mercredi 1 février 2017

Bouffée d’oxygène avec Fabrice Lucchini



Sur mon café du matin, je parcours les quotidiens. Rien de bien enthousiasmant : la politiciennerie, les affaires Fillon et autres, et Trump qui semble vouloir faire ce qu’il a annoncé mais apparemment pas toujours avec le sens des nuances nécessaire et des mesures tenant suffisamment compte de la complexité de la réalité. 

Et puis, moment de bonheur, une pleine page d’un passionnant entretien mené par Vincent Trémolet de Villers avec cet extraordinaire artiste de notre langue qu’est Fabrice Lucchini. Vincent Trémolet dans sa présentation écrit : « Quand le comédien, joint aux bonheurs de l’esprit l’acuité du moraliste, notre langue recouvre par miracle sa pureté cristalline ».

Mais Lucchini m’enchante plus particulièrement dans son émouvante évocation de Charles Péguy qui était, écrit-il, « très loin de moi. À tort. » Et n’y aurait-il qu’un ou deux milliers de lecteurs de ce blog à s’ajouter au très grand nombre de ceux du Figaro, je ne résiste pas au plaisir de citer l’intégralité de la réponse de l’artiste à la remarque de Vincent Trémolet :  

« - Mais il y a une vision du monde chez Péguy… 
« - Disons qu’il n’est pas très « revenu universel », le Péguy. C’est même l’anti-Benoît Hamon puisqu’il ne cesse de dire que « travailler, c’est prier ». alors que je n’ai ni la grâce ni la joie d’avoir la foi, je continue, par Nietzsche, de tourner autour du christianisme ;  mais avec Péguy je reconnais qu’on entre dans quelque chose qui est de l’ordre du mystère.  Écoutons cette voix qui remonte du fond des âges : « Nos vieux maîtres, nos bons maîtres n’étaient pas seulement des hommes de l’ancienne France. Ils nous enseignaient au fond la morale, je dirai même l’être de l’ancienne France ». Il continue : « Ils nous enseignaient la même chose que les curés et les curés nous enseignaient la même chose qu’eux ». Quand il décrit Paris, on dirait de la sociologie contemporaine : « La population est coupée en deux classes si parfaitement séparées que jamais on n’avait vu tant d’argent rouler pour le plaisir, et l’argent se refuser à ce point au travail. Et tant d’argent rouler pour le luxe et l’argent se refuser à ce point à la pauvreté ».
En 1910, Péguy voit l’horreur de la financiarisation du réel ! »

Lucchini, qui nous dit tourner autour du christianisme, a donc découvert Péguy comme jadis les Charlier. Il en parle déjà un peu comme ils en parlaient, citant en effet un de ces textes chers à Henri et André Charlier, à Gustave Thibon et à Dom Gérard. 

On le vérifie, Lucchini n’est pas seulement un magnifique lecteur exprimant toutes les beautés et subtilités des textes. Il sait les choisir et en cela délicatement exprimer les convergences de sa propre pensée sur le monde et la société avec ses moralistes préférés. Et ne point taire qu’il est assailli par l’interrogation qui nous fait pleinement humain : « Plutôt y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? ». Gageons que sa lecture passionnée de Péguy l’aidera à trouver la réponse.