Chère Madame,
Soucieuse d’intervenir dans le débat faisant suite au
rappel, à un mot près, par Madame Nadine Morano, d’une définition formulée
jadis par le Général de Gaulle, vous avez déclaré ceci :
« La
France, ce sont des citoyens qui se réunissent autour d’un projet politique qui
est la République ».
J’ai
bien sûr compris qu’il s’agissait d’un langage « parlé » qui n’altère
pas le sens précis de votre opinion que je juge bien insatisfaisante et voici
pourquoi : la France, madame, ce n’est pas en effet une réunion de
« citoyens » autour d’un « projet politique », fût-il
celui de la République. Et n’êtes-vous pas d’ailleurs un vivant exemple de ce
qu’elle est bien autre chose qu’une abstraction constructiviste ?
Avez-vous
réfléchi à ce que la France est d’abord un legs très concret de l’histoire,
dont le nom même issu de celui du peuple des Francs apparaît, semble-t-il, pour
la première fois dans ce texte dont on a bien dû vous parler un peu dès
l’instruction de base que vous avez reçue dans l’excellente école libre des religieuses
du Saint-Sacrement à Chalon sur Saône : « la chanson de
Roland » ?
La France est d’abord une patrie, une nation. Elle est une
communauté historique de destin. Elle est comme un fleuve, initialement le
fleuve gallo-romain, formé à partir de plusieurs sources puis allant
s’élargissant au fil des siècles en recevant différents apports de territoires
et de populations. Cette patrie n’est pas une réunion de citoyens délibérant
sur un projet, fût-il de la République. Cela, c’est le fait d’une assemblée spéculative
sans mention d’appartenance, de racines culturelles propres, sans histoire
spécifique.
Ce
que vous évoquez, c’est une abstraction désincarnée, celle d’une
« déconstruction » comme disent aujourd’hui les idéologues nihilistes
qui inspirent nos gouvernants.
Car
la France est d’abord faite d’ensembles réels, à la fois charnels et
spirituels, pour reprendre les mots de notre cher maître, Charles Péguy. Et
pour reprendre ceux de la grande philosophe Simone Weil, il n’est pas de
communauté viable, il n’est pas de patrie durable sans
« enracinement ».
La
France n’est pas une assemblée spéculative, sur un projet politique. Ce n’est
pas un simple agrégat d’individus citoyens. La France est d’abord
millénairement constituée principalement par des familles, cellules de base de
la société où naissent et sont protégés, éduqués des enfants qui, avant d’être
des « citoyens », sont des personnes humaines.
La France, c’est d’abord cette société et toute son
architecture concrète de paroisses, de communes, de provinces, de corps
intermédiaires évoluant sans cesse avec l’histoire. C’est simultanément l’État,
depuis plus d’un millénaire, qui les a rassemblés, protégés, unifiés dans sa
continuité, royale, impériale, républicaine.
Vous-même, madame, êtes issue d’une famille d’immigrés
venue du royaume du Maroc, que nous aimons.
La
France vous a bellement adoptée, puisque vous en êtes devenue une de ses
ministres et vous l’aviez donc pareillement adoptée, et vous l’aimez, non pas
juridiquement mais charnellement avec son histoire, son patrimoine, son
identité, ses traits spécifiques. Ceci sans rien renier de vos propres racines.
Mais,
j’en suis sûr, vous avez parfaitement compris un des justes aspects de l‘école
de la troisième République, celui où l’on enseignait à tous les enfants une
commune histoire remontant à « nos ancêtres les Gaulois », réalité
pour beaucoup et en tout cas mythe unificateur et assimilationniste pour tous
les petits Français, même les plus récents.
De
même, à Rome, l’identité de citoyenneté se fondait-elle sur une commune
conscience d’appartenance à une continuité historique, fût-elle légendaire,
remontant à Romulus et Remus.
