Emmanuel Macron a donc,
comme qui dirait, passé quelques jours dans une opération de tentative de
conquête des cœurs islamiques sur les bords du golfe persique, surtout de ceux
des financièrement puissants.
Cela, on ne saurait lui
reprocher, puisqu’il s’agissait essentiellement d’inaugurer le musée du « Louvre »
d’Abu Dhabi et de permettre la signature de promesses de contrats de vente de
plusieurs airbus. Reste bien sûr à attendre leur réalisation concrète.
Mais pour charmer ses
hôtes et saluer le rôle d’équilibre géopolitique des Émirats arabes unis, il n’a
pu s’empêcher de proférer une nouvelle fois une de ces sidérantes
considérations historico-civilisationnelles (« la colonisation de l’Algérie,
crime contre l’humanité… ») semblant bien être autant le fait de son
ignorance que de son art démagogique.
Sans doute, imprégné qu’il
est de fantasmagorie impériale, a-t-il en tête le modèle de Bonaparte en Orient
rêvant de s’y tailler un empire et faisant propager à cette fin la nouvelle de
sa conversion à l’islam. De même, Mussolini, pour se rallier des populations
musulmanes dans ses entreprises de conquêtes africaines, ne proférait-il pas :
« Nous ferons briller le sabre de l’islam ? ».
Alors Macron, ce
micro-Napoléon, super-oecuméniste, a-t-il lancé : « De manière indétricotable, irréductible, nos religions sont
liées. Ceux qui font croire que l’islam se construit en détruisant les autres monothéismes
sont des menteurs et vous trahissent ».
Sans doute a-t-il visé
ainsi ceux que l’on désigne désormais comme des « islamistes ». Rappelons
que jusqu’au siècle dernier, dans les encyclopédies, on définissait simplement
l’islamisme comme la doctrine de l’islam. Mais passons.
La vérité, c’est qu’à
elle seule, la courte première phrase de ce court propos est un concentré d’imprécision
falsificatrice. Outre le fait que le terme de « monothéisme » n’est
pas très adéquat pour le christianisme, religion de la foi en un Dieu en trois
personnes, les trois religions ne
sont nullement liées ni théologiquement ni moralement. Le judaïsme et le
christianisme le sont, bien sûr, sur le fondement de la Bible (« Ancien
Testament » pour les chrétiens), et du Décalogue.
Mais, pour ce qui est de
l’islam et du christianisme, ce n’est par exemple, tout au long du Coran et des
Hadîths, qu’un long cri de malédiction contre ceux qui « associent d’autres
dieux à Dieu ». Et quant aux juifs, on sait, à lire ces textes, comment
ils doivent être traités…
Nul doute que M. Macron
ne les a jamais parcouru, ni lu le moindre chapitre des ouvrages essentiels de
l’historienne juive Bat Ye’Or, tels que « Les chrétientés d’Orient entre
jihâd et dhimmitude ».
À la vérité, aucun historien
sérieux des trois religions ne le nie aujourd’hui, l’islam, considéré comme une
religion (c’est aussi et d’abord une
idéologie politico-religieuse, une théocratie totalitaire) est une secte (qui a
réussi !) judéo-chrétienne, plus savamment définie comme « nazaréenne ».
(Le mot vient du nom hébreu « nazir », désignant à l’origine une personne
consacrée à Yahvé, et servant ensuite, par extension, à la dénomination de
courants religieux aux frontières du judaïsme et du christianisme. Mais en fait
de « religions liées » selon l’expression macronienne, leur histoire
n’a été « liée » que par leur antagonisme et, au mieux, par des
coexistences difficiles ; ce que toute une désinformation révisionniste et
négationniste s’est efforcée de dissimuler avec le développement du mythe lénifiant
d’Al-Andalous aujourd’hui totalement démoli scientifiquement.
