mardi 4 avril 2017

Jean Ferrat : sa mémoire chantait en effet « en sourdine » !


Toujours sur mon café du matin, au hasard des radios, je glane pour stimuler mon réveil quelque matière à rectification. Hier, c’était sur France Inter l’éloge de Duclos. Avant-hier, sur France Musique, c’était l’évocation par les musiques et les chants des révoltes de 1905 en Russie. Ce matin, vers 6h30, avant mon départ pour l’aéroport, je captais à nouveau la même station. Et voilà que, toujours sur le même sujet, on y entendait la chanson de Jean Ferrat glorifiant la mutinerie des marins du cuirassé Potemkine en fredonnant « ma mémoire chante en sourdine, Potemkine ».



Sans doute, surtout après la défaite contre le Japon, la marine impériale russe n’était-elle pas caractérisée par un sens très humain du commandement. Et sans doute y avait-il des causes objectives à la révolte. Or, si les mutineries de la flotte de la Mer Noire en juin/juillet 1905 annonçaient celles de la flotte de la Baltique en 1917, sur la suite de l’histoire, la mémoire de Jean Ferrat s’est totalement mise en sourdine, amnésique et même négationniste par occultation.



On sait en effet que les marins de la flotte de la Baltique, et notamment ceux du croiseur Aurore qui, le 25 octobre (calendrier julien), bombardèrent le Palais d’Hiver, jouèrent un rôle majeur dans la prise du pouvoir à Pétrograd par les troupes de Lénine et Trotski. La marine russe était alors organisée autour de sa base principale très fortifiée sur la presqu’île de Cronstadt. Le coup d’Etat lénino-trotskiste ayant triomphé, les marins s’adonnèrent alors pendant quelques trois ans aux délices d’une révolution qu’ils espéraient partout en Russie sur le modèle de leurs soviets constitutifs de la « commune » de Cronstadt. Pour eux, l’idéal de l’anarchie était enfin en passe de se réaliser.



Hélas, à Pétrograd, les choses n’allaient pas tout à fait dans le sens de la liberté que l’on peut qualifier d’autogestionnaire, prônée par les marins. La férule bolchevique et la bureaucratie s’installaient de plus en plus. Et surtout se développait la terreur de la Tchéka, dont les effectifs allaient en moins de quatre ans multiplier par plus de quinze ceux de l’Okhrana, la vieille police politique tsariste. Lénine ne répétait-il pas que « tout bon communiste doit être un bon tchékiste » ?



Les soviets des marins de Cronstadt, qui étaient, eux, en lien avec leurs familles habitant Pétrograd, s’impatientèrent. Ils exigeaient le retour à l’idéal libertaire, ils dénonçaient la dictature communiste. Cela eut le don d’exaspérer Lénine et Trotski qui leur adressèrent l’ukase de respecter les ordres du Parti.



En mars 1921 éclata la révolte des marins de Cronstadt. Nous ne pouvons en narrer ici les péripéties. Alors que leurs familles étaient prises en otage à Pétrograd et allaient connaître des destinées atroces dans des centres de détention annonciateurs du Goulag, les marins, mal armés, mal commandés, allaient être brisés par l’Armée rouge de Trotski. Par milliers, ils furent fusillés. D’autres purent s’enfuir, à pied sur la glace, vers la Finlande. Beaucoup allaient connaître une triste fin, jusqu’à la mort dans les geôles bolcheviques, dans des conditions bien plus épouvantables que celles du temps du tsarisme.



Mais le chanteur collabo lénino-stalinien Jean Ferrat ne chantera jamais la mémoire des marins de la flotte de la Baltique, ceux du croiseur Aurore ou ceux du Petropavlosk et des autres navires. Pour eux, la mémoire de ce triste camarade avait été en effet totalement mise en sourdine !