François Bayrou cultive avec soin un art abouti du
parasitisme et de la nuisance : chaque élection importante est pour lui
l’occasion d’une sempiternelle mise en scène du sordide marchandage de son
soutien. Fort d’une base électorale fantomatique et d’un corps militant disparu
depuis l’enlèvement des dernières cabines téléphoniques où il tenait réunion,
Bayrou joue à l’homme clef avec un aplomb qui dupe journalistes et nigauds,
mêlant prétention et ridicule dans un maquignonnage médiocre de… de quoi déjà ?
Des voix dans le Sud-Ouest ? Des ralliements prolongés à l’UDI et autres
groupuscules centristes ? On s’interroge encore. La semaine dernière, les
salles de rédaction gribouillaient les dernières rumeurs sur un « pacte
secret » entre le blafard palois et François Fillon (formule
journalistique grotesque par sa grandiloquence : imagine-t-on ces deux-là
s’entailler le creux de la paume pour signer un parchemin au fond d’un bunker sécurisé ?
un coup de fil suffit…) mais ce dernier déclarait mardi dernier sur TF1, au sujet de ses projets pour la réforme
de la Sécurité Sociale : « Je suis gaulliste et de surcroît je suis chrétien,
cela veut dire que je ne prendrai jamais une décision qui sera contraire au
respect de la dignité humaine, au respect de la personne, de la solidarité. » Cela veut, vous en conviendrez, tout dire
et ne rien dire : qu’est-ce donc, dans le détail, que le respect de la
personne humaine appliqué à la Sécu ? Ladite Sécu est-elle ce dont les
catholiques sociaux avaient rêvé en leur temps ? Est-ce Léon XIII qui a eu
l’idée du ticket modérateur en premier ? De qui se moque-t-on ?
Ce très vague propos était pourtant déjà de trop
pour notre champion de la laïcité intransigeante, ce « catholique revendiqué, héritier de la démocratie
chrétienne » qui fut le seul à protester contre la mise
en berne des drapeaux pour rendre hommage au pape Jean-Paul II en 2005.
Atteinte à la laïcité ! glapissait-il, feignant d’ignorer qu’en plus
d’être l’un des personnages les plus marquants et les plus influents du XXème
siècle, le pape était, subsidiairement, un chef d’Etat. Rebelotte donc, hier
sur Itélé, contre Fillon, qui n’est pourtant pas le pape : Je suis
croyant, je ne vais pas m’offusquer d’un mouvement de foi. Mais comment peut-on arriver à
mélanger la politique et la religion à ce point, de cette manière déplacée ? Le
principe de la France, c’est qu’on ne mélange pas religion et politique. »
Ah ? Ah. Le principe de la France, rien de moins ! Les propos de
Fillon sont une « dérive » ! Ce croyant de Bayrou ne concède donc pas
que l’on puisse placer au-dessus des lois de la Républiques les lois morales
éternelles, celles du Décalogue, celles d’Antigone. Ou bien les principes
moraux sous-tendant un projet politique sont-ils en eux-même une « dérive »
anti-républicaine ? Est-il pour l’interdiction du Parti Chrétien Démocrate
de Jean-Frédéric Poisson ? Quel genre de laïcité à la sauce
Combes-Viviani, éradicatrice de toute expression spirituelle autre que le
délire gnostico-républicain qui fait les délices d’un Peillon, voit-il comme
principe de la France ? « Je trouve qu’il faut mettre un terme à
ces mélanges déplacés. » Comme mélanger Bayrou et l’intérêt de la
patrie…
A la dernière minute, j’apprends qu’Henri Guaino,
définitivement perdu pour la cohérence, dénonce une « faute morale »
et une stratégie électoraliste dans le propos de Fillon. Non que je veuille
prendre ici la défense de ce dernier, mais dans l’absolu, c’est toujours une
faute morale, aux yeux des gougnafiers, que de dire qu’on en a une, de morale.
Pierre Henri