariri a comme été ramené à Ryad, de gré ou de force, d’où il a annoncé sa démission. Salman semble donc n’avoir plus voulu tolérer que ce premier ministre, leur homme-lige, puisse demeurer dans un consensus politique avec un chef de l’État agréé par l’ennemi iranien dont l’ambassadeur à Beyrouth tient de plus en plus une place de véritable pro-consul avec sa tutelle militaire sur le Hezbollah. 

Or, bien plus encore que le Hamas et autres organisations palestiniennes, c’est le Hezbollah que craignent avant tout les Israéliens. Ils se souviennent de leurs graves déboires militaires dans le conflit de 2006. 

Depuis, l’armement du Hezbollah au Liban s’est considérablement renforcé, avec tout un dispositif savamment enterré de milliers de fusées iraniennes Selsal de nouvelle génération pouvant frapper partout en Israël. 

Mes amis se souviennent de ce que, lors de notre université d’été, et aussi en d’autres séquences d’étude, je leur ai dit ma crainte, sinon ma certitude, d’une nouvelle guerre, selon moi presque inéluctable, tant en Israël on craint l’efficacité destructrice de ces fusées. 

Les Israéliens sont donc prêts à frapper le dispositif Hezbollah. Mais leur frappe sèmera aussi inéluctablement le chaos ailleurs que dans les zones Hezbollah. Il n’est donc que temps de tout faire pour éviter coûte que coûte cette guerre. Pour cela, il ne serait que temps pour les puissances d’imposer la dissolution de la puissante milice du Hezbollah, qui est aujourd’hui au Liban plus qu’un État dans l’État. 

Le Liban ne devrait connaître qu’une force militaire protectrice, celle de son armée nationale. Et ses chefs politiques ne devraient être désignés ni à Téhéran ni à La Mecque. 

Voilà qui devrait être un objectif diplomatique urgent et de première importance pour Emmanuel Macron et les chefs d’État des grandes puissances soucieux d’éviter une guerre dont les conséquences, par ses dangers de propagation, pourraient être incalculables.