mercredi 4 octobre 2017

Le gâchis catalan

« Provencau, veici la coupo
Que nous vèn di Catalan… »

Ce sont les deux premiers vers du premier couplet du chant de la Coupe que l’on peut lire dans notre recueil « Chants de France et de chrétienté ».

Ce chant, devenu l’hymne du Félibrige et de la Provence, c’est l’ode composée par le grand Fréderic Mistral en réception de la magnifique coupe en argent, avec ses deux figurines représentant la Catalogne et la Provence supportant la vasque, offerte aux félibres par un des chefs du mouvement catalaniste, Victor Balaguer.

Ce dernier remerciait ainsi Mistral et les félibres pour leur hospitalité fraternelle pendant une période d’exil passée en Provence. 

Par la suite, s’établit la tradition de chanter solennellement la Coupo dans toutes les assemblées de défense et d’illustration de l’identité provençale, dans toutes les fêtes de la ferveur régionaliste. La Coupo devint l’hymne du Félibrige et de toute la Provence.

Après la naissance de l’Action Française, il ne fut pas non plus de grande réunion royaliste en Provence, mais aussi très souvent en Catalogne  ou en Languedoc, où l’hymne ne fut chanté par une assistance debout et recueillie. C’est que le royaliste Maurras, grand écrivain français, était aussi un fervent poète du Félibrige dans une admiration réciproque avec son fondateur principal Frédéric Mistral.

En France, la doctrine monarchiste incluait les idéaux régionalistes contre la centralisation jacobine, égalitariste, liberticide et niveleuse. Et ce n’est qu’avec la récupération gauchiste au milieu du XXe siècle que le régionalisme a pu être subverti en autonomisme fractionnel, voire en indépendantisme comme en Corse, ou en néo-jacobinisme occitaniste en Languedoc.

L’Espagne n’a pas connu les mêmes cheminements vers l’unité nationale que la France, unifiée depuis Charles VII grâce à Jeanne d’Arc par la continuité capétienne puis, hélas, par le centralisme jacobin éradicateur de cette diversité.

Après le mariage de Castille et Aragon par celui de Ferdinand et d’Isabelle, l’unité de la péninsule ibérique, à l’exception du Portugal, intraitable sur sa souveraineté, fut réalisée. Mais son histoire fut aussitôt marquée par le règne à vocation universelle du flamand Charles Quint, certes roi d’Espagne mais simultanément empereur du Saint-Empire.

La monarchie espagnole, fédérative, n’eut pas ainsi le caractère politique résolument national de celle de la France quel qu’ait pu être constamment l’entrelacs familial européen de notre dynastie capétienne avec ses reines d’origine étrangère, de Blanche de Castille mère de Saint Louis à Marie-Antoinette d’Autriche, la reine martyrisée, en passant par celles venues de l’Italie, d’Autriche ou de Pologne.

Longtemps, dans la continuité des anciens royaumes constitués ou reconstitués après la Reconquista (Léon, Castille, Asturie, Navarre, Aragon, Valence, Grenade…) et fédérés par les deux couronnes (Castille et Aragon), on parla « des Espagnes » et non de « l’Espagne ». Ainsi Ferdinand VII se proclamait-il « Roi des Espagnes et des Indes ».

Longtemps, le principe unificateur de l’ensemble hispanique ne résida-t-il pas d’ailleurs plus dans l’Inquisition catholique - qui n’est pas ici objet de notre réflexion – que dans une Monarchie centrale n’aboutissant jamais à une unité incontestée ?
Si le Portugal, sous une monarchie débilitée et avec la féroce dictature du marquis de Pombal, franc-maçon, anticlérical féroce et en réalité anticatholique, anticipa la Révolution Française, les Espagnes, ne supportant pas la monarchie de Joseph imposée par son frère Napoléon Ier en mai 1808 avec sa constitution de Bayonne ne furent pas globalement emportées par le courant révolutionnaire, les « afrancesados » demeurant un clan de bourgeoisie madrilène très minoritaire.

Le conflit des appétits européens pour la couronne d’Espagne avait au début du 18e siècle entrainé la Guerre de Succession et l’arrivée sur le trône des Bourbons d’Espagne. 

Mais la grande déchirure fut au XIXe siècle celle de la guerre carliste de 1833 rebondissant ensuite en deux autres guerres.

La cause immédiate en est la décision prise en 1830 par le roi Ferdinand VII de transmettre la couronne à sa fille aînée Isabelle, rompant ainsi avec la loi salique décidée par Philippe V en 1713. Le frère cadet du roi, Charles de Bourbon, n’accepte pas cela et, à la mort de Ferdinand VII en 1833, se proclame « roi des Espagnes » sous le nom de Charles V, ce qui déclenche la guerre.

Il est alors soutenu par toute une partie des peuples d’Espagne dès lors appelés « carlistas ». En fait, la querelle n’est pas que d’ordre successoral mais porte surtout sur les valeurs religieuses, politiques et sociales défendues par les deux camps qui vont s’affronter au long de trois guerres civiles.

Pour faire bref, les partisans d’Isabelle II sont des libéraux, centralistes et anticléricaux.

