Libération ne déçoit
jamais : la rédaction de l’éditorial de ce jour est confiée à un écrivain
américain du nom de David Vann, qui promène au Salon du Livre un sourire yankee
de vendeur de voitures sabotées et un regard rassurant comme une invitation à
dîner au 93, rue Lauriston. Le titre, tout en pondération : Il est temps de tuer Dieu et la patrie.
En résumant ainsi le
substrat de ses réflexions, David Vann rend un hommage appuyé à celui qui fut
son maître, l’inévitable Monsieur Homais, qui pontifiait déjà dans le village
de la mère Bovary. Cousinant avec le scientifique Richard Dawkins, autre
acharné de l’athéisme écumant, dans la grande consanguinité de la bêtise à
front de taureau, Vann se fait l’Homais américain. Homais Simpson, bouffi d’une
certitude égotique bonne à gonfler les outres avec du rien, assène ses vérités
définitives sur « les masses populistes qui votent
pour des autoritaristes à peine déguisés et des aspirants dictateurs, […] largement influencées par la
religion » et sur son « combat contre Dieu ». On apprend
ainsi que « les menaces qui pèsent
sur la France et sur l’Amérique, qu’elles soient internes ou viennent de
l’extérieur, ont Dieu pour origine », que « les religions elles-mêmes n’apportent aucune liberté, mais plutôt
l’asservissement et la perspective d’une guerre inéluctable », que Vann veut s’atteler à « la tâche quasi impossible de démontrer aux
dizaines de millions d’électeurs religieux nationalistes des pays occidentaux
que leurs croyances sont tout simplement infondées ».
L’infatuation de telles formules, perversions d’un grotesque romantisme
prométhéen bon à faire chavirer les étudiantes de Berkeley après leur dixième
joint, a de quoi faire rire. Elles sont pourtant le jus centrifugé et
grandiloquent d’une pensée bobo qui descend des propos de fin de banquet
maçonnique, déclamés avec l’inébranlable assurance de Lyssenko.
Joignant allègrement l’indécence à la débilité, Vann rappelle, l’index
levé comme un instituteur scientiste, que « chacun devrait convaincre ses voisins qu’un gouvernement très à droite
est plus dangereux que les terroristes, que la France ne devrait pas poursuivre
des rêves de grandeur et que Dieu est mort ». Le lendemain de l’assassinat
de trois Londoniens par l’islamiste Khalid Masood. A point nommé donc.
Comprenez-le, ce pauvre Vann, accablé par l’échec de tous ses efforts « pour créer un monde ouvert, démocratique et
pluraliste fondé sur les faits avérés, la raison et la loi séculière » !
Les faits avérés, la raison et la loi séculière… du mauvais Voltaire, l’argument
imparable des béats du grand vide spirituel.
Ni religion, ni politique, ni enracinement, ni incarnation ! « Mais il y a les experts pour cela, les
savants, mon cher ! », rétorquent ceux que l’écrivain Renaud
Camus appelle les « amis du désastre »,
ceux dont la certitude, c’est-à-dire l’orgueil médiocre, est devenue seule
religion. Les croyants électeurs de droite « sont plutôt plus vieux, blancs, ruraux, pas riches, pas très bien
éduqués et tout à fait religieux », alors « nous [Nda : Vann et l’Amicale du Progrès Positif de Trifouillis
Sur Hudson] devons trouver des moyens de
tuer leur Dieu et de tuer leur amour pour leur patrie ». Tuer ce qui
fait l’homme, en somme. Une fois l’homme effacé, David Vann restera. C’est-à-dire
rien.
Pierre Henri