Sur mon café du matin, je
parcours les quotidiens. Rien de bien enthousiasmant : la politiciennerie,
les affaires Fillon et autres, et Trump qui semble vouloir faire ce qu’il a
annoncé mais apparemment pas toujours avec le sens des nuances nécessaire et des
mesures tenant suffisamment compte de la complexité de la réalité.
Et puis, moment de bonheur, une
pleine page d’un passionnant entretien mené par Vincent Trémolet de Villers
avec cet extraordinaire artiste de notre langue qu’est Fabrice Lucchini. Vincent
Trémolet dans sa présentation écrit : « Quand le comédien, joint aux bonheurs de l’esprit l’acuité du
moraliste, notre langue recouvre par miracle sa pureté cristalline ».
Mais Lucchini m’enchante plus
particulièrement dans son émouvante évocation de Charles Péguy qui était,
écrit-il, « très loin de moi. À tort. » Et n’y aurait-il qu’un ou
deux milliers de lecteurs de ce blog à s’ajouter au très grand nombre de ceux
du Figaro, je ne résiste pas au plaisir de citer l’intégralité de la réponse de
l’artiste à la remarque de Vincent Trémolet :
« - Mais il y a une vision du monde chez Péguy…
« - Disons qu’il n’est pas très « revenu universel », le Péguy. C’est
même l’anti-Benoît Hamon puisqu’il ne cesse de dire que « travailler, c’est
prier ». alors que je n’ai ni la grâce ni la joie d’avoir la foi, je
continue, par Nietzsche, de tourner autour du christianisme ; mais avec Péguy je reconnais qu’on entre dans
quelque chose qui est de l’ordre du mystère. Écoutons cette voix qui remonte du fond des
âges : « Nos vieux maîtres, nos
bons maîtres n’étaient pas seulement des hommes de l’ancienne France. Ils nous
enseignaient au fond la morale, je dirai même l’être de l’ancienne France ».
Il continue : « Ils nous
enseignaient la même chose que les curés et les curés nous enseignaient la même
chose qu’eux ». Quand il décrit Paris, on dirait de la sociologie
contemporaine : « La population
est coupée en deux classes si parfaitement séparées que jamais on n’avait vu
tant d’argent rouler pour le plaisir, et l’argent se refuser à ce point au
travail. Et tant d’argent rouler pour le luxe et l’argent se refuser à ce point
à la pauvreté ».
En
1910, Péguy voit l’horreur de la financiarisation du réel ! »
Lucchini, qui nous dit tourner
autour du christianisme, a donc découvert Péguy comme jadis les Charlier. Il en
parle déjà un peu comme ils en parlaient, citant en effet un de ces textes
chers à Henri et André Charlier, à Gustave Thibon et à Dom Gérard.
On le vérifie, Lucchini n’est pas
seulement un magnifique lecteur exprimant toutes les beautés et subtilités des
textes. Il sait les choisir et en cela délicatement exprimer les convergences
de sa propre pensée sur le monde et la société avec ses moralistes préférés. Et
ne point taire qu’il est assailli par l’interrogation qui nous fait pleinement
humain : « Plutôt y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? ».
Gageons que sa lecture passionnée de Péguy l’aidera à trouver la réponse.