Les carlistes, eux, ordonnent leur doctrine autour des valeurs proclamées dans leur hymne (Oriamendi) « Dios, Patria, Rey ». Ils incluent dans leur ferveur patriotique la défense sourcilleuse des « fueros » (en français « fors ») c'est-à-dire les chartes fondamentales, de respect des privilèges et libertés des provinces et communes ; institutions remontant pour beaucoup aux avancées de la Reconquista . Elles sont particulièrement vivaces et défendues au Pays basque et notamment dans sa province de Navarre, mais aussi en Catalogne.

La première guerre, de 1833 à 1840, est marquée d’abord par les brillantes victoires du soulèvement carliste sous la conduite du général basque Zumalacàrregui. Les troupes carlistes sont formées de « requêtés », volontaires paysans portant la « boina » (le béret rouge traditionnel en Navarre et autres provinces basques d’Espagne).

Ces chouans des Pyrénées renforcés spirituellement par leur clergé sont de redoutables combattants qui ne seront finalement vaincus qu’en raison de l’envoi de troupes anglaises et françaises en renfort décisif à l’armée isabeline.

Deux autres soulèvements, deux autres guerres civiles (de 1846 à 1849 et de 1872 à 1876) marqueront l’épopée carliste au XIX° siècle jusqu’à la conquête d’Estella, la capitale de la Navarre carliste par les troupes d’Alphonse XII, le fils d’Isabelle.

Au XX° siècle, le carlisme jamais totalement réduit, se remobilisera puissamment devant la politique anticatholique de la Seconde République espagnole, alors que se multiplieront les actes terroristes des communistes et des anarchistes acheminant l’Espagne vers la guerre civile que déclenchera l’assassinat du jeune chef monarchiste Calvo Sotelo.  

Mais en 1936, dans le parti nationaliste basque (PNV) pourtant originellement si traditionaliste, les uns prônent des solutions autonomistes, et d’autres veulent de l’indépendance. Et ils ne craignaient même pas de faire confiance pour cela en une alliance avec les communistes !

Cependant, en Navarre, la mobilisation massive, et décisive, des Requêtés catholiques sous l’autorité du général Mola apporte un appui décisif à l’insurrection du général Franco. Mais le reste du pays basque et de la Catalogne, se rallie majoritairement aux forces du gouvernement socialo-communiste.

Le régime du général Franco, voulant au-dessus de tout l’unité de l‘Espagne, ne voulut hélas d’aucun retour aux « fueros ». Les mouvements régionalistes furent alors pénétrés par des courants indépendantistes noyautés par l’extrême-gauche et trouvant de plus en plus un appui dans le clergé catholique.

Au pays basque, se développa le terrorisme de l’ETA entraînant une totale opposition du gouvernement franquiste à une politique de décentralisation ; alors que par ailleurs la culture était abandonnée à la gauche…

La Catalogne, qui était sortie de la guerre, hébétée et débilitée par les massacres et atrocités entre les factions du camp républicain (tchékistes staliniens contre POUM trotskyste et anarchiste) retrouva alors au fil des années un grand dynamisme économique grâce à la paix et à la prospérité apportées par Franco.

Et des millions de touristes, français et autres, plus massivement encore que dans que dans le reste de l’Espagne se précipitaient vers les plages de la Costa Brava. En Catalogne, de plus en plus riche par rapport au reste de l’Espagne, s’affirma, à la différence du pays basque de plus en plus appauvri par le terrorisme, un indépendantisme de riches bien plus fondé en réalité sur un égoïsme fiscal que sur des revendications d’autonomie administrative culturelle et linguistique depuis longtemps satisfaites par le régime monarcho-démocratique.

La situation a évolué aussi vers une pitoyable rivalité entre Madrid et Barcelone alors qu’en fait de défense de son identité nationale, les gouvernants de la Catalogne, où pullulent désormais  les mosquées, n’ont cessé d’affirmer le plus véhément cosmopolitisme.

Face à cet indépendantisme catalan, le gouvernement libéral-eurocratique de Mariano Rajoy n’a pas jusqu’ici brillé, ni par une politique de réplique intelligente ni par sa subtilité, et encore moins devant le défi du référendum certes illégal de ce 1° octobre.

Mais n’aurait-il pas pu conjurer et anticiper cela par une autre forme de consultation légale coupant l’herbe sous le pied des indépendantistes, alors que ces derniers n’étaient d’évidence pas majoritaires et ne le sont toujours pas ?

Car la vraie question qui se pose à la Catalogne, c’est de savoir si elle restera à la fois catalane et espagnole, ou si, au train où déferle l’immigration, elle deviendra une république islamique de Catalogne.  

Après le référendum catalaniste et la réaction policière du gouvernement espagnol, la moins mauvaise solution pour éviter que se développe un dramatique conflit nous paraissait résider dans une solution sur le modèle belge : celle d’une répartition des pouvoirs entre d’une part la monarchie et d’autre part la coexistence de deux entités nationales avec leurs gouvernements respectifs.

Mais est-ce encore possible ?