On peut résumer en ces quatre références
les pôles du débat idéologico-politique et moral sur la question des
« droits de l’homme ».
On sait combien cette notion fondée et
surgie des Lumières a pu être justement critiquée par les penseurs de l’école
contre-révolutionnaire et par la droite de conviction. « Qu’est-ce que
l’homme ? », écrivait Joseph de Maistre, énonçant ensuite qu’il ne
connaissait que des types humains identifiés par leur appartenance nationale et
autre.
Alors, en effet, comment pouvait-on
raisonnablement évoquer les mêmes droits universels pour des hommes bien
différents. Il y a là une grande part de vérité. Il n’en demeure pas moins que
« l’homme », ce n’est pas seulement un concept mais une commune
réalité d’appartenance de tous les êtres relevant en ce bas-monde, par-delà les
différences existentielles de « l’essence humaine » conçue par le
Créateur, ce que l’on appelle communément « nature humaine ».
Et plus encore que tous les autres êtres
vivants dans la diversité de leur espèce, l’homme, créé à l’image de Dieu, créé
avec le miracle de sa conscience, de sa connaissance qu’il va mourir, est par
essence fondamentalement digne de respect.
Par la révélation du Décalogue, Dieu lui a
dicté la charte universelle de ses devoirs. D’où découlent à l’évidence les
corollaires de ses droits. Ainsi le devoir de respecter la propriété d’autrui
fonde le droit de n’être pas volé.
À moins de tomber dans le nominalisme et
de nier toute notion d’espèce, l’appellation « l’homme » énonce donc
une réalité et donc exprime une vérité. Ce qui précède fonde qu’en tant que
tel, l’homme, qu’il soit progressivement sorti de l’animalité ou qu’il ait reçu
la révélation de sa dignité de créature de Dieu, est par-delà ses conditions de
vie, un universel sujet de droits.
Mais de cela, le « droit de
l’hommisme » est certes une perversion idéologique. Perversion par ce que
Jean Madiran désignait comme « les droits de l’homme sans Dieu »,
c’est-à-dire des droits hors du socle immuable du Décalogue ; des droits
se proclamant universels selon les diverses déclarations universelles depuis
1789 mais évoluant selon une constante variabilité voire dans une véritable
inversion des valeurs en fonction des conditionnements totalitaires ou
néo-totalitaires de l’opinion.
Ainsi, l’avortement a –t-il été érigé
comme une « valeur » de notre société européenne, un « droit de
la femme » inclus désormais dans les « droits de l’homme ».
Cette perversion-subversion ne saurait
remettre en cause une claire doctrine des droits de l’homme explicitée dans le
respect de la dignité de la personne humaine, de la vie innocente et de toutes
les valeurs du Décalogue.
La vérité c’est que les droits de l’homme
sont piétinés dans nos sociétés modernes par la négation du premier de ces
droits qui est le droit de naître pour l’être humain conçu, fondement plus
général du droit de vivre.
La vérité c’est que tout en pesant bien les
impératifs d’une politique réaliste pour le bien commun national puis
international, on ne saurait accepter que ne soient pas suffisamment prises en
considération les plus massives violations des droits de l’homme, hier et
aujourd’hui, par des régimes perpétrant des massacres, des exterminations voire
des génocides.
Ce fut hier le cas de tous les États
communistes autant que du nazisme. Ce l’est toujours aujourd’hui des régimes
communistes subsistant dont l’emprise porte encore sur le tiers de
l’humanité : Chine, Corée du Nord, Vietnam, Laos, Cuba.
Ce l’est toujours à différents degrés de
tous les pays d’islam, dont aucun (1) ne respecte le droit à la liberté
religieuse, dont la première exigence est celle de la liberté de conversion pas
à sens unique.
Bien sûr il y a l’enfer des pires
monstruosités de l’État Islamique, d’al-Qaïda et de toute la ramification de
l’islam jihâdiste et terroriste. Cela ne saurait occulter le fait que le régime
baassiste syrien dans la continuité des Assad père et fils, a duré depuis 1971 dans le plus total mépris des droits de l’homme par les massacres, les
assassinats, les exécutions de masse, et non sans double jeu avec les
islamistes sunnites ou avec le Hezbollah. Comment oublier en particulier les
assassinats de nos diplomates et le massacre de nos paras du Drakkar ?
Mieux vaut certes aujourd’hui, comme l’a
développé notre ami le général Cann, le maintien du régime que la prise du
pouvoir à Damas par l’État Islamique. Et il est bien évident qu’il est
nécessaire de parler avec Bachar el-Assad. Mais de là à l’encenser comme le
font certains militants de droite ou de « ni droite ni gauche » voire
de généreux mais quelque peu naïfs religieux et militants chrétiens, il y a une
marge. Et ne parlons pas aujourd’hui de ceux qui « émargent » à la générosité
syrienne…
On comprend bien sûr que les chrétiens de
Syrie préfèrent la victoire de Bachar à celle de l’État Islamique. Et nous
aussi. Mais encore une fois, cela ne peut cependant faire oublier d’une part
que le régime syrien, l’Arabie saoudite et la Turquie portent une accablante
responsabilité dans l’émergence de cet État. Cela ne peut faire oublier que les
chrétiens de Syrie dont l’alliance avec le régime est réciproquement vitale ne
sont tout de même jamais totalement sortis du régime de dhimmitude.
Enfin, nous n’avons pas attendu qu’Amnesty
International publie ses informations sur les crimes de masse perpétrés dans la
prison de Saïdnaya au nord de Damas, pour savoir l’abomination des geôles
syriennes qui, au Liban occupé aussi, comme celle que nous avons jadis visitée
à Tripoli, n’étaient que des centres de tortures et des abattoirs humains.
Tout comme le fut le tristement célèbre
immeuble de la Loubianka à Moscou. Là le nombre des victimes de la Tcheka puis
du Guepeou fut d’un ordre bien supérieur. Le FSB y a ensuite succédé au KGB.
Mais Poutine n’a toujours pas jugé bon de faire de ce lieu un mémorial des
crimes du communisme. Pire encore, le buste de Djerjinski, l’organisateur de
l’empire bolchevique du crime de masse, modèle pour les nazis, est toujours en
bonne place dans la grande salle de réunion. On s’en souvient, Poutine y est
même allé il y a quelques années pour exalter le bon vieux temps de la
puissance du KGB avant l’effondrement de l’URSS. On verra bien s’il persiste
dans l’attitude qui fut celle de Clémenceau consistant à tout accepter en bloc
de l’héritage de la révolution.
Nous, nous préférons la position de
Charles Maurras : « la
tradition est critique ». Et ce n’est pas parce que l’invocation des
droits de l’homme a, avec « Le contrat social », servi de pièce maîtresse
à l’idéologie révolutionnaire que nous devrions être approbateurs des régimes
qui les bafouent abjectement immensément, non sans quelquefois le cynisme de
prétendre les respecter.
Mais bien sûr, redisons-le, il n’est pas
de droits de l’homme qui tiennent dans le refus du Décalogue.
(1) Le Liban n’est pas « un pays
d’islam », mais un pays multiconfessionnel à pouvoirs partagés.