Je
suis bien persuadé que comme moi vous ne ramenez bien sûr pas l’identité
française à la seule appartenance à une race au sens biologique du mot. Nous
sommes certes, vous et moi, de « race blanche », comme les Chinois
sont de race jaune et d’autres peuples de race noire. Et ce, dans toute la
diversité des ethnies au sein de ces races. Mais cette classification, un peu
trop zoologique à l’intérieur de la commune identité de tous les hommes, unis
par une même nature humaine, ne constitue pas, tant s’en faut, l’expression
d’une différenciation prédominante.
En
revanche faudrait-il proscrire le mot même de race, comme le voudrait le très
nihiliste ministre Sapin ? Faudrait-il expurger de notre patrimoine
littéraire le grand poète provençal Frédéric Mistral appelant « au réveil
de la race latine », entendant par là tout un patrimoine de racines
civilisationnelles, culturelles, spirituelles et morales à maintenir ou à
retrouver.
Ainsi
doit-on saisir le sens de l’inscription dédiée au grand aviateur héros de la
guerre de 1914 sur le monument qui lui est consacré : « À Guynemer,
illustrateur de la race française ». Et le mot revient souvent sous la
plume de Charles Péguy qu’Alain Finkelkraut aime comme nous. Péguy n’était pas
raciste ! Et si l’on veut interdire et expurger de partout le terme de
race, alors il faut brûler toutes les bibles juives et chrétiennes, et des
milliers d’œuvres de toutes les cultures. Beau retour en vérité à la pratique
des autodafés !
Madame,
je suis persuadé que vous-même, l’on ne saurait vous réduire à n’être qu’une
citoyenne élaborant un projet de République. N’êtes-vous pas d’abord une personne
issue d’une souche marocaine, arabe ou berbère, mais très vite imprégnée d’une
éducation française et chrétienne ? Votre élégance si parisienne ne
fait-elle pas aussi de vous sinon une illustration de la race française au sens
du temps jadis, du moins une illustratrice de ce qui est encore, mais de moins
en moins hélas, la continuité française d’assimilation culturelle et
d’intégration patriotique ?
J’ai
pour ma part des filleuls vietnamiens et libanais, fiers d’être des Français de
souche vietnamienne ou libanaise. Ils ne comprennent pas que soient aujourd’hui
si souvent dénigrés et même menacés des Français dits « de souche »
parce qu’ils portent, eux, des noms anciens et usuels dans notre peuple, et que
leurs familles sont depuis longtemps, quelquefois depuis des siècles et des
siècles, de très ancienne appartenance à la patrie française.
Comme
l’ont sans cesse affirmé les plus grands historiens patriotes français, tels
Pierre Gaxotte ou Jacques Bainville, la France n’est pas une race (au sens actuel
du mot), elle est une nation, une patrie, une culture, une langue, et
redisons-le, une communauté historique de destin dans la vie de l’humanité.
Aussi
des Français ne sauraient se repentir d’être « de souche », d’être
fidèles à leurs racines, à leurs sources et aux valeurs éternelles qu’elles
portent. À l’opposé de tout orgueil personnel, ils n’ont aucune raison de ne
pas être portés par la piété filiale que l’on doit à tous ceux qui ont sans
cesse bâti et nous ont transmis un immense capital de civilisation.
Voilà
pourquoi nous ne sommes pas prêts d’accepter d’avoir honte d’être Français,
comme veulent nous l’imposer une Houria
Bouteldja et un Saïd Bouamama et toute leur clique de forcenés de la haine
raciste selon leur intitulé : « Nique la France ! ».
Voilà
pourquoi j’ose penser, madame, qu’il faut d’abord connaître et aimer la France
pour réfléchir ensuite sur les meilleures lois possibles de la République pour
le bien commun du peuple.
N’en
va-t-il pas en effet de la politique comme de l’amour ?
À
quoi bon élaborer le projet politique d’une République comme si celle-ci ne
devait pas être qu’un système
subordonné à la réalité de la patrie bien-aimée ?
Je vous prie, Madame, de bien vouloir accepter
l’expression de ma déférente considération.