lundi 5 octobre 2015

Lettre ouverte à madame Rachida Dati



Chère Madame,



Soucieuse d’intervenir dans le débat faisant suite au rappel, à un mot près, par Madame Nadine Morano, d’une définition formulée jadis par le Général de Gaulle, vous avez déclaré ceci :

« La France, ce sont des citoyens qui se réunissent autour d’un projet politique qui est la République ».

J’ai bien sûr compris qu’il s’agissait d’un langage « parlé » qui n’altère pas le sens précis de votre opinion que je juge bien insatisfaisante et voici pourquoi : la France, madame, ce n’est pas en effet une réunion de « citoyens » autour d’un « projet politique », fût-il celui de la République. Et n’êtes-vous pas d’ailleurs un vivant exemple de ce qu’elle est bien autre chose qu’une abstraction constructiviste ?

Avez-vous réfléchi à ce que la France est d’abord un legs très concret de l’histoire, dont le nom même issu de celui du peuple des Francs apparaît, semble-t-il, pour la première fois dans ce texte dont on a bien dû vous parler un peu dès l’instruction de base que vous avez reçue dans l’excellente école libre des religieuses du Saint-Sacrement à Chalon sur Saône : « la chanson de Roland » ?

La France est d’abord une patrie, une nation. Elle est une communauté historique de destin. Elle est comme un fleuve, initialement le fleuve gallo-romain, formé à partir de plusieurs sources puis allant s’élargissant au fil des siècles en recevant différents apports de territoires et de populations. Cette patrie n’est pas une réunion de citoyens délibérant sur un projet, fût-il de la République. Cela, c’est le fait d’une assemblée spéculative sans mention d’appartenance, de racines culturelles propres, sans histoire spécifique.

Ce que vous évoquez, c’est une abstraction désincarnée, celle d’une « déconstruction » comme disent aujourd’hui les idéologues nihilistes qui inspirent nos gouvernants.

Car la France est d’abord faite d’ensembles réels, à la fois charnels et spirituels, pour reprendre les mots de notre cher maître, Charles Péguy. Et pour reprendre ceux de la grande philosophe Simone Weil, il n’est pas de communauté viable, il n’est pas de patrie durable sans « enracinement ».

La France n’est pas une assemblée spéculative, sur un projet politique. Ce n’est pas un simple agrégat d’individus citoyens. La France est d’abord millénairement constituée principalement par des familles, cellules de base de la société où naissent et sont protégés, éduqués des enfants qui, avant d’être des « citoyens », sont des personnes humaines.

La France, c’est d’abord cette société et toute son architecture concrète de paroisses, de communes, de provinces, de corps intermédiaires évoluant sans cesse avec l’histoire. C’est simultanément l’État, depuis plus d’un millénaire, qui les a rassemblés, protégés, unifiés dans sa continuité, royale, impériale, républicaine.

Vous-même, madame, êtes issue d’une famille d’immigrés venue du royaume du Maroc, que nous aimons.

La France vous a bellement adoptée, puisque vous en êtes devenue une de ses ministres et vous l’aviez donc pareillement adoptée, et vous l’aimez, non pas juridiquement mais charnellement avec son histoire, son patrimoine, son identité, ses traits spécifiques. Ceci sans rien renier de vos propres racines.

Mais, j’en suis sûr, vous avez parfaitement compris un des justes aspects de l‘école de la troisième République, celui où l’on enseignait à tous les enfants une commune histoire remontant à « nos ancêtres les Gaulois », réalité pour beaucoup et en tout cas mythe unificateur et assimilationniste pour tous les petits Français, même les plus récents.    

De même, à Rome, l’identité de citoyenneté se fondait-elle sur une commune conscience d’appartenance à une continuité historique, fût-elle légendaire, remontant à Romulus et Remus.