La vérité, c’est que l’islam
en tant qu’ordre politique, n’a pas détruit partout les autres monothéismes
mais tout de même les a éradiqués en bien des pays, et notamment au long du XX°
siècle. Ainsi il n’y a plus aujourd’hui qu’un infime pourcentage de populations
chrétiennes (0.05 % en Turquie) là où elles étaient en maintes régions encore
majoritaires en 1990 (30 % sur l’actuel territoire de la Turquie). Mais pour l’heure,
c’est au sein même de l’islam que la séculaire rivalité dans la succession du prophète
née de la haine entre partisans d’Ali (chiites, principalement perses) et ceux
de Moawiwa (sunnites, principalement courant arabe) ressurgit d’une manière
très inquiétante.
Curieusement, les Perses
se sont soumis à l’islam propagé par l’arabe Mahomet, mais ils n’ont jamais pu
réellement accepter la domination arabe.
L’Arabie saoudite,
temple du sunnisme wahabite, et l’Iran chiite sont depuis des années en guerre
pour le contrôle du Yémen. Mais ils étaient également antagonistes dans le
conflit syrien dans lequel l’Iran, allié du régime de Bachar el Assad avec la
Russie, est fortement engagé avec le Hezbollah, la puissance chiite libanaise
qu’il encadre et qu’il arme.
Bientôt une nouvelle guerre au Liban ?
Jusqu’ici, le Liban
avait pu se maintenir à l’écart du conflit syrien grâce à un fragile accord de
compromis gouvernemental entre chrétiens, sunnites et chiites sans oublier les
Druzes. Et ce, en raison aussi de l’équilibre institutionnel dû au pacte de
1943 stipulant notamment que le président de la République doit être chrétien,
le Premier Ministre, sunnite, et le président de l’Assemblée, chiite. Tout cela
se traduisait par le fait que le président de la République, le général Aoun,
est d’un courant chrétien allié des chiites, donc du Hezbollah pro-iranien,
tandis que le premier ministre Saad Hariri, d’ailleurs d’origine saoudienne,
était l’homme non seulement agréé mais même, de fait, voulu par l’Arabie
saoudite.
Or, voici que dans le
contexte général de la vigoureuse prise anticipée du pouvoir dans ce pays par
le prince héritier Salman, Hariri a comme été ramené à Ryad, de gré ou de
force, d’où il a annoncé sa démission. Salman semble donc n’avoir plus voulu
tolérer que ce premier ministre, leur homme-lige, puisse demeurer dans un
consensus politique avec un chef de l’État agréé par l’ennemi iranien dont l’ambassadeur
à Beyrouth tient de plus en plus une place de véritable pro-consul avec sa
tutelle militaire sur le Hezbollah.
Or, bien plus encore que
le Hamas et autres organisations palestiniennes, c’est le Hezbollah que
craignent avant tout les Israéliens. Ils se souviennent de leurs graves déboires
militaires dans le conflit de 2006.
Depuis, l’armement du
Hezbollah au Liban s’est considérablement renforcé, avec tout un dispositif
savamment enterré de milliers de fusées iraniennes Selsal de nouvelle génération
pouvant frapper partout en Israël.
Mes amis se souviennent de
ce que, lors de notre université d’été, et aussi en d’autres séquences d’étude,
je leur ai dit ma crainte, sinon ma certitude, d’une nouvelle guerre, selon moi
presque inéluctable, tant en Israël on craint l’efficacité destructrice de ces
fusées.
Les Israéliens sont donc
prêts à frapper le dispositif Hezbollah. Mais leur frappe sèmera aussi
inéluctablement le chaos ailleurs que dans les zones Hezbollah. Il n’est donc
que temps de tout faire pour éviter coûte que coûte cette guerre. Pour cela, il
ne serait que temps pour les puissances d’imposer la dissolution de la
puissante milice du Hezbollah, qui est aujourd’hui au Liban plus qu’un État
dans l’État.
Le Liban ne devrait
connaître qu’une force militaire protectrice, celle de son armée nationale. Et ses
chefs politiques ne devraient être désignés ni à Téhéran ni à La Mecque.
Voilà qui devrait être
un objectif diplomatique urgent et de première importance pour Emmanuel Macron
et les chefs d’État des grandes puissances soucieux d’éviter une guerre dont
les conséquences, par ses dangers de propagation, pourraient être
incalculables.