Je suis bien persuadé que comme moi vous ne ramenez bien sûr pas l’identité française à la seule appartenance à une race au sens biologique du mot. Nous sommes certes, vous et moi, de « race blanche », comme les Chinois sont de race jaune et d’autres peuples de race noire. Et ce, dans toute la diversité des ethnies au sein de ces races. Mais cette classification, un peu trop zoologique à l’intérieur de la commune identité de tous les hommes, unis par une même nature humaine, ne constitue pas, tant s’en faut, l’expression d’une différenciation prédominante.

En revanche faudrait-il proscrire le mot même de race, comme le voudrait le très nihiliste ministre Sapin ? Faudrait-il expurger de notre patrimoine littéraire le grand poète provençal Frédéric Mistral appelant « au réveil de la race latine », entendant par là tout un patrimoine de racines civilisationnelles, culturelles, spirituelles et morales à maintenir ou à retrouver.

Ainsi doit-on saisir le sens de l’inscription dédiée au grand aviateur héros de la guerre de 1914 sur le monument qui lui est consacré : « À Guynemer, illustrateur de la race française ». Et le mot revient souvent sous la plume de Charles Péguy qu’Alain Finkelkraut aime comme nous. Péguy n’était pas raciste ! Et si l’on veut interdire et expurger de partout le terme de race, alors il faut brûler toutes les bibles juives et chrétiennes, et des milliers d’œuvres de toutes les cultures. Beau retour en vérité à la pratique des autodafés !

Madame, je suis persuadé que vous-même, l’on ne saurait vous réduire à n’être qu’une citoyenne élaborant un projet de République. N’êtes-vous pas d’abord une personne issue d’une souche marocaine, arabe ou berbère, mais très vite imprégnée d’une éducation française et chrétienne ? Votre élégance si parisienne ne fait-elle pas aussi de vous sinon une illustration de la race française au sens du temps jadis, du moins une illustratrice de ce qui est encore, mais de moins en moins hélas, la continuité française d’assimilation culturelle et d’intégration patriotique ?

J’ai pour ma part des filleuls vietnamiens et libanais, fiers d’être des Français de souche vietnamienne ou libanaise. Ils ne comprennent pas que soient aujourd’hui si souvent dénigrés et même menacés des Français dits « de souche » parce qu’ils portent, eux, des noms anciens et usuels dans notre peuple, et que leurs familles sont depuis longtemps, quelquefois depuis des siècles et des siècles, de très ancienne appartenance à la patrie française.

Comme l’ont sans cesse affirmé les plus grands historiens patriotes français, tels Pierre Gaxotte ou Jacques Bainville, la France n’est pas une race (au sens actuel du mot), elle est une nation, une patrie, une culture, une langue, et redisons-le, une communauté historique de destin dans la vie de l’humanité.

Aussi des Français ne sauraient se repentir d’être « de souche », d’être fidèles à leurs racines, à leurs sources et aux valeurs éternelles qu’elles portent. À l’opposé de tout orgueil personnel, ils n’ont aucune raison de ne pas être portés par la piété filiale que l’on doit à tous ceux qui ont sans cesse bâti et nous ont transmis un immense capital de civilisation.

Voilà pourquoi nous ne sommes pas prêts d’accepter d’avoir honte d’être Français, comme veulent nous  l’imposer une Houria Bouteldja et un Saïd Bouamama et toute leur clique de forcenés de la haine raciste selon leur intitulé : « Nique la France ! ».

Voilà pourquoi j’ose penser, madame, qu’il faut d’abord connaître et aimer la France pour réfléchir ensuite sur les meilleures lois possibles de la République pour le bien commun du peuple.

N’en va-t-il pas en effet de la politique comme de l’amour ?

À quoi bon élaborer le projet politique d’une République comme si celle-ci ne devait  pas être qu’un système subordonné à la réalité de la patrie bien-aimée ?

Je vous prie, Madame, de bien vouloir accepter l’expression de ma déférente